Gaz russe en Europe : la fin abrupte d'une longue co-dépendance

parue le
Terminal méthanier de GNL

La guerre en Ukraine a eu un impact majeur sur le marché du gaz et les exportations vers l’Europe.

La relation énergétique entre la Russie et l’Europe, marquée par des décennies de coopération étroite, a pris un tournant radical ces dernières années. La fin abrupte des approvisionnements en gaz russe a bouleversé les équilibres énergétiques du continent, forçant les pays européens à revoir leurs stratégies.

Quels gazoducs et terminaux méthaniers relient la Russie à l'Europe ?

La Russie a longtemps été un acteur clé de l'approvisionnement en gaz naturel de l'Europe via plusieurs gazoducs majeurs.

  • Parmi les plus importants figurait le gazoduc Nord Stream, qui reliait directement la Russie à l'Allemagne sous la mer Baltique, avec une capacité annuelle de 55 milliards de mètres cubes. Toutefois, à peine la construction de Nord Stream 2 terminée que les deux liaisons ont été gravement endommagées en 2022 ; les rendant inopérables.
  • Un autre pipeline essentiel est le gazoduc Yamal-Europe, qui traverse la Biélorussie et la Pologne pour alimenter l'Allemagne.
  • De plus, le gazoduc Soyouz (aussi appelé Brotherhood) relie la Russie à l'Europe centrale via l'Ukraine, distribue du gaz vers des pays comme la Slovaquie, l'Autriche et la Hongrie. Le TAG est une extension du gazoduc Soyouz, depuis la frontière austro-slovaque jusqu'à l'Italie, quand le Megal se rend jusqu'en Allemagne.
  • Le gazoduc TurkStream a été inauguré en janvier 2020 et permet d'acheminer chaque année 31,5 milliards de mètres cube de gaz russe à l'Europe du sud sans passer par l'Ukraine. Son prolongement, Balkan Stream, passe sous la mer Noire, vers la Bulgarie, la Serbie et la Hongrie.
  • Le gazoduc South Stream devant relier sur 3 600 kilomètres la Russie à la Bulgarie pour se diriger ensuite vers l'Europe occidentale via la Serbie, la Hongrie et la Slovénie - sans passer par l'Ukraine - a été abandonné fin 2014. 

Environ 40 milliards de mètres cube de gaz russe transite chaque année par l'Ukraine, via plusieurs liaisons. Avant la guerre, l'Europe importait environ 150 milliards de mètres cube de gaz russe chaque année.

En plus des gazoducs, l'Europe dépend également des terminaux méthaniers pour importer du gaz naturel liquéfié (GNL), permettant une diversification des sources. Ces terminaux sont capables de recevoir du gaz russe sous forme liquéfiée, comme le terminal de Yamal LNG au nord de l'Arctique russe pour la liquéfaction, et à l'instar de ceux de Zeebrugge en Belgique et Dunkerque en France pour la réception. Bien que ces infrastructures permettent l'importation de GNL depuis la Russie, elles facilitent également l'accès à d'autres sources, notamment depuis le Qatar et les États-Unis, réduisant ainsi la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe.

Les conséquences gazières de la guerre en Ukraine

Dès le début de la guerre en Ukraine, le gaz a fait figure d'arme économique utilisée par la Russie et l'Europe.

Suspension de Nord Stream 2

Le 22 février 2022, le chancelier allemand Olaf Scholz annonce la suspension du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l'Allemagne, en représailles à la reconnaissance par Moscou de territoires séparatistes de l'est de l'Ukraine.

Le projet était au cœur de batailles géopolitiques et économiques avec les Européens et les Etats-Unis depuis sa conception, car il renforçait la co-dépendance russo-allemande, et pouvait amener à réduire l'influence Ukrainienne, inquiète de perdre ses revenus tirés du transit du gaz russe sur son territoire.

Invasion de l'Ukraine et poursuite de l'envolée du prix du gaz

Le 24 février, la Russie attaque l'Ukraine et envahit l'est de son territoire.

Face au risque d'éventuelles ruptures d'approvisionnement, les prix du gaz naturel et du pétrole s'envolent. Ils assurent au passage davantage de revenus à la Russie : sur les deux premiers mois suivant l'invasion de l'Ukraine, le pays exporte pour 63 milliards d'euros d'énergies fossiles, dont 44 milliards vers l'UE, selon le Centre for Research on Energy and Clean Air (CREA). Ils atteignaient près de 95 milliards de dollars après 5 mois, soit « quasiment trois fois supérieures au niveau habituel de tout un hiver » selon le directeur de l'AIE(1).

