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"Le greenwashing est le nouveau déni climatique": l'économiste française Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat et l'une des architectes de l'accord de Paris en 2015, met en garde contre des engagements climatiques dont la plupart restent difficiles à vérifier. "Crédibilité et redevabilité seront les mots clés pour cette semaine" ultime de négociations à la COP26, dit-elle.
Vous avez récemment tweeté que le "greenwashing est le nouveau déni climatique". Que voulez-vous dire ?
Je suis bien sûr ravie de voir les nombreux engagements à la neutralité carbone pour 2050, venus des États comme des entreprises. C'était l'un des objectifs de l'accord de Paris, et c'est formidable que cela soit maintenant la norme. Mais la plupart de ces engagements ne peuvent être vérifiés. Il n'y a pas de mécanisme pour s'assurer de la mise en œuvre, pas d'autorité pour contrôler ces affirmations.
Et puis il y a la question des compensations (crédits carbone, par exemple pour planter des arbres, que l'on peut acquérir pour compenser des émissions de gaz à effet de serre, ndlr). Beaucoup d'entreprises, particulièrement dans le gaz et le pétrole, incluent beaucoup de compensations dans leur plan neutralité carbone. Mais la recherche montre que les compensations aujourd'hui ne génèrent aucune réduction d'émissions substantielle. Si cela est vrai, alors c'est une forme de tromperie.
Voila pourquoi je dis que le greenwashing est le nouveau déni climatique. C'est dangereux parce que cela sape les efforts des entreprises et des investisseurs qui réduisent vraiment leurs émissions et qui ne demandent pas aux autres de faire le travail à leur place via des compensations.
Et à la fin, le greenwashing retarde l'action climatique parce qu'il tente les autres, qui disent « pourquoi agir si le secteur du gaz et du pétrole produit encore massivement en 2050 grâce aux compensations ? ».
Comment jugez-vous les annonces faites au cours de cette première semaine de COP26 ?
Ma première question c'est : comment les rendre applicables ? Ces engagements sont volontaires, sans cadre réel, sans évaluation des pairs. Nous ne savons pas comment ils seront mis en œuvre. Maintenant, certains sont assez significatifs. La déclaration pour mettre un terme à la déforestation d'ici 2030 n'est pas si nouvelle, mais elle est meilleure que celle de 2014.
L'annonce sur le méthane - plus de 100 pays engagés à réduire collectivement leurs émissions de 30% d'ici 2030 - est très prometteuse, même si les plus gros émetteurs n'ont pas signé. Mais il faut un instrument juridique - un protocole, comme celui qui existe pour les gaz HFC.
Une 3e annonce concerne l'engagement de l'Afrique du Sud. Et avec les 8,5 milliards de dollars venus de l'UE, de la Grande-Bretagne et potentiellement des Etats-Unis, il y a un instrument financier pour le soutenir.
En revanche l'annonce sur le retrait du charbon est moins solide, et pas si clair. Nous voyons déjà la Pologne reculer et la Corée du Sud finalement n'est pas sûre d'être contente d'avoir signé.
Il semble y avoir un écart entre la vague d'annonces de la première semaine et le processus de négociations en cours. Est-ce un problème ?
Glasgow pourrait devenir la ville de deux contes. D'une part celui d'une extraordinaire mobilisation et de progrès réalisés. Et l'autre récit, celui qui s'exprime dans les manifestations, et qui dit qu'en fait il n'y a pas de vrai progrès, et que les entreprises mentent. Si nous n'avons pas quelque chose pour les rapprocher, cela sera très difficile d'obtenir un accord. Les engagements reposant seulement sur la bonne volonté des acteurs, cela ne peut marcher. Pour moi, crédibilité et redevabilité seront les mots clés pour cette semaine" qui s'ouvre.