La vision de…
Claude Mandil

Ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (2003-2007)

Un grand esprit dont j’ai oublié le nom a dit un jour : « Si vous faites des prévisions, que ce soit à un horizon au moins égal à votre espérance de vie, augmentée de cinq ans par sécurité ». La décennie 2050 devant voir mon cent-dixième anniversaire, je ne risque rien !

Nous avons trois grands domaines de quasi-certitude :

  1. L’accroissement de la population mondial restera massif, même s’il promet d’être moins spectaculaire que celui des trente-cinq dernières années : sans doute neuf milliards d’habitants en 2050, deux de plus qu’aujourd’hui, avec en particulier une explosion en Afrique.
     
  2. Les ressources en énergie fossile ne vont pas manquer, contrairement à ce que certains craignaient il y a quelques années. C’est la conséquence des récentes découvertes d’hydrocarbures non conventionnels mais aussi de l’inflexion de la courbe de demande, sous l’effet des politiques d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables.
     
  3. Le climat change de façon beaucoup plus rapide et plus perturbante que prévu. La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre est non seulement un impératif, mais aussi une urgence. Je supposerai donc ici que les politiques nécessaires seront mises en œuvre sans faiblesse et sans délai. S’il en allait autrement, le monde se dirigerait vers un bouleversement qui rendrait vain tout exercice de prospective énergétique.

Ce postulat – les décisions prises à Paris lors de la COP 21 seront mises en œuvre et suivies rapidement par d’autres plus ambitieuses – détermine la situation énergétique mondiale en 2050. En bref, les émissions mondiales de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre devront être très fortement réduites. Mais il nous faut maintenant citer les principales incertitudes de nature technologique.

  1. Le stockage massif et bon marché de l’électricité, y compris sur une période annuelle, sera-t-il une réalité commerciale ? Si oui, on peut prévoir que l’électricité sera devenue l’énergie secondaire (c’est-à-dire après transformation) dominante, y compris dans des usages où elle est aujourd’hui peu développée, comme le transport ou le chauffage des bâtiments résidentiels (la France est une exception dans ce domaine). En effet, l’électricité peut toujours être produite sans émission de CO: renouvelables, nucléaire, fossiles avec capture et piégeage du carbone (CCS), mais l’offre comme la demande d’électricité seront de plus en plus variables et le stockage permet d’éviter des investissements de surcapacité ruineux en production et transport d’électricité.
     
  2. Si les savants et les ingénieurs échouent à livrer un produit de stockage compétitif, sûr et « nomade » (c’est-à-dire que l’on puisse embarquer dans un véhicule), les usages répartis comme le transport et le chauffage resteront majoritairement le domaine des hydrocarbures. Est-ce à dire qu’il faut faire son deuil de la protection du climat ? Je ne le pense pas mais les réponses deviennent plus compliquées et surtout plus diverses :
  • généralisation de l’hybridation des véhicules pour aller vers un véhicule « 2 litres/100km » ;
  • généralisation de l’hybridation dans les bâtiments (électricité quand elle est disponible et peu chère, gaz le reste du temps) et des réseaux de chaleur avec CCS ;
  • développement des biocarburants dans les transports ;
  • généralisation de la CCS, qui sera de toute façon indispensable pour les émissions industrielles (ciment, acier, agroalimentaire, chimie) et qui permettra des émissions « négatives » (en capturant du CO2 produit à partir de biomasse) ;
  • peut-être l’utilisation de l’hydrogène dans des utilisations fixes, sans doute à partir de gaz avec CCS plus que par électrolyse.

Quelques invariants : tout d’abord nous ne ferons pas l’économie d’un changement profond des comportements, ce qui ne veut pas dire que nous serons moins heureux. De toute façon, la croissance démographique en Afrique rend impossible le maintien dans le monde de consommations par tête de type nord-américain. Ensuite, nous ne pourrons pas continuer à ignorer les coûts comme nous le faisons aujourd’hui. Les solutions retenues devront être les moins coûteuses pour le même objectif.

S’il faut se dépêcher de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il ne faut pas se ruer sur les solutions sans avenir. La vraie urgence, c’est de donner un coût important aux émissions, afin de les pénaliser. On peut espérer qu’en 2050, un prix élevé du carbone sera une banalité dans le monde. 

parue le
26 janvier 2017