Professeur émérite à l’Université de Montpellier
Fondateur du CREDEN
Auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », Presses des Mines
La loi adoptée le 15 février 2017 par le Parlement(1) a ratifié l’ordonnance du 27 juillet 2016, qui avait pour objet de favoriser l’autoconsommation d’électricité, celle d’origine photovoltaïque en particulier. Cette autoconsommation peut d’ailleurs être individuelle ou collective. Aux termes de la loi « l’autoconsommation individuelle est le fait pour un producteur, dit autoproducteur, de consommer lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation. La part de l’électricité produite qui est consommée l’est soit instantanément soit après une période de stockage ». Mais la loi autorise aussi l’autoconsommation collective qui est définie comme « la fourniture d’électricité effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals liés entre eux au sein d’une personne morale et dont les points de soutirage et d’injection sont situés en aval d’un même poste ». Cela devrait favoriser l’émergence de petits réseaux de distribution à l’échelle des quartiers.
Parité réseau et baisse des prix d’achat garantis
Il importe de bien distinguer le taux d’autoconsommation et le taux d’autoproduction. Le taux d’autoconsommation correspond à la part (%) de la production qui est consommée sur place par l‘autoproducteur. Le taux d’autoproduction correspond à la part (%) de la consommation de l’autoproducteur qui est produite sur place. Prenons un exemple fictif : un particulier consomme 3 000 kWh par an et produit 1 000 kWh avec l’installation placée sur son toit. Les trois-quarts de ce qu’il autoproduit sont autoconsommés (750 kWh) et le reste (250 kWh) est injecté sur le réseau. Le taux d’autoconsommation est donc de 750/1 000, soit 75% tandis que le taux d’autoproduction est de 750/3 000 soit 25%.
Une telle autoconsommation n’est rentable en pratique que lorsque la « parité réseau » du kWh produit est atteinte, c’est-à-dire lorsque le coût de production du kWh autoproduit est inférieur ou au plus égal au coût total du kWh soutiré du réseau. La baisse du coût de l’éolien et du solaire permet aujourd’hui de s’en approcher mais on est encore éloigné de la « parité marché » laquelle supposerait un coût du kWh autoproduit proche du coût moyen du kWh aux bornes d’une centrale raccordée au réseau interconnecté, surtout si l’on tient compte des « coûts systèmes » (coût du « back-up » pour faire face à l’intermittence notamment). Tant que la « parité réseau » n’est pas atteinte, et a fortiori la « parité marché », les producteurs d’électricité renouvelable ont intérêt à vendre leurs kWh dans le cadre des prix d’achat garantis fixés par les pouvoirs publics, lesquels sont sensiblement supérieurs aux prix du marché de gros.
La baisse des prix d’achat garantis rend l’autoconsommation plus attractive...
La différence entre les prix garantis (« feed-in tariffs ») et les prix de gros est mutualisée dans une taxe payée par les consommateurs d’énergie (consommateurs d’électricité ou consommateurs d’énergies fossiles carbonées). Le montant de la taxe ayant tendance à croître rapidement et dans le but de tenir compte des recommandations de la Commission européenne, les pouvoirs publics ont tendance aujourd’hui à favoriser le mécanisme des « feed-in premiums » : le consommateur est appelé à vendre son électricité sur le marché de gros et il bénéficie d’une prime qui sera de plus en plus souvent mise aux enchères. La baisse des prix d’achat garantis rend également l’autoconsommation plus attractive. A terme, à la demande de la Commission européenne (Winter Package publié fin novembre 2016), les prix garantis doivent disparaître et la priorité d’accès des renouvelables lors du dispatching sera elle aussi supprimée, dans un premier temps pour les installations d’une puissance installée inférieure à 500 kW. Cela devrait donc inciter les investisseurs à auto-consommer une part croissante de leur production.
Rappelons que le prix du kWh soutiré du réseau par un consommateur domestique comprend trois éléments: le coût moyen du kWh aux bornes de la centrale (36% du coût total), le coût d’accès aux réseaux de transport et de distribution (30%) et le montant des diverses taxes dont la TVA (34%). Actuellement, comme le rappelle la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), les autoproducteurs doivent signer un contrat de raccordement, d’accès et d’exploitation (CRAE), ce qui nécessite de disposer d’une installation de comptage permettant de mesurer à la fois le soutirage et l’injection de kWh. Cela requiert donc de disposer de deux compteurs et le second compteur est à la charge de l’autoproducteur. Ce coût constitue un frein à l’autoproduction, de même que les délais d’attente de raccordement qui sont souvent assez longs. Notons qu’un autoproducteur peut s’engager à ne rien injecter sur le réseau mais il doit alors signer avec le distributeur une convention d’autoconsommation (CAC) le précisant. Enedis a recensé plus de 3500 installations d’autoproduction fin 2015 et les demandes de raccordement étaient en nette hausse en 2016 selon la CRE (cf Rapport de la CRE au Parlement paru en juin 2016).