Le 2 mars, l'Union européenne "débranche" sept banques russes du système financier international Swift, tout en épargnant deux gros établissements financiers très liés au secteur des hydrocarbures, en raison de la forte dépendance de plusieurs États européens au gaz russe, dont l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche et la Hongrie. 300 milliards de dollars de réserves en devises dont la Russie disposait à l'étranger sont également gelées. D'autres trains de sanctions européennes visant l'affaiblissement de l'économie russe suivront(2).

Graphique: Selectra - Source: EEX

Toutefois, les prix du gaz avaient commencé à augmenter avant l'invasion russe en Ukraine. La crise énergétique avait en effet commencé en 2021.

Les Européens avaient commencé à se reposer davantage sur les achats de gaz au comptant plutôt que sur des achats à long terme, qui les liaient de fait à Moscou pendant plusieurs années. Or les ventes au comptant n'ont pas été au rendez-vous, face à l'appétit Asiatique après le COVID.

Certains en Europe avaient aussi accusé Moscou de ne pas ouvrir suffisamment les robinets de gaz dans le but d'obtenir au plus vite la mise en service de son gazoduc controversé vers l'Allemagne, Nord Stream 2, achevé et dont le remplissage a commencé au troisième trimestre 2021. Le groupe public de transport de gaz ukrainien Naftogaz accusait ainsi Gazprom d'avoir « brusquement réduit la vente de son gaz sur le marché européen au comptant » tout en « bloquant » les fournitures d'autres groupes russes et le transit vers l'Europe, via la Russie, du gaz provenant d'Asie centrale ; dans le but de « créer un manque artificiel de gaz » et de faire monter les prix.

Même si les prix ont depuis baissé sur les marchés, la crise a démontré la vulnérabilité du continent dans le domaine énergétique.

Ambition de se passer de gaz russe

Le 8 mars, le président américain Joe Biden proscrit les importations d'hydrocarbures russes, tandis que l'UE se donne comme objectif de réduire ses achats des deux-tiers dès 2022.

Pour autant, aucun embargo ne sera décidé, du fait de la forte de dépendance de certains pays. La Commission européenne a proposé un embargo progressif sur le pétrole russe - repoussé par la Hongrie : « Nous avons une ligne rouge nette, à savoir la sécurité énergétique de la Hongrie », déclarait son chef de la diplomatie Peter Szijjarto en avril 2022. En effet, si tous les membres de l'UE se sont accordés pour imposer des sanctions à la Russie et ont initié des changements souvent radicaux pour se passer le plus vite possible de gaz russe, et par la même occasion réduire les revenus qu'en tire la Russie ; il demeure difficile de s'affranchir d'une dépendance longue de plusieurs décennies en quelques mois à peine.

La Hongrie a toujours eu un ton moins hostile que ses partenaires européens envers la Russie : « Il faut du courage en Europe aujourd'hui pour le dire, mais la Hongrie est satisfaite de la coopération énergétique russe [...] Sans le gaz russe, la sécurité énergétique de la Hongrie ne peut être garantie. Ce n'est pas une question d'idéologie, mais de physique et de mathématiques » déclarait Peter Szijjarto en août 2024.

Certains analystes suggèreront que l'Ukraine, frustrée du manque d'allant des Européens pour imposer un embargo drastique sur l'énergie russe, avait également perturbé sciemment les exportations transitant sur son sol.

Pour autant, les patrons des différents énergéticiens redoutent le scénario d'un conflit long et de ses conséquences. « Nous entrerions alors dans un nouveau monde pour l'énergie, sous l'effet d'un choc physique et d'un choc de prix sans précédent qui transformerait sans doute durablement le paysage énergétique », analysait dès le début du mois de mars Mme MacGregor, la patronne d'Engie, dont les approvisionnements en gaz dépendaient à hauteur de 20%.

