Le Qatar : un rôle à jouer dans la transition énergétique mondiale

Veronica Bermudez

Experte en matériaux et dispositifs photovoltaïques
Directrice du Centre Énergie au QEERI (Qatar Environment and Energy Research Institute)

Le Qatar est aujourd’hui confronté à de nombreux défis – et opportunités – dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique au niveau mondial et des pressions nationales pour diversifier son économie.

Malgré sa petite taille(1) (légèrement plus faible que la superficie de l’Île-de-France), le Qatar est le 4e producteur mondial de gaz naturel(2), le premier exportateur de GNL (gaz naturel liquéfié)(3) et le 14e producteur de pétrole(4). Le pays dépend de ces hydrocarbures pour satisfaire la quasi-totalité de ses besoins énergétiques et environ 96,5% de ses émissions nationales de gaz à effet de serre (GES) proviennent du secteur de l'énergie(5).

La consommation d'énergie au Qatar a presque doublé entre 2009 et 2019 et elle est amenée à continuer à augmenter au cours de la prochaine décennie, compte tenu des fortes croissances démographique et économique dans ce pays (respectivement + 30% et + 56% entre 2000 et 2020)(6).

Mix énergétique du Qatar

La hausse des prix du pétrole et du gaz au cours de la dernière décennie s'est traduite par une forte croissance économique au sein des pays du CCG (Conseil de coopération des États arabes du Golfe(7)) en général et au Qatar en particulier. Mais le Qatar souhaite désormais diversifier son économie nationale pour précisément moins dépendre de ces hydrocarbures et encourager l'utilisation de ressources « durables », une ambition retranscrite dans la Vision nationale Qatar 2030(8) et la 2e stratégie nationale de développement (2018-2022).

Changement climatique : des menaces concrètes pour le Qatar

Le changement climatique aura des impacts environnementaux, économiques et potentiellement politiques et sécuritaires pour le Qatar et les pays du CCG dans leur ensemble. Il aggravera entre autres, avec l’augmentation des populations, les défis existants liés à la pénurie d'eau et à la sécurité alimentaire et en créera de nouveaux, notamment les risques sanitaires.

D’ailleurs, les pays producteurs de pétrole et de gaz du Moyen-Orient sont déjà particulièrement affectés d’une façon négative par ces dérèglements et continueront de l’être en raison de leur géographie et du climat déjà chaud dans lequel ils évoluent. Cela ne fera qu’intensifier les épisodes d’événements météorologiques extrêmes, avec des sécheresses plus fréquentes et de longue durée qui se traduiront par une désertification plus importante, une pénurie d’eau douce et une perte de biodiversité. Des régions du Moyen-Orient feront face à des températures non compatibles avec la vie, ainsi qu'à la montée du niveau de la mer qui met en péril toutes les infrastructures des zones côtières.

D’un point de vue économique, le Qatar et les autres pays du CCG sont vulnérables, en raison de leur dépendance à l'égard de l'extraction et de l'exportation de combustibles fossiles. Les efforts internationaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre impliqueront nécessairement une réduction des consommations de combustibles fossiles, ce qui affectera les principaux revenus économiques du Qatar et sa faculté à s'adapter aux effets du changement climatique.

Les différentes contributions possibles du Qatar à la transition énergétique mondiale

Le Qatar dispose des 3e réserves prouvées de gaz naturel au monde (24 700 milliards de m3 à fin 2019, soit environ 12,4% des réserves prouvées dans le monde) et souhaite démontrer les avantages du gaz par rapport aux autres combustibles fossiles plus « intensifs en carbone » dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

La consommation mondiale de gaz naturel a augmenté d’environ un tiers entre 2009 et 2019 et le gaz est appelé à jouer un rôle clé dans les stratégies de décarbonations de nombreux pays, en se substituant au charbon et au pétrole pour la production d'électricité (les estimations actuelles indiquent que la combustion du gaz naturel entraîne environ 50% moins d'émissions de GES que celle du charbon).

Toutefois, l’objectif d’un réchauffement mondial limité à 2°C au-dessus des niveaux préindustriels nécessitera, au fil du temps, de délaisser le gaz naturel au profit des énergies renouvelables dans le secteur électrique. Au fur et à mesure que les efforts d'atténuation du changement climatique s'intensifieront, le monde devra réduire sa dépendance à tous les hydrocarbures, y compris le gaz naturel.

Le développement d'une activité CCSU au Qatar contribuera à placer le pays aux avant-postes de la lutte contre le changement climatique.