Incitations et impacts sur les péages d’accès aux réseaux
La loi de 2017 veut accélérer le rythme de l’autoproduction et a introduit deux dispositions qui vont dans ce sens : une réduction du coût de raccordement qui peut atteindre 40% et une priorité d’installation des compteurs Linky pour les autoproducteurs, ce qui leur évite de payer un second compteur (le compteur Linky mesure simultanément l’injection et le soutirage). Le texte prévoit également une simplification des procédures de raccordement pour les petites installations et maintient l’exonération de certaines taxes pour les kWh autoconsommés lorsque l’installation est de dimension inférieure à 1 MW (CSPE et taxes locales). A noter que divers décrets d’application doivent encore intervenir pour préciser le dispositif, notamment sur les prix d’achat de l’électricité injectée sur le réseau. Mais la Commission européenne rappelle dans son Winter Package que le « net metering » est interdit : il faut différencier le prix du kWh à l’injection et au soutirage et ne pas se contenter d’une compensation quantitative entre les deux catégories de kWh. Cela est logique dans la mesure où un kWh injecté aux heures creuses n’a pas la même valeur qu’un kWh soutiré aux heures de pointe.
Une autre question sensible se pose : celle de la tarification d’accès au réseau. Le TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) est aujourd’hui construit sur la base de trois principes : le timbre-poste (tarif indépendant de la distance qui sépare l’injection du soutirage), la péréquation spatiale (tarif identique sur tout le territoire métropolitain) et la non-discrimination entre les catégories d’utilisateurs (on ne tient pas compte de l’usage qui est fait de l’électricité). Le tarif comprend une part « puissance », proportionnelle à la puissance souscrite par le client et une part « énergie », proportionnelle au nombre de kWh consommés. En France, pour un consommateur domestique, la part « puissance » représente 20% environ du tarif d’accès aux réseaux et la part « énergie » 80%. Dans certains pays européens la part « puissance » est sensiblement supérieure (cas de l’Allemagne où elle peut atteindre 80%). En d’autres termes, en France et pour une puissance souscrite donnée, le consommateur paie le réseau principalement quand il soutire de l’électricité ; cela engendre une « subvention croisée » au profit par exemple des propriétaires de résidences secondaires dont le soutirage est modeste et qui bénéficient d’une puissance garantie toute l’année.
Ce sont les progrès attendus au niveau du stockage de l’électricité qui constitueront sans aucun doute le facteur déclencheur le plus fort en faveur de l’autoconsommation d’électricité.
Avec l’autoconsommation, deux effets qui jouent en sens contraire doivent être pris en considération au niveau des péages d’accès aux réseaux. L’autoconsommateur soutire moins d’électricité du réseau, ce qui limite les pertes en ligne, les congestions et indirectement les émissions de CO2, et de ce fait les coûts du réseau ont tendance à baisser un peu. Mais dans le même temps, il faut souvent renforcer le réseau de distribution pour évacuer une électricité injectée en de nombreux points du territoire, parfois loin du réseau interconnecté et cela renchérit les péages. Il faut regarder cela au cas par cas pour connaître la résultante des deux effets.
L’autoconsommateur continue de bénéficier d’un accès à une puissance garantie mais, comme il soutire moins d’électricité alors que la tarification est dans une large mesure assise sur le soutirage, il contribue moins au financement des charges fixes du réseau, ce qui génère des « subventions croisées » au détriment des consommateurs qui ne produisent pas d’électricité. Il faudrait donc accroître la part « puissance » du TURPE pour rétablir plus d’équité. Notons que la réforme en cours du TURPE prévoit d’introduire une différenciation horo-saisonnière des tarifs, ce qui permet d’éviter des congestions, et elle devrait également introduire à terme une différenciation spatiale des tarifs. Ce serait la fin de la péréquation spatiale et cette mesure est d’ailleurs explicitement souhaitée par le Winter Package publié par la Commission européenne. On peut aussi s’interroger sur le maintien d’une tarification de type timbre-poste. Une part croissante de l’électricité sera produite et consommée localement ; on peut dès lors envisager une tarification qui tienne compte au moins partiellement de la distance qui sépare les nœuds d’injection des nœuds de soutirage (tarification dite nodale), ce qui favoriserait l’autoconsommation puisque cette distance est faible voire nulle.
Le législateur souhaite encourager le développement des renouvelables en incitant à l’autoconsommation, ce qui est logique dans un contexte où le coût des renouvelables diminue et où les prix d’achat garantis sont amenés à disparaître. Mais ce sont les progrès attendus au niveau du stockage de l’électricité qui constitueront sans aucun doute le facteur déclencheur le plus fort en faveur de l’autoconsommation d’électricité.
Sources / Notes
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