Contre-sanctions russes

Le 23 mars, le président russe Vladimir Poutine décide d'interdire le paiement du gaz russe en dollars ou en euros aux Européens. La mesure est rejetée par la Commission européenne qui y voit une violation des sanctions internationales envers Moscou. Le Kremlin avait alors averti les pays de l'UE que leur approvisionnement en gaz serait interrompu s'ils ne payaient pas en roubles. « Les conditions qui ont été fixées font partie d'une nouvelle méthode de paiement élaborée après des actes inamicaux sans précédent », expliquait mercredi le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

C'est le début d'un chantage au gaz, la Russie usant de son principal levier de réaction contre les Européens

Le 27 avril, la Russie suspend toutes ses livraisons à la Bulgarie et à la Pologne, arguant le fait de ne pas avoir été payé en roubles. Le 21 mai, la Russie fait de même avec la Finlande voisine, qui venait de faire sa demande d'adhésion à l'Otan. Les Pays-Bas et le Danemark sont eux aussi privés de gaz russe, ce sera aussi le cas de la Lettonie et de la France un peu plus tard.

Mi-mai, les livraisons via Sokhranivka, dans la région de Lougansk en Ukraine, sont réduites, réduisant notamment de 25% les exportations habituelles via ce canal vers l'Allemagne.

Fin mai, la Serbie, candidate à l'entrée dans l'UE, signe avec Moscou une extension pour trois ans de son accord d'approvisionnement en gaz russe à bas prix fin mai « de loin le meilleur deal en Europe », selon le président Vucic. Un message clair envoyé à destination des ménages et entreprises des pays des Balkans et d'Europe, qui voyaient dans le même temps leurs factures d'énergie commencer à bondir.

A la mi-juin, Gazprom, arguant d'un problème technique, baisse de 40%, puis de 33%, puis de 60% ses livraisons via Nord Stream 1 notamment vers l'Allemagne, suscitant une nouvelle explosion des prix. Le niveau d'alerte est atteint, rapprochant le pays de mesures de rationnement.

Le 11 juillet, Gazprom met Nord Stream 1 à l'arrêt pour dix jours pour des raisons de maintenance prévues "de longue date".

Le 27 juillet, Gazprom annonce de nouveau réduire drastiquement les livraisons vers l'Europe via Nord Stream, arguant de la nécessité de maintenance d'une turbine. Vladimir Poutine accusait dans la foulée le Canada d'avoir tardé à restituer la turbine Siemens, réparée sur son sol, dans l'espoir de vendre ses propres hydrocarbures à l'Europe.

Des périodes de ruptures d'approvisionnement se succéderont ainsi jusqu'à l'explosion des gazoducs Nord Stream 1 et 2 en septembre 2022, souvent attribuée à l'Ukraine.

Certains énergéticiens, tenus d'acheter du gaz à prix d'or alors qu'ils avaient des contrats d'importation non honorés par Gazprom, ont depuis saisi la justice pour demander plusieurs milliards d'euros de dédommagement au géant russe.

Évolution des livraisons de gaz russe à l'Union européenne

Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris résume ainsi la stratégie du Kremlin : « ils utilisent le principe d'incertitude, un jour quelque chose et le lendemain autre chose, pour regarder notre unité et pour tendre le marché des matières premières et faire monter les prix ».

La réaction européenne

Si le gaz ne manque pas en période estivale car il n'y a pas besoin de chauffer les bâtiments, l'UE doit s'assurer de pouvoir abreuver son industrie et de remplir ses stocks pour l'hiver 2022-2023 durant le printemps et l'été 2022. Les incertitudes sur les futures livraisons de gaz russe à l’Union européenne constituent « une alerte rouge » pour les États membres, met en garde Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) en juillet 2022.

Les pays européens cherchent instantanément à diversifier leurs fournisseurs et comptent tout naturellement sur le Gaz Naturel Liquéfié, qui à la différence du transport par gazoduc, peut être acheminé par bateau du monde entier. Une vingtaine de pays exportent ainsi du gaz naturel par méthanier : de la Papouasie-Nouvelle Guinée à Trinité-et-Tobago en passant par l'Australie, le Qatar, les États-Unis et... la Russie.

Elle ne tarde pas à signer des accords avec les pays capables de fournir du GNL en quantité, et de gros investissements dans les capacités européennes de regazéification sont lancés. La construction d'un terminal prend 2 à 3 ans, quand celle d'un terminal flottant (FSRU) met 12 à 18 mois.

En l'état des capacités de ses terminaux au début de la guerre, la Commission européenne estimait que l'UE pouvait augmenter de 50 milliards de m3 ses importations de GNL. En outre, l'Allemagne n'en disposait d'aucun. Or tous les importateurs dans le monde se battent pour les mêmes cargaisons, avec une production mondiale limitée, causant une forte hausse des prix.

