Hydrogène « vert » : des usines ouvrent en France, mais l'incertitude politique pèse

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Inauguration d'une giga-usine à Belfort jeudi, après une autre à Bordeaux fin mai : une filière industrielle naissante de l'hydrogène vert prend forme en France malgré des ratés au démarrage et dans un contexte d'incertitude sur les choix énergétiques du pays après la dissolution surprise de l'Assemblée nationale.

Avec 9 milliards d'euros d'argent public mis sur la table via les plans France Relance et France 2030, la France affiche l'ambition de devenir un "leader de l'hydrogène décarboné", clé pour permettre la décarbonation de l'industrie des engrais, de la pétrochimie, de la sidérurgie ou des transports lourds.

La première usine de piles à combustible de forte puissance construite par Hydrogène de France (HDF) à Blanquefort près de Bordeaux a été inaugurée fin mai.

Ces piles serviront à transformer l'hydrogène en électricité pour remplacer les carburants fossiles dans le transport maritime, ou à stocker l'électricité renouvelable avant de l'envoyer dans les réseaux.

Après l'usine Symbio inaugurée fin 2023 dans le Rhône, dont les actionnaires sont Michelin, Forvia et Stellantis, il s'agit de la deuxième usine de piles à combustible de taille conséquente en quelques mois en France.

La filière cherche surtout à acquérir une souveraineté sur l'amont de la chaîne, c'est-à-dire la fabrication des machines qui produiront l'hydrogène ou le stockeront.

« Coup de froid structurel »

Au total cinq giga-usines d'électrolyseurs sont prévues en France dans les années à venir, grâce à l'aide d'aides publiques françaises et européennes massives.

Le groupe belge John Cockerill doit ouvrir d'ici la fin de l'année l'extension d'une usine à Aspach-Michelbach (Haut-Rhin), Elogen (groupe GTT) doit se lancer à Vendôme (Loir-et-Cher) en 2025. Gen-Hy construit une usine près de Montbéliard (Doubs). GenVia à Béziers a aussi un projet d'usine.

Et jeudi, l'ancienne start-up McPhy, qui produit déjà des "stacks" d'électrolyseurs en Italie, inaugure sa première giga-usine française, à Belfort.

Après une série de déboires sur la fiabilité de sa technologie, la société a vendu en février son activité stations de recharge pour concentrer ses moyens sur son coeur de métier, régler ses problèmes techniques, et enfin pouvoir ouvrir son usine.

Mais d'autres acteurs de l'hydrogène dans le monde ont connu des problèmes techniques, ce qui a fait dire au PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné fin avril - sceptique sur l'essor rapide de l'hydrogène vert - que le déploiement de la filière n'était qu'à un stade "embryonnaire".

"Il y a eu un coup de froid" admet le directeur-général de McPhy Jean-Baptiste Lucas, "mais pas structurel, conjoncturel", selon lui. "Il est lié à une maturation technologique et à une courbe d'apprentissage un peu plus compliquée que ce qu'on attendait il y a 4 ou 5 ans", explique le responsable à l'AFP.

Ses machines produiront de l'hydrogène en cassant les molécules d'eau H2O avec de l'électricité.

Si l'électricité utilisée est éolienne, solaire ou hydraulique, l'hydrogène produit est dit vert. Si elle est nucléaire, l'hydrogène sera dit décarboné.

Dans les deux cas, il réchauffe beaucoup moins le climat que l'hydrogène industriel "gris" produit actuellement dans le monde à partir du gaz naturel ou méthane (CH4), une opération qui relâche beaucoup de carbone.

« Éléphants blancs »

Mais si les usines d'équipementiers comme celle de McPhy commencent à fleurir, le coût des molécules d'hydrogène qui pourraient être produites avec les équipements sortis de leurs chaînes reste bien trop élevé pour que des clients industriels puissent les utiliser de façon compétitive, craignent les spécialistes du secteur.

"On a fait un travail exceptionnel pour financer les équipements, pour faire baisser les prix des piles, des réservoirs, des électrolyseurs. Mais au final, est-ce qu'on a créé des éléphants blancs ou est-ce qu'on va finir par soutenir aussi l'autre bout de la chaîne de l'hydrogène, c'est-à-dire les débouchés, les clients ?" s'interroge Pierre-Etienne Franc, directeur général du fonds d'investissement spécialisé Hy24.

Une stratégie révisée du gouvernement en matière d'hydrogène était annoncée pour l'été par Bercy, "mais il y a maintenant peu de chances qu'elle soit publiée dans les délais" relève Mika Blugeon-Mered, chargé d'enseignement en "marché et geopolitique de l'hydrogène" à Sciences Po.

"Or la filière a besoin d'un soutien financier aux utilisateurs, puisque la stratégie initiale était axée uniquement" sur les producteurs, s'inquiète-t-il.

La tentation d'un repli souverainiste lors des législatives est par ailleurs jugée dangereuse: le budget européen "permet de faire des choses que la France seule ne pourra pas faire" fait valoir un acteur du secteur, "comme le financement d'interconnexions avec les pays du sud pour importer de l'hydrogène via de futurs hydrogenoducs".

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