La vision de…

Entre émergence des nouvelles énergies renouvelables et résistance des énergies fossiles, dynamique de lutte contre le changement climatique et croissance économique et démographique, mondialisation des échanges et tensions exacerbées par les inégalités, la trajectoire de l’énergie dans le monde à l’horizon 2050 est loin d’être clairement tracée.

Cette question est pourtant cruciale : l’avenir énergétique du monde dit aussi celui de nos sociétés. Depuis la nuit des temps, l’accès à l’énergie a façonné les grandes étapes de l’humanité. Aujourd’hui comme hier, notre organisation économique, sociale, et dans une certaine mesure politique repose sur des choix techniques et industriels de mobilisation de différentes ressources énergétiques. Le système énergétique moderne, caractérisé notamment par la fourniture abondante d’électricité grâce à de grosses centrales thermiques et par l’utilisation massive du pétrole pour les déplacements automobiles, est au cœur de nos modes de vie. Mais son développement sous sa forme actuelle et sa généralisation à toute la planète nous conduisent à une impasse. Le réserver comme cela a été le cas jusqu’ici à une partie seulement de la population mondiale est tout aussi insoutenable.

Ainsi, la suite s’annonce catastrophique. Mais elle peut aussi être belle. L’espoir repose sur un point essentiel, symbolisé par le formidable essor de l’éolien et du photovoltaïque : le progrès technique acquis grâce aux énergies fossiles nous permet désormais d’utiliser les énergies renouvelables avec la même efficacité. Il nous reste, et ce chantier est immense, à avoir la sagesse de faire fructifier cet héritage pour refermer la parenthèse des fossiles. Et à le faire au plus vite.

Il faut pour cela deux choses. La première est de développer aussi rapidement que possible les énergies renouvelables. Ce mouvement n’est pas immédiat, mais il est lancé : en 2015, pour la première fois, grâce à la progression globale des énergies renouvelables et avec un complément mineur du nucléaire, la production d'énergies « décarbonées » a davantage progressé que la production à base d’énergies fossiles. Et le potentiel de développement est énorme, sur toute la surface du globe. La seconde est de faire en sorte que ce développement vienne le plus possible en substitution des énergies dominantes, et le moins possible en addition. Ce qui implique de maîtriser les consommations d’énergie, selon des approches bien sûr différentes selon les situations du Nord au Sud, tout en faisant évoluer le système pour l’adapter à ces nouvelles formes de production et pour exploiter toute la diversité de ces ressources renouvelables.

La transition vers les 100 % d’énergies renouvelables est possible, à condition de mettre l’intelligence nécessaire dans le système pour opérer cette transformation. Il s’agit d’une part de l’intelligence collective dans la priorité du long terme sur les choix à court terme, et dans notre intérêt commun à agir plutôt que dans des replis égoïstes. Et d’autre part de l’intelligence dans nos modes de consommation, autour du bon usage de l’énergie pour rendre de véritables services énergétiques, et du recours aux solutions les plus efficientes pour fournir ces services.

Au Nord, l’application systématique, dans tous les secteurs, de cette démarche de sobriété sur les usages et d’efficacité sur les modes techniques permet, à l’horizon 2050, de réduire fortement notre consommation d’énergie, sans renoncer à un confort moderne, mais en organisant différemment notre mode de vie. Rénovation massive des bâtiments, réorganisation du territoire, réorientation soutenable de la production industrielle figurent parmi les grands chantiers de cette transformation. Parallèlement, la mobilisation de toutes les ressources renouvelables permet de s’approcher de 100 % des besoins, tout en réduisant bien sûr les émissions de gaz à effet de serre à hauteur des impératifs climatiques.

L’effort sur la demande est particulièrement important dans le secteur du bâtiment, et plus encore dans celui des transports où une diversité de solutions doit être envisagée. Le tout-voiture doit disparaître bien avant 2050, laissant la place à un urbanisme plus apaisé et davantage créateur de liens. Côté motorisation, la solution unique et universelle n’existe pas : électricité, biométhane, agrocarburants de seconde génération devront être combinés en fonction des potentiels locaux. Une attention particulière doit être portée à la mobilisation de la biomasse pour l’énergie. Elle est indispensable mais doit bien sûr se faire dans une limite qui respecte la fonction primordiale de l’alimentation, autorise le recours nécessaire à la biomasse pour les matériaux et préserve, voire renforce le rôle de puits de carbone de la végétation.

Partout, les potentiels d’efficacité doivent être pleinement exploités, à tous les niveaux des chaînes de transformation de l’énergie, pour réduire les besoins d’énergie à niveau équivalent de services énergétiques. Mais là où l’énergie est consommée sans entrave, l’utilité de ces services doit aussi être questionnée.

La sobriété est incontournable pour ramener la consommation d’énergie à un niveau conforme aux impératifs climatiques au Nord. Mais ce signal important de rupture avec l’hyperconsumérisme est également essentiel pour que les pays émergents aujourd’hui, et d’autres qui suivront demain, s’inscrivent dans un développement plus soutenable. Dans un monde énergétique contraint, l’élimination de consommations inutiles au Nord s’inscrit enfin dans une solidarité avec la satisfaction de besoins énergétiques vitaux dans les régions les plus défavorisées, clé de leur développement économique et culturel. Et dans ces zones où des milliards d’habitants sont encore privés d’accès à l’électricité ou à la cuisson moderne, les énergies renouvelables offrent de nouvelles solutions.

Ce programme global dessine une société mondiale où le développement s'appuie, au niveau local, sur la meilleure exploitation des potentiels d’organisation et des ressources locales pour un développement plus harmonieux de chaque territoire. Les relations internationales n’y sont plus dominées par la prédation des ressources, mais par la synergie des stratégies et par la mutualisation des solutions. L’économie n’est plus dirigée par une logique de croissance des biens toujours plus inégalitaire, mais de performance des services pour tous. L’énergie n’est plus l’affaire d’un nombre toujours plus réduit de grands groupes industriels et financiers mais celle de citoyens, de collectivités, de petites entreprises acteurs de leur consommation et de la production.

La bonne nouvelle est que cette transition vers un monde énergétiquement plus sobre, plus juste et plus solidaire est possible avec les moyens actuels. La mauvaise est que les forces qui s’opposent à ce monde d’intelligence énergétique peuvent l’emporter, avec des conséquences dramatiques. À chacun de nous de faire sa part : notre avenir énergétique se décide aujourd’hui.

parue le
13 février 2017