Selon le groupe Soler, son biochar permet de stocker 3 kg CO2eq/kg de biochar. (©Soler)
Le terme « biochar » est un néologisme issu de l'anglais, contraction du préfixe « bio » et du début de « charcoal » (charbon de bois en français). Ce produit solide issu de la pyrolyse de biomasse est parfois également qualifié d'« agrichar ».
Ce produit aux applications variées est encore méconnu en France mais il suscite un intérêt croissant dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique (il permet entre autres de fixer du CO2 tout en améliorer les propriétés des sols).
Définition
Le biochar est un résidu solide obtenu par pyrolyse de la biomasse, c'est-à-dire par décomposition chimique des composés organiques la constituant sous l'effet d'une forte température (entre 350°C et 1 000°C) et dans une atmosphère pauvre en oxygène(1). Précisons que le processus de pyrolyse ou « carbonisation » produit également du « syngas » (mélange gazeux, notamment composé de CO, CO2, H2 et CH4) et des « biohuiles ».
Matériau poreux, le biochar est majoritairement constitué de carbone (pour plus de 80% de sa masse)(1) : sa concentration en carbone peut même dépasser 95% (sur base sèche) dans le cas d' une matière première ligneuse faiblement chargée en matière inorganique transformée à près de 1 000°C. Le biochar est à ce titre considéré comme un puits de carbone à long terme (plusieurs siècles), le carbone contenu en son sein restant stocké sous une forme stable.
Quelle différence avec le charbon de bois ?
Bien que produit dans les mêmes conditions, le biochar se différencie du charbon de bois par sa composition (il ne contient pas de « HAP », c'est-à-dire d'hydrocarbures aromatiques polycycliques) et par ses usages (il est davantage utilisé comme intrant que comme combustible).
Le Club pyrogazéification de l'ATEE (Association Technique Energie Environnement) distingue à ce titre(2) « les Biochars, dont la fonction principale sera la conservation à long terme du carbone, des Biocharbons à usages énergétiques (biocoal ou black pellets) et des Biocarbones à usages de remplacement d’un réactif chimique ».
« Contrairement au charbon de bois, le biochar est de faible granulométrie (fine/poussière) », précise également le groupe Soler, l'un des principaux producteurs de biochar en France.
Utilisations du biochar
Le biochar fait l'objet d'utilisations très variées : il est notamment employé pour augmenter la qualité des sols en agriculture (comme amendement agricole, maraicher ou horticole), pour dépolluer des terrains dégradés (friches urbaines) ou encore comme solution de captage-stockage du CO2 (comme puits de carbone).
Citons également parmi d'autres pistes prometteuses l'utilisation de biochar comme additif dans l'alimentation des ruminants pour réduire les émissions de méthane : SUEZ participera à un test programmé courant 2025 au sein d’une ferme expérimentale dans le cadre du programme METHANE 2030 (INRAE/IDELE).
Chaque biochar doit être sélectionné en fonction des problématiques rencontrées par les utilisateurs. Le biochar du groupe Soler vise par exemple à « améliorer la qualité des sols (sa porosité lui donne la capacité de stocker et de libérer de l'eau et des nutriments, un effet tampon renforçant la résilience au stress hydrique), la performance des matériaux de construction (en remplaçant partiellement le clinker dans la production de ciment, ce qui permet une réduction de son empreinte carbone en améliorant l'isolation phonique et thermique) et permet de stocker du CO2».
Un enjeu majeur : la normalisation
Il n'y a donc pas « un » biochar mais de nombreux types, notamment en fonction des biomasses utilisées en amont et des procédés utilisés pour le produire. La normalisation et la classification des biochars constituent ainsi des enjeux majeurs pour les acteurs du secteur, souligne Dominique Helaine, directeur des solutions carbone chez Suez impliqué dans ce travail (avec le Club pyrogazéification de l'ATEE et l'AFNOR) à l'échelle internationale au niveau de l'organisation ISO .
Il faut « une terminologie beaucoup plus claire, en intégrant ce que les biochars ajoutent à l'action climatique, contrairement à un biocarbone qui finit dans un four de métallurgie », avec la mise en place de critères précis et de classes de biochars. Dominique Helaine cite à ce titre en exemple la définition dans le passé des différentes classes de combustibles solides de récupération (CSR) qui ont permis aux industriels de « savoir précisément ce qu'ils achetaient, c'est ce qui manque aujourd'hui sur le marché du biochar ».