L'Europe bénéficiera d'une réorientation importante des flux de gaz des USA : les USA s'engagent à fournir à l'Europe 15 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz naturel liquéfié GNL dès 2022, devenant par la même occasion le principal exportateur de GNL du continent. Le 18 juillet, l'UE annonce un accord avec l'Azerbaïdjan pour doubler en quelques années ses importations de gaz naturel, après un accord similaire avec l'Egypte.

Les Etats-membres sont incités à mettre en place des obligations de stockage minimal de gaz naturel d’ici l’hiver, en remplissant à au moins 80% les capacités européennes de stockage au 1er novembre pour disposer d’une sécurité d’approvisionnement suffisante durant la saison de chauffage. Certains pays se sont fixés des objectifs de réserves plus élevés.

Bruxelles propose aussi un plan de sobriété visant à réduire de 15% la demande européenne de gaz, pour surmonter la chute des livraisons russes. Entreprises, collectivités et ménages sont ainsi invitées à réduire l'usage du chauffage, de l'éclairage et de la climatisation, et d'engager des travaux d'isolation thermique.

Les pays qui le peuvent font relever temporairement leur production gazière, comme les Pays-Bas ou le Danemark sur des gisements déjà exploités en mer du Nord, ou la Roumanie en mer Noire.

Les mix électriques des pays ont donc dû s'adapter. La production d’électricité à partir de bioénergies et du nucléaire est relevée autant que faire se peut, au détriment des centrales à gaz. L'AIE appelle par ailleurs au report de la fermeture prévue de plusieurs réacteurs nucléaires dans l’UE(3). Malheureusement, certains pays comme l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas ont également dû avoir un recours accru au charbon, bien plus polluant que le gaz. 

La situation est un argument supplémentaire en faveur d'une transition énergétique accélérée, l'installation de pompes à chaleur et surtout le déploiement de projets éoliens et solaires garantissant une certaine autonomie énergétique. Le doublement des capacités de biogaz issu de déchets alimentaires, des eaux usées et de lisiers d'ici 2030 permettrait par exemple de satisfaire 10% de la demande actuelle de gaz de l'UE et plus de 20% de ses importations venues de Russie. Enfin, la géothermie en eau profonde, basée sur le captage de la chaleur des eaux souterraines, connait aussi un fort regain d'intérêt pour décarboner la production de chaleur.

L'UE dispose aussi de plusieurs gazoducs la reliant à la Norvège, l'un des principaux producteurs de gaz au monde, et d'interconnections gazières entre tous ses pays. Et elle continue à recevoir du gaz de la Russie, tant par gazoduc que par méthanier.

L'état d'esprit des Européens, solidaires entre eux et avec les Ukrainiens, était ainsi résumé par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki : « On se débrouillera même avec ce pistolet braqué sur la tête ».

Finalement, tant en 2022 que 2023, aucun réseau européen ne s'est retrouvé à sec. Mais la facture énergétique a explosé pour les ménages, entreprises et collectivités de l'ensemble des pays d'Europe. Tous les exportateurs de gaz naturel ont vu leurs rémunérations exploser. La Russie, qui a longtemps compensé la baisse des livraisons par la hausse des prix, a finalement vu ses revenus gaziers baisser à mesure que les marchés du gaz retrouvaient une certaine normalité, malgré de nouveaux débouchés à l'export par gazoduc en Asie centrale et par méthanier en Asie. L'Ouzbékistan a par exemple importé du gaz de Russie pour la première fois de son histoire en mars 2023.

Que représentaient les importations européennes de gaz russe avant la guerre ?

Moscou fournissait environ 40% des importations de gaz de l'Europe et les 68% de ses exportations de gaz à l'Europe jusqu'en 2022, ce qui représentait autour de 400 millions de dollars par jour. L'AIE souligne que « les revenus générés par les exportations de gaz et pétrole constituaient en janvier 2022 45% du budget fédéral de la Russie ».

En 2021, l’Union européenne avait ainsi importé 155 milliards de m3 (Gm3) de gaz naturel à partir de la Russie (dont 140 Gm3 par gazoduc et environ 15 Gm3 sous forme de GNL) sur les 360 milliards de m3 consommés. La Russie avait ainsi fourni 32% de la demande totale de gaz dans l'Union européenne et au Royaume-Uni, contre 25 % en 2009.

