Pourquoi il faut construire Cigéo

Frédéric Launeau

Directeur du projet Cigéo

Depuis plusieurs mois, les opposants au projet Cigéo(1) ont durci leurs actions, sur le terrain, par l’occupation illicite du bois dans lequel devrait être construit une partie des installations de surface et par des manifestations parfois violentes devant le Centre de recherche de l’Andra situé en Meuse et Haute-Marne, devant les tribunaux, par des recours systématiques. Face à ce regain d’opposition à un projet initié il y a plus de 25 ans, il convient de rappeler pourquoi le Parlement a mandaté l’Andra, agence publique, pour construire Cigéo.

Quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur l’avenir de l’énergie nucléaire, il existe une réalité indiscutable : les déchets radioactifs sont bel et bien là. Aujourd’hui en France, un tiers des déchets de haute activité et deux tiers des déchets dits de moyenne activité à vie longue qu’il est prévu de stocker au sein de Cigéo sont déjà produits, conditionnés et entreposés temporairement sur leurs sites de production dans l’attente d’une solution de gestion définitive. Même s’ils ne représentent que 3% du volume des déchets radioactifs produits ou à produire, ils en concentrent 99% de la radioactivité et ils vont rester dangereux pendant encore très longtemps.

Trois axes ont été étudiés : la séparation/transmutation, l’entreposage de longue durée et le stockage en couche géologique profonde.

Face à cette réalité, de nombreuses recherches ont été entreprises, en France, et à l’étranger, pour trouver une solution sûre et pérenne. En 1991, avec la loi « Bataille », le Parlement s’est donné 15 années pour conduire des recherches sur la gestion des déchets les plus radioactifs.

Trois axes ont été étudiés : la séparation/transmutation, l’entreposage de longue durée (recherches confiées au Commissariat à l’Energie Atomique) et le stockage en couche géologique profonde (confié à l’Andra). Les conclusions de ces recherches ont été transmises à  l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), et sur la base de son avis, le Parlement a approuvé, par une loi, en 2006, le choix du stockage en couche géologique profonde. On notera que tous les autres pays ayant à gérer des déchets très radioactifs, issus également de leurs parcs électronucléaires respectifs, se sont aussi tournés vers le choix exclusif du stockage en couche géologique profonde, et non vers une solution intermédiaire de type subsurface, qui, selon les modèles de prévision de l’évolution des couches géologiques surfaciques, ne peut garantir un confinement de la radioactivité sur la centaine de milliers d’années pendant lesquels les déchets de haute activité doivent rester éloignés des populations et de leur environnement.

En 2006, le Parlement a demandé à l’Andra de concevoir un centre de stockage réversible.

S’agissant de la séparation/transmutation, l’ASN a considéré que si l’on peut espérer acquérir un jour les savoir-faire technologiques pour la mettre en œuvre à l’échelle industrielle, sous la forme du déploiement d’un parc de plusieurs installations nucléaires de nouvelle génération, elle ne pourrait pas traiter la totalité des déchets de haute activité et à vie longue, en particulier les déchets déjà produits et conditionnés, ce qui rend nécessaire de mettre en œuvre une « autre solution de référence ».

Concernant l’entreposage de longue durée, qui se définirait comme un entreposage conçu pour une durée supérieure à un siècle, l’ASN a estimé qu’il ne peut pas constituer une solution définitive pour la gestion des déchets radioactifs de haute activité à vie longue. En effet, les entreposages de longue durée supposent le maintien d’un contrôle continu de la part de la société et la reprise des déchets par les générations futures, « ce qui semble difficile à garantir sur des échelles de temps de plusieurs centaines d’années », eu égard aux aléas de civilisation (guerres, etc.) ou naturels.

En 2006, le Parlement a donc demandé à l’Andra de concevoir un centre de stockage réversible : c’est l’objet du projet Cigéo qui, s’il est autorisé, sera situé en Meuse/Haute-Marne, un des très rares endroits en France où on puisse trouver, à 490 mètres de profondeur, une couche géologique épaisse et stable depuis 160 millions d’années, reconnue pour son imperméabilité et sa capacité à confiner la radioactivité sur le très long terme.

Outre ses qualités géologiques, la localisation du projet Cigéo en Meuse/Haute-Marne a été validée par le gouvernement, après avis de l’ASN et de la CNE (Commission nationale d'évaluation) et après un long processus d’échanges avec les élus locaux et les parties prenantes.

Refuser de gérer aujourd’hui ces déchets très dangereux conduirait à en léguer la responsabilité et la charge à nos enfants...

Début 2016, la ministre de l'Environnement, de l’Écologie et de la Mer a arrêté le coût du projet Cigéo, dont la construction et l’exploitation durera près de 150 ans, à 25 milliards d’euros, ce qui représente, selon la Cour des comptes, une part de la facture du consommateur d’électricité de l’ordre de 1 à 2 %. Si l’investissement est important, il est comparable à d’autres opérations d’investissement, il est très inférieur au coût que représenterait le déploiement des solutions de séparation/transmutation ou les  renouvellements successifs des installations temporaires d’entreposage et il fait déjà l’objet de provisions dans les bilans comptables des producteurs de déchets, ce qui assure une sécurisation du financement du projet.