La transition énergétique mondiale est une course contre la montre dans laquelle le Qatar peut jouer un rôle prépondérant, au-delà du gaz naturel. Le pays et la région doivent déployer des technologies nouvelles, plus intelligentes pour augmenter les services énergétiques avec moins de déchets et une meilleure gestion de l’énergie. Les technologies de l'information et de la communication (TIC) auront une place centrale dans ces innovations.

Les technologies de capture, stockage et utilisation du CO2 (CCSU) peuvent également aider le Qatar et d'autres pays du CCG à maintenir leurs activités économiques axées sur les hydrocarbures, tout en en atténuant les effets négatifs. Le développement d'une activité CCSU au Qatar contribuera à placer le pays aux avant-postes de la lutte contre le changement climatique.

Pour réussir à développer une nouvelle filière dans le domaine de l’énergie, une priorité nationale doit soutenir ladite technologie avec le déploiement d’infrastructures dédiées, comme cela a notamment été le cas dans le passé pour le bioéthanol au Brésil, les bioénergies en Suède, l'éolien au Danemark ou encore le solaire photovoltaïque au Japon. Le Qatar doit s’inspirer de ces quelques exemples.

À l'horizon 2050 et au-delà, le pays peut entre autres tirer parti de son emplacement géographique stratégique pour se réinventer en tant qu'épicentre mondial de l'innovation dans les technologies solaires. Et le Moyen-Orient pourrait également devenir le foyer d’une grande économie de l’hydrogène « vert » ou « bleu » (tirant parti des anciens champs d’hydrocarbures idéaux pour stocker le dioxyde de carbone).

Un énorme potentiel solaire, un projet de 800 MWc

Le Qatar et la région du Golfe présentent l'un des potentiels les plus élevés au monde pour exploiter l’énergie solaire, sur la base de l'ensoleillement annuel (prenant en compte les heures d'ensoleillement et l'intensité solaire). En outre, les pics de demande d’électricité dans cette région interviennent durant la journée en juillet, août et septembre (lorsque l'utilisation de la climatisation est la plus élevée) et coïncident ainsi avec les périodes de plus forte irradiation solaire.

Le développement des technologies solaires constitue ainsi le domaine énergétique le plus prometteur pour le Qatar. Début 2020, le pays a annoncé la construction d'une centrale photovoltaïque (Al Kharsaah) de 800 MW de puissance crête(9), dont les 2 millions de modules solaires bifaciaux sur trackers doivent s'étendre sur 1 000 hectares.

Le facteur de charge de la centrale pourrait dépasser 30%...

De toute évidence, cette centrale photovoltaïque ne produira à sa puissance maximale que lorsque le soleil sera à son point le plus élevé à midi, mais cela correspond, comme dit précédemment, au moment où la demande d'électricité est la plus élevée. Cette correspondance entre production PV et demande d'électricité est renforcée dans le cas des systèmes bifaciaux avec trackers car les modules photovoltaïques sont alignés avec le Soleil tout au long de la journée.

Le projet d'Al Kharsaah sera développé par Total et le conglomérat japonais Marubeni qui annoncent un investissement total d’environ 500 millions de dollars(10) (soit de l’ordre de 0,6 $ par Wc pour une technologie de pointe avec des modules bifaciaux avec trackers), témoignant de la baisse des coûts de la filière solaire photovoltaïque qui n’ont pas fini de chuter. Avec l’utilisation de trackers avec modules bifaciaux, le facteur de charge de la centrale pourrait dépasser 30%, un niveau exceptionnellement élevé pour la filière (à comparer avec le facteur de charge moyen dans le monde, qui est autour de 20%).

Électricité et eau, deux préoccupations centrales au Qatar

Le solaire photovoltaïque pourrait jouer un rôle central pour répondre aux besoins croissants d’électricité… et d’eau au Qatar, les deux secteurs étant liés (les grandes centrales électriques au gaz permettent de produire de l'eau dessalée). Or, la demande d’eau comme celle d’électricité est la plus forte en été : la pointé électrique atteint environ 8 GW en été, soit environ le double de celle en hiver et la demande en eau est environ 20% plus forte en été(11).

Précisons que la demande d'électricité au Qatar a augmenté trois fois plus vite que la moyenne mondiale au cours des dernières années en raison de la forte croissance économique du pays et d'énormes projets de développement dans les secteurs des infrastructures. La consommation d'électricité est également élevée en raison des subventions gouvernementales qui rendent ce bien presque « gratuit » au Qatar (avec des prix très avantageux pour tous les usages(12)).