Mais la quantité de gaz importé avait tendance à baisser ces dernières années : à titre d'exemple 201 milliards de mètres cubes avaient été livrés à l'Europe et la Turquie en 2018, pour un chiffre d'affaires de 113,9 milliards d'euros.

La dépendance en gaz russe variait beaucoup d'un pays à l'autre :

  • Finlande : 97%
  • Bulgarie : 85% ;
  • Slovaquie : 85% ;
  • Allemagne : 55% ;
  • Italie : 40% ;
  • France : 17% ;
  • Pays-bas : 15%.

En ce qui concerne la France, la Norvège est de loin le principal fournisseur de gaz (36% des entrées brutes de gaz en 2020), devant la Russie (17%), l’Algérie (8%), les Pays-Bas (8%) et le Nigéria (7%).

Quel niveau d'approvisionnement européen en gaz russe depuis le début de la guerre ?

Les exportations de gaz de Gazprom vers l'Union européenne et la Suisse ont chuté de 55% en 2022, selon le géant russe de l'énergie, l'Europe étant auparavant son principal marché.

La part du gaz russe par gazoduc dans les importations de l'UE est passée de 40 % à environ 8 % en 2023. Si l'on combine gazoducs et méthaniers GNL, la Russie représentait moins de 15 % du total des importations de gaz de l'UE en 2023(4), contre 24% en 2022 et 46% en 2021.

Le transit de gaz russe vers l'Europe via l'Ukraine a chuté de près de 2/3 par rapport à 2021 pour atteindre 14,65 milliards de m3 en 2023, mais représente encore un peu moins de la moitié des exportations totales de gaz russe vers l'Europe. Cela représente environ 42 millions de m3 par jour.

Là encore, les importations en gaz russe varient beaucoup d'un pays à l'autre :

  • Finlande : 97%
  • Bulgarie : 85% ;
  • Slovaquie : 69% ;
  • Autriche : 60%
  • Allemagne : 55% ;
  • Italie : 40% ;
  • France : 17% ;
  • Pays-bas : 15%.

Ruée vers le GNL - russe compris

Les importations en gaz naturel liquéfié ont sensiblement augmenté dans l'UE en 2022, avant de baisser légèrement en 2023. 13% des importations de GNL provenaient de Russie (soit 17,25 milliards de m3 - Gm3 - en excluant de ce total les transbordements vers des États non membres de l'UE) pour un montant de 8,2 milliards d'euros en 2023.

Au total, 16% des importations de gaz fossile de l'UE provenaient de Russie La baisse des importations de gaz russe par gazoduc a été en partie compensée par une envolée des importations européennes de GNL (+ 63% en 2022), notamment en provenance des États-Unis mais aussi en partie de Russie (+ 12% en 2022). Mais les principaux gagnants de ce boom durent les États-Unis (+ 143%) d'après le groupe de réflexion IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis)(5).

L'UE constitue encore la destination de près de la moitié des exportations russes de GNL. Les volumes de GNL exportés par l'immense installation de Yamal (26 Gm3 au total) ont en particulier été destinés pour 75% au marché européen en 2023.

Seuls 12 des 27 États membres de l'UE disposaient d'installations pour importer du GNL en 2023.

La major française TotalEnergies, 3e acteur mondial du GNL, était toujours le plus gros acheteur de gaz naturel liquéfié (GNL) russe en 2023, liée à un contrat de long terme dans l'immense champ géant gazier de Yamal en Sibérie arctique, qu'elle détient à hauteur de 20%. TotalEnergies les assument, soutenant que l'Europe en a besoin, faute d'en avoir par les gazoducs. « Si nous décidions de ne pas prendre les volumes de gaz, nous serions quand même obligés de les payer », justifie aussi la société.

La France est le principal importateur de GNL russe en Europe. « Alors que les livraisons de gaz naturel russe à l'Union européenne (UE) ont diminué en 2022, certains pays ont continué à importer du GNL russe, agissant à l'encontre de l'objectif commun de garantir la sécurité énergétique et la fin de la dépendance à l'égard des ressources russes », indique l'IEEFA. D'autres pays comme la Croatie, la Lituanie, le Portugal, la Suède et la Grande-Bretagne ont eux fortement réduit leurs importations de GNL russe en 2022.

En 2023, la Russie s'est établie à la 4ème place des exportateurs mondiaux de GNL derrière le Qatar, l'Australie et les États-Unis, devenus l'année précédente pour la première fois le premier fournisseur mondial.