Enfin, le Parlement a établi, en juillet 2016, sur la base des travaux de l’Andra et des conclusions issues du débat public de 2013, la notion de réversibilité comme « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion », en inscrivant au cœur de la réversibilité la possibilité de récupérer des déchets déjà stockés. Tous les leviers d’une gouvernance responsable d’un projet transgénérationnel ont ainsi été définis.

Dès lors, refuser de gérer aujourd’hui ces déchets très dangereux conduirait à en léguer la responsabilité et la charge à nos enfants et aux générations qui vont suivre, alors même que notre pays dispose de toutes les compétences scientifiques, techniques, technologiques et industrielles ainsi que les capacités financières pour mettre en œuvre la solution sûre et pérenne que représente Cigéo.

Sources / Notes

  1. Centre industriel de stockage géologique profond pour les déchets les plus radioactifs, issus du retraitement des combustibles nucléaires usés.

Commentaire

CEDRA
Droit dans les yeux, Monsieur Andra nous l'assure : - les opposants au projet fou d'enfouissement à Bure occupent le bois (Lejuc) de manière illicite... mais il oublie de signaler que la justice a condamné les travaux de l'Andra dans le même bois, travaux illégaux - la couche géologique est stable, depuis 160 millions d'années... mais il oublie la mort d'un ouvrier dans la galerie, en janvier 2016, celle-ci s'étant effondrée - gérer ces poisons en les enfouissant pour ne pas les léguer à nos descendants... mais il oublie de signaler que c'est là irresponsabilité éthique massive, personne ne pouvant prédire, droit dans les yeux, sûreté et étanchéité d'une telle boîte de pandore...
briand matthieu
Juste pour info, la stabilité de la galerie n'a rien à voir avec la stabilité de la couche géologique, l'argile est naturellement friable, mais étanche, maintenant, il faut voir la stabilité géologique à 20 Ma dans le futur, ce qui est loin d' être simple. La meilleure solution serait de se débarrasser des déchets les plus gênants, les actinides (99% de la radiotoxicité à long terme) par incinération directe dans les RNR, puis utilisation des neutron de fuites pour transmuter d'autres éléments dans la couverture fertile du réacteur. Si on atteint ce facteur de réduction, ce que l'on remettra en terre sera moins toxique que l'Uranium extrait, à un niveau égale au cendre du charbon, mais en quantité bien moindre (suffisamment léger et peu toxique pour faire un tour dans le soleil dans un futur proche par exemple) Après pour atteindre un tel niveau de propreté, il faut effectuer du multi-recyclage du combustible, et gardé celui ci très propre pour éviter d'avoir des captures sur produits de fission. Enfin le sodium liquide, niveau sécurité, ça craint un max! Pourquoi ne pas développer le MSFR, ce plan me parait meilleur...
BURESTOP55
- Ce projet initié dans les années 1980, plus de 30 ans, a oublié d’associer aux décisions la société civile et les consommateurs et... de prendre en compte l’hostilité au stockage profond, constante et argumentée, à maintes fois fortement exprimée, qui ne désarme pas. Et si l’on comptabilisait les milliers de tonnes de déchets atomiques dont on aurait fait l’économie si l’on avait écouté la voie du bon sens : à gestion de l’aval du cycle impossible, production en amont irresponsable et impossible. - L'utilisation des termes associés : centre de stockage "réversible" sans expliciter plus loin ce fumeux concept confine à l'abus, alors que tout est conçu pour que ce stockage soit définitif et irréversible. Tout retour en arrière est impossible. Ou faut-il déduire que Cigéo serait un coffre-fort géologique réversible ? Cerise sur le gâteau, le coffre-fort est percé d’avance car le site de BURE est à l'aplomb d'une forte ressource géothermique reconnue, en totale contradiction avec les recommandations de l’ASN qui impose justement l’absence de « trésors » souterrains, pouvant intéresser nos descendants… - Oubli majeur : l'inquiétude est forte sur la capacité de financement de Cigéo vu la faiblesse actuelle des réserves provisionnées (5MDs ?) et les difficultés financières avérées de la filière électronucléaire. Comment comprendre de plus que le coût soit fixé par un ministère à 25 MDs€ alors que l’ANDRA chargée de ce projet l’avait chiffré à plus de 35 MDs€ : sur quels postes sont économisés 10 MDs€, près d'un tiers du prix ? On enfouit de la radioactivité (une masse énorme), pas des déchets biodégradables.
Pierre Laroche
@Burestop, vous confondez les règles de l'ASN (ressource exceptionnelle) et le potentiel géothermique ordinaire de Bure et ses environs. Ordinaire n'est ni extraordinaire, remarquable, fantastique, prodigieux, hors pair ou exceptionnel. La géothermie est partout sur (sous) terre. C'est donc sans surprise qu'il y en a aussi sous Bure. Nos descendants vont certainement préférer les entrepôts plein de déchets qu'on leur laissera. Ils pourront les transmuter avec des réacteurs qu'on ne construira pas parce qu'on sera sorti du nucléaire. Et le peu d'argent qu'on aura mis de côté pour s'en occuper on y trouvera 1001 autres destinations... Et puis bon, la science à laquelle on ne peut aujourd'hui faire confiance, trouvera sûrement demain! Vous pouvez toujours vous attrister de la production de ces déchets depuis les années 80, ça ne les fera pas disparaître!

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