La vision de…
Jean-Louis Étienne

Médecin et explorateur
Premier homme à avoir atteint le pôle Nord en solitaire en 1986

Plusieurs préoccupations environnementales et économiques majeures s’imposent aujourd'hui : la pollution urbaine, les fluctuation imprévisibles du cours des combustibles fossiles et bien sûr la lutte contre le réchauffement climatique. Actuellement, les énergies « vertes » ont beau se développer très rapidement, 82% de l'énergie mondiale est encore produite par les énergies fossiles. Pour rester sous les 2°C en 2100, il faudrait atteindre « zéro émission nette de CO2 » en 2050, c'est-à-dire un équilibre entre ce qui est émis et ce qui peut être absorbé notamment par les océans et les forêts.

Faisons un peu de fiction, projetons-nous en 2050 en imaginant que tous les investissements dans les pays développés et les transferts de technologie dans les pays en développement aient été mis en œuvre pour y parvenir.

En 2050, la capture et séquestration du CO2 (CSC) à la sortie des foyers s’est avérée trop complexe et coûteuse à mettre en œuvre à grande échelle. Les énergies fossiles sont quasi abandonnées. Les hydrocarbures ne sont plus exploités que pour la pétrochimie. La COP56 célèbre le succès de la transition énergétique. Nous sommes passés des énergies de stock (gaz, pétrole et charbon) à des énergies de flux.

Transports urbains et individuels

Des voies cyclables sécurisées traversent les villes empruntées par toutes sortes d’engins : vélos, trottinettes, gyropodes et autres semelles roulantes...

Les mégalopoles occidentales sont équipées de transports en commun efficaces, indépendants du trafic individuel et commercial : trams, couloirs de bus, téléphériques, réseaux souterrains, transport fluvial, etc. Ces flottes captives sont propulsées à l’électricité. Aux arrivées des gares, des transports en commun et des entrées de ville, sont installés des parkings de véhicules électriques en location : vélo, scooters, tricycles, automobiles et taxis autonomes. La vitesse urbaine est limitée à 40 km/h.

En dehors des villes, les véhicules de transport et de particuliers roulent aussi à l’électricité. Le réservoir d’énergie est une batterie électrochimique ou un conteneur à hydrogène qui alimente une pile à combustible avec un bien meilleur rendement que les moteurs thermiques. Dans les stations-service, les camions et les voitures font le plein d’hydrogène ou effectuent une recharge rapide de leurs batteries.

Energies renouvelables (EnR)

Le mix énergétique est produit et géré à l’échelle régionale : solaire photovoltaïque et thermique, éolien, énergie hydroélectrique des barrages, au fil de l’eau ou marémotrice, géothermie, biomasse et ses multiples potentiels – biogaz, bioéthanol 2G produit à partir de la cellulose, la matière organique la plus abondante sur la Terre (50% de la biomasse), ou biodiesel 3G à partir de microalgues, qui contribuent en plus à la réduction de la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Ces biocarburants sont exploités en cogénération.

En y regardant de plus près, à l’exception de la géothermie, toutes les EnR sont alimentées par l’énergie du soleil. Le photovoltaïque et l’éolien pèchent toujours par leur intermittence et leur faible densité qui imposent de multiplier les capteurs, ce qui soulève toujours des problèmes d’acceptabilité, surtout pour les éoliennes à terre. Un accord prévoit qu’à l’échelle régionale, chaque pylône à haute tension doit au minimum être remplacé par une éolienne. Les génératrices ont une puissance comprise entre 5 et 10 GW et les parcs éoliens sont équipés d’électrolyseurs, l’énergie en excès étant ainsi stockée dans des réservoirs d’hydrogène collecté périodiquement.

L’ensemble des EnR couvrent la mobilité et les besoins domestiques des citoyens qui ont fait les travaux d’isolation qui s’imposent, fait le choix d’équipements électroménagers à faible consommation, le tout géré de façon parcimonieuse et « intelligente » dans le sens de l’optimisation et du séquençage des consommations. De nombreux habitats pavillonnaires bioclimatiques équipés de ressources énergétiques renouvelables sont en autoconsommation.

Appels de forte puissance électrique

Malgré les progrès considérables du stockage de l’électricité, les EnR ne peuvent garantir la couverture simultanée de tous les appels de forte puissance électrique sur de longues périodes : besoins importants des mégalopoles, transports lourds (métros, tramways, TGV, navires, trains de marchandises), industrie, etc. Pour le transport aérien, les vols en altitude stratosphérique des avions long courrier s'effectuent grâce à l’hydrogène qui alimente leurs moteurs électriques via des piles à combustible.

En périphérie des agglomérations, les dépôts de carburants sont aujourd’hui des réservoirs d’hydrogène qui alimentent les stations-service et des piles à combustible de grande taille qui relaient instantanément la production d’électricité quand les EnR n’étalent pas.

Quelle énergie en amont pour la production massive d’électricité et d’hydrogène ? Les centrales nucléaires de deuxième génération sont obsolètes depuis 2030, la construction des EPR (Génération 3) est remplacée progressivement par la Génération 4 qui résout les limites d’approvisionnement en uranium et la production de déchets radioactifs. Mais soyons patients ; les résultats du réacteur à fusion contrôlée ITER sont encourageants, ce qui devrait ouvrir la voie à une production industrielle vers 2080. Ce sera l’ultime défi énergétique : la maîtrise d’un soleil sur Terre, une ressource énergétique abondante et inépuisable dont l’impact sur l’environnement sera très limité.

Ainsi en deux siècles, l’intelligence humaine aura réussi le pari insensé de court-circuiter le temps, les millions d’années nécessaires pour transformer en énergies fossiles la matière végétale issue de la photosynthèse des plantes sous l’action du soleil. On en revient toujours à la recherche du soleil, le maître de la vie sur Terre.

parue le
30 janvier 2017