 

Interdiction du transbordement de GNL russe en Europe ?

En mai 2024, Les Vingt-Sept envisageaient d'interdir le transfert via l'UE de gaz naturel liquéfié russe en direction de pays tiers, par les opérations de transbordement - de navire à navire. Ces étapes dans les ports européens (notamment à Zeebrugge et Nantes) sont importantes pour la Russie, car elles permettent des itinéraires de transport plus courts pour certains méthaniers russes vers leurs destinations finales : Chine, Taiwan ou encore Turquie.

Bruxelles souhaite par ailleurs bannir les nouveaux investissements européens dans des projets de GNL en Russie.

En revanche, il ne s'agit pas d'interdire ou de restreindre les importations de GNL russes dans l'UE.

« C'est un atout considérable pour la Russie et une source de financement importante et un contournement en réalité des sanctions », commentait l'ancien président Hollande. « Il y aurait sûrement des effets sur le prix du gaz. Peut-être qu'il y aurait aussi, ce qui serait contradictoire avec nos objectifs climatiques, des importations de GNL venant d'autres pays (...) mais je pense que là, il y aurait un principe de cohérence politique », a-t-il ajouté.

L'Union européenne a indiqué dans son plan RepowerEU vouloir s'affranchir de tout gaz naturel russe à l'horizon 2027(6).

Toutefois, nombreux sont les acteurs à penser que le gaz russe reviendra un jour en Europe. « Les Européens disent aujourd'hui qu'il n'en est pas question [mais] les choses se réparent avec le temps », déclarait ainsi le ministre qatari de l'énergie.

Fin du transit de gaz russe par l'Ukraine ?

Le président Volodymyr Zelensky avait annoncé en août 2024 la fin du transit de gaz russe via le territoire ukrainien à destination de l'Europe à compter du 1er janvier 2025. Avant de faire marche-arrière.

L'Ukraine avait annoncé son intention de ne pas renouveler le contrat la liant jusqu'au 31 décembre à la Russie pour faire transiter le gaz russe vers l'Europe via son réseau étendu de gazoducs. Une décision déplorée par le Kremlin, qui serait amputé de 5 milliards d'euros de recettes annuelles, et qui avait amené son lot d'incertitudes pour les pays européens.

Début juillet, Volodymyr Zelensky avait indiqué que Kiev était en discussion avec l'Azerbaïdjan pour remplacer le gaz russe transitant par l'Ukraine vers l'Europe par du gaz azerbaïdjanais.

Les précédentes crises russo-ukrainiennes et leur impact sur le marché européen du gaz

L’Ukraine a historiquement constitué une voie de transit privilégiée pour le transport et le stockage du gaz russe vers l’Europe de l’Ouest. Depuis la chute de l’URSS, les relations russo-ukrainiennes se sont périodiquement tendues : avant la guerre de 2022, deux crises majeures ont perturbé l’approvisionnement gazier européen en 2006 et 2009 avant même qu’un nouveau différend sur les prix du gaz n’envenime plus durablement ses relations en 2014 (avec l’annexion de la Crimée).

L'évitement Ukrainien au cœur de la stratégie Russe

Malgré ses tentatives depuis le milieu des années 1990, Gazprom a échoué à contrôler efficacement le transport de gaz sur le territoire ukrainien(7). Le groupe a pris l’habitude de négocier le coût de transit parallèlement au prix de vente du gaz à ce pays (à bas prix dans les deux cas) mais il est aujourd’hui contraint de repenser cette stratégie. En juin 2014, le vice-président de Gazprom Alexander Medvedev avait affirmé que le transit du gaz à travers le territoire ukrainien cesserait d’ici à fin 2019. Cette ambition avait toutefois été remise en cause par l’actuel directeur du groupe Alexeï Miller en juin dernier.

Gazprom souhaitait a minima poursuivre sa stratégie de diversification des voies d’acheminement. Entre 2009 et 2011, 60% à 70% du gaz russe exporté vers l'Europe transitait par l’Ukraine. Cette part avait chuté à près de 40% en 2013/2014. Des projets majeurs de gazoducs portés par Gazprom avec des énergéticiens européens avaient déjà permis dans le passé de diversifier les voies de transit : Yamal en 1999 reliant l’ouest de la Sibérie à l’Allemagne via la Biélorussie et l’Allemagne (capacité de transport de 33 milliards de m3 par an), Blue Stream en 2005 entre la Russie et la Turquie (capacité de 16 milliards de m3 par an) et enfin Nord Stream qui traverse la mer Baltique depuis 2011/2012 (2 gazoducs d’une capacité cumulée de 55 milliards de m3 par an).