Cette double exigence (une terminologie claire et une « carte d'identité » pour chaque type de biochar) passe par la rédaction en cours d'une norme proposée par la France qui sera soumise au comité ISO. Compte tenu des visions alignées des principaux acteurs au sein de ce comité (France, Allemagne, Canada, Finlande...), Dominique Helaine estime qu'un délai de « 6 à 12 mois » pourrait être suffisant pour aboutir à l'adoption de ladite norme (contre près de 2 à 3 ans en moyenne).
Pour montrer la vraie valeur des biochars (préciser les produits qu'ils permettent de remplacer, le bénéfice associé et l'intérêt climatique), la communication autour des « bénéfices réels » sera également un enjeu important, afin de passer « d'un marché de happy few (acteurs silencieux profitant déjà des bénéfices des biochars sans communiquer dessus) à un marché de commodités plus informé et plus large ».
Combien existe-t-il d'installations de biochar ?
L'association European Biochar Industry (EBI) fait état de 171 installations de biochar en Europe actives à fin 2023 (dont 41 ayant été mises en service au cours de l'année 2023) et estime que leur nombre pourrait s'élever à 220 fin 2024. Ces installations sont principalement situées en Allemagne, en Scandinavie, en Autriche et en Suisse.
La capacité de production des ces installations est en hausse très rapide : elle était de 75 000 tonnes de biochar par an à fin 2023 et devrait s'élever à environ 115 000 tonnes par an à fin 2024. La production européenne « effective » de biochar en 2023 s'est élevée à 49 000 tonnes, ce qui aurait permis selon l'EBI de capter « plus de 130 000 tonnes de CO2 » cette année là.
Principales zones de développement
« L’observation de l’origine des équipes de recherche travaillant sur le sujet depuis 2005 (nombre de publications en cumul), montre la prédominance de la Chine, des États Unis et de l’Inde dans la production scientifique », note le Club pyrogazéification de l'ATEE qui précise que ces territoires sont également « les zones les plus actives en termes de développement industriel et commercial de la filière ».
La France a, en contraste, pris du retard et figure seulement au 20e rang des pays en nombre de publications scientifiques (depuis 2005) en lien avec les termes biochar ou biocarbone, derrière des pays comme l'Iran ou l'Égypte : « cette impasse du monde académique sur la thématique est le reflet ou l’origine du manque de prise en compte et de considération de la filière en France. En conséquence, l’essentiel de l’effort R&D actuellement conduit en France est mené et financé par les entreprises », juge l'ATEE.
Quel potentiel comme puits de carbone ?
Une tonne de biochar peut permettre de stocker de l'ordre de 2,5 à 3 tonnes d'équivalent CO2.
Le GIEC cite le biochar parmi les technologies à émissions négatives : son potentiel d'atténuation est estimé entre 0,3 et 6,6 milliards de tonnes de CO2 par an, souligne l'ATEE, sur un besoin mondial attendu en 2050 de 10 milliards de tonnes de CO2 par an.
Selon l'European Biochar Industry, la quantité potentielle de CO2 pouvant être éliminée grâce au biochar en Europe pourrait s'élever à « 2,3Mt/an en 2030, soit environ 50% de l’objectif de la Commission européenne ».
« Ramené à l’échelle de la France, et considérant un scenario de référence selon l’étude CARBON GAP/ECube (2024), le volume de biomasse disponible pour le biochar est estimé à 0,8 Mt/an, ce qui permet d’absorber environ 0,5 Mt CO2 /an en 2050. Ce volume de biomasse correspond à la moitié du gisement théorique maximal estimé à 1,6 Mt/an », selon l'ATEE.
Avantage et inconvénients
Comme dit précédemment, le biochar présente, outre son potentiel de puits de carbone, de nombreuses vertus agronomiques, absorbant l'eau et les nutriments comme une éponge grâce à sa structure poreuse, permettant de développer la vie microbienne ou encore de restaurer des sols agricoles.
L'utilisation du biochar est toutefois « relativement immature » et les risques potentiels liés à un usage plus global restent peu documentés, selon le GIEC. L'ATEE souligne toutefois que la technologie de production de biochar peut pour sa part être « d’ores et déjà considérée mature : l'immaturité de la filière tient dans le manque d'expertise concernant la fonctionnalité des biochars et leur usage ».
Combien ça coûte ?
Le prix du biochar varie « en fonction de sa qualité et des besoins spécifiques liés à son utilisation », rappelle le groupe Soler. Il oscille généralement dans une fourchette comprise « entre 500 €/tonne à plus de 1 000 €/tonne », indique Pleinchamp(3).
Le modèle économique du biochar est « en partie suspendu à sa valorisation sur le marché de la compensation carbone », rappelle ce site s'adressant aux professionnels du monde agricole.