La demande d'eau au Qatar augmente également à un taux de 12% par an, principalement en raison de la croissance de l'industrie et de la population ainsi que de l'augmentation de l'irrigation pour l'agriculture et de la désertification. Une pression accrue sur le processus de dessalement contribuera à une augmentation de la consommation d'électricité dédiée.

20% d’énergies renouvelables dès 2024 ?

Le Qatar déploie une série de mesures pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et se positionner comme un chef de file dans le développement des « nouvelles » technologies. Sur le plan intérieur, le Qatar a pour objectif de porter dès 2024 à 20% la part des énergies renouvelables dans la consommation d’électricité du pays. La transition énergétique du Qatar devrait entre autres se matérialiser par le développement de nouveaux systèmes de transport public (incluant entre autres des projets sur les taxis électriques et les bus au gaz naturel comprimé).

Le Qatar a par ailleurs créé des institutions formelles pour gérer les questions de changement climatique (par exemple, le Comité National pour le Changement Climatique, un organisme national chargé de formuler la politique climatique). Précisons que le Qatar a adhéré au programme de réduction des gaz à effet de serre de la Banque mondiale et participe au Partenariat mondial pour la réduction du torchage du gaz : Qatar Petroleum a ainsi un objectif « zéro torchage » (qui pourrait conduire au développement d’un savoir-faire exportable vers d’autres régions productrices de gaz) à l’horizon 2030.

Le Qatar pourrait également renforcer ses efforts en développant des objectifs d'efficacité énergétique et d'intensité en carbone, ce qui encouragerait les investissements dans le développement de technologies sobres en énergie. Le défi pour le Qatar sera ainsi de concilier de nouveaux objectifs de lutte contre le changement climatique avec le développement de son secteur énergétique, reposant entre autres sur de nouvelles filières plus « propres ».

Sources / Notes

  1. 11 571 km2.
  2. Avec une production de 178,1 milliards de m3 en 2019. Derrière les États-Unis (920,9 Gm3), la Russie (679 Gm3) et l’Iran (244,2 Gm3). Données du BP Statistical Review of World Energy, juin 2020.
  3. Avec 107,1 Gm3 de gaz exportés sous forme liquéfiée en 2019 (devant l’Australie, 104,7 Gm3).
  4. Avec 1,88 million de barils de pétrole par jour en 2019.
  5. Les émissions de CO2 liées à l’énergie du Qatar se sont élevées à 102,5 millions de tonnes en 2019 (contre 299,2 Mt de CO2 en France). Données du BP Statistical Review of World Energy, juin 2020.
  6. À titre indicatif, la consommation énergétique par habitant au Qatar (714,3 GJ par habitant en 2019) est presque 5 fois plus élevée que celle de la France (148,6 GJ par habitant). Données du BP Statistical Review of World Energy, juin 2020.
  7. Le Conseil de coopération des États arabes du Golfe (CCG) est une organisation régionale qui regroupe 6 pays : l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar. Site du CCG
  8. Qatar National Vision 2030, juillet 2008.
  9. Les 800 MWc de ce projet peuvent être mis en parallèle avec les pics d’appel de puissances au niveau national atteignant environ 8 GW en été.
  10. Total construira la première centrale solaire de très grande envergure (800 MWc) du Qatar, Total, 20 janvier 2020. 
  11. Avec 396 millions de gallons par jour en été (MiGD en anglais), contre 332 MiGD en hiver.
  12. Qatar General Electricity & Water Corporation.

Les autres articles de Veronica Bermudez

Commentaire

beigbeder
"Le projet d'Al Kharsaah sera développé par Total et le conglomérat japonais Marubeni qu..." ça n'a pas empêché le Quatar d'appeler au boycott de marques françaises dont ...TOTAL ! Pas très cohérent tout ça !
Tania
Si quelqu’un peut répondre à ma question ça serait cool: c est quoi le mix énergétique du Qatar pour l électricité et le secteur des transports
LEBLOND
Si vous avez lu le document ci dessus vous pouvez en conclure que le mix est tout simplement, le solaire et le gaz. La suite sera le solaire seul, dans une zone désertique qui a t-il d'autre ?
Salah
Je suis ingénieur et inventeur J'ai plusieurs solutions pour le changement climatique Mais personne ne veut investir à mes projets Pour moi la plupart qui parlent de changement climatique sont des monteurs

Ajouter un commentaire

Sur le même sujet