Nord Stream 1

Les volumes transitant par l'Ukraine ont déjà été considérablement réduits avec l'inauguration en 2011 du gazoduc Nord Stream 1, qui relie la Russie à l'Allemagne via la Baltique.

Et malgré des relations russo-européennes au plus bas en raison du conflit dans l'est de l'Ukraine et de l'annexion par la Russie de la Crimée en 2014 (mises en lumière par l’arrêt du projet de gazoduc South Stream en décembre 2014), Allemands et Russes ont voulu poursuivre dans cette voie. Gazprom entendait maintenir, voire augmenter ses ventes de gaz sur le marché de gros européen.

La libéralisation du marché gazier européen avait en outre permis au groupe russe de développer de nouvelles activités (principalement dans le transport et le stockage de gaz en Europe). Gazprom souhaitait également devenir un acteur important du trading de gaz, notamment dans le nord de l’Europe.

Nord Stream 2 et Turk Stream

Pour les opposants aux nouveaux gazoducs, comme la Pologne, l'Europe ne faisait déjà qu'accroître sa dépendance à l'égard des hydrocarbures russes d'une part et d'autre part place son allié ukrainien dans une position difficile. A l'occasion d'une rencontre avec son homologue russe Vladimir Poutine en juillet 2018, le président américain Donald Trump n'avait pas caché son intention de « concurrencer » Nord Stream en vendant à l'Europe du GNL, bien que celui-ci restait plus cher que le gaz russe.

De son côté, après avoir longtemps assuré que ces gazoducs n'étaient que des infrastructures commerciales, la chancelière Angela Merkel a récemment admis une dimension « politique » et réclamé de pérenniser le rôle de l'Ukraine.

Fin 2019, deux gazoducs - le germano-russe Nord Stream 2 et le turco-russe Turk Stream - contournant le territoire ukrainien sont censés entrer en service, ce qui priverait Kiev d'une manne financière conséquente et d'une arme de poids face à la Russie. Or le géant gazier russe Gazprom et Naftogaz s'affrontent par tribunaux interposés depuis des années. Moscou exigeait que leurs litiges liés au précédent contrat concernant volumes et tarifs soient réglés avant de prolonger le contrat actuel : « La Russie est prête à poursuivre le transit du gaz via l'Ukraine et à assurer les livraisons aux consommateurs européens. Nous sommes prêts à prolonger le contrat aux conditions existantes », avait déclaré le ministre russe de l'Énergie Alexandre Novak à l'issue d'une rencontre avec le commissaire européen chargé de l'Énergie, Maros Sefcovic. Estimant que le contrat de transit actuel n'était pas dans l'intérêt de Kiev, le patron de Naftogaz M. Vitrenko avait prévenu l'UE qu'elle devait se préparer à se retrouver sans nouvel accord de transit.

Le gazoduc Nord Stream 2, un investissement d'une dizaine de milliards d'euros, devait permettre le doublement des livraisons de gaz russe à l'Allemagne. L'Ukraine, la Pologne et les pays baltes craignent qu'il ne renforce la dépendance à la Russie de l'UE, et que Moscou puisse l'utiliser pour exercer des pressions politiques. Selon Rick Perry, Nord Stream 2 passant sous la mer Baltique et le gazoduc TurkStream - qui enverra du gaz russe à la Turquie via la mer Noire - « permettrait à Moscou d'arrêter le transit de gaz par l'Ukraine vers la fin de la décennie ». Il doit « faire pénétrer une artère gazière à source unique profondément en Europe et frapper au cœur la stabilité et la sécurité européennes », avait encore asséné M. Perry, secrétaire américain à l'Énergie en octobre 2019. Les États-Unis sont « prêts, désireux et capables » de renforcer la sécurité énergétique européenne en lui offrant des sources alternatives, à savoir le gaz naturel liquéfié (GNL).

Pour Ramunas Vilpisauskas, professeur à l'université de Vilnius, les critiques à l'égard de Nord Stream 2 faisaient partie de l'offensive commerciale des États-Unis pour vendre leur gaz en Europe, « l'objectif commercial (...) semble être la raison principale des critiques », disait-il à l'AFP.

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