Toshiyuki Shirai contribue au World Energy Outlook, publication annuelle de l’AIE. (©photo)
Lors du « One Planet Summit » organisé en décembre 2017, le ministre français de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot avait entre autres dénoncé le fait que la communauté internationale « continue sous des formes diverses et variées à soutenir les énergies fossiles ».
Les « subventions » aux énergies fossiles contribueraient à freiner la transition du système énergétique mondial vers un mix moins carboné. Pour mieux identifier ces subventions, nous avons interrogé Toshiyuki Shirai, analyste senior au sein de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui a rédigé un article récent sur ce sujet(1).
1) Quelles sont les différents types de subventions en faveur des énergies fossiles ?
Les subventions aux énergies fossiles peuvent être des subventions « à la consommation » ou « à la production ». Les subventions dites « à la consommation » se matérialisent notamment par des contrôles de prix et des exonérations fiscales induisant pour les consommateurs des prix inférieurs à ceux du marché.
Les subventions directes, prêts bonifiés ou exonérations fiscales qui réduisent les coûts payés par les producteurs d’énergies fossiles sont également inclus dans notre estimation des subventions à la consommation dans la mesure où ils entraînent également pour le consommateur final des prix artificiellement inférieurs à ceux du marché.
Les subventions dites « à la production » comprennent des subventions directes et des incitations fiscales soutenant spécifiquement la production d'énergie, telles que des taux d'imposition préférentiels pour l'exploration pétrolière et gazière.
2) Comment ces subventions sont-elles justifiées ?
Les subventions en faveur des énergies fossiles sont mises en place par les pouvoirs publics pour atteindre des objectifs politiques, économiques et sociaux, par exemple pour réduire la pauvreté énergétique, développer l'accès à l'énergie ou redistribuer la richesse issue de l'exploitation de ressources nationales.
Cependant, de nombreuses subventions sont mal ciblées et bénéficient de manière disproportionnée aux segments les plus riches de la population, qui utilisent par exemple plus de carburant subventionné.
Dans la pratique, la plupart des subventions ont ainsi pour effet d'encourager les consommateurs à gaspiller de l'énergie. Elles constituent une pression supplémentaire sur les systèmes énergétiques et sur l'environnement et pèsent sur les finances publiques.
3) Quel est le montant des subventions mondiales en faveur des énergies fossiles ?
Dans le dernier World Energy Outlook, nous estimons que la valeur des subventions mondiales liées à la consommation de combustibles fossiles avoisinait 260 milliards de dollars en 2016 (soit 15% de moins qu’en 2015), dont environ 40% pour le pétrole et autant pour l'électricité carbonée.
Près de 30% de ces subventions mondiales à la consommation de combustibles fossiles seraient concentrées au Moyen-Orient. Dans notre estimation, nous n’avons pas identifié de subventions en faveur des énergies fossiles aux États-Unis, ni en France (ndlr : contrairement à d’autres organisations comme l’OCDE et le FMI qui prennent en compte les niches fiscales dans la comptabilisation des subventions(2)).
A titre de comparaison, nous estimons la valeur des subventions au déploiement des énergies renouvelables à environ 170 milliards de dollars en 2016(3), soit un montant nettement inférieur à celui des subventions à la consommation de combustibles fossiles. Et ceci sans compter les subventions « à la production » d’énergie fossile sur lesquelles nous ne disposons pas de données précises.
Les estimations de l'AIE sur les subventions à la consommation d'énergie fossile diffèrent de celles de l'OCDE et du FMI qui prennent également en compte les niches fiscales. (©Connaissance des Énergies, d'après AIE)
4) Comment expliquer le maintien de ces importantes subventions aux énergies fossiles ?
Dans le contexte de prix du pétrole relativement bas, de nombreux pays ont pris des mesures pour supprimer les subventions liées à sa consommation. Au Moyen-Orient, Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont notamment augmenté les prix des carburants en supprimant les subventions associées. Des réformes ont également été mises en œuvre en Inde, en Indonésie, en Malaisie et au Mexique pour réduire les subventions aux produits pétroliers.
Les réformes des subventions aux combustibles fossiles sont toutefois difficiles à mettre en œuvre politiquement et font généralement l’objet d’une forte opposition publique. Maintenir une telle réforme dans le temps constitue un défi majeur, surtout lorsque les prix des carburants augmentent. De nombreux gouvernements pourraient être mis sous pression pour que les subventions soient rétablies.
Dans de nombreux cas, des réformes ont ainsi déjà été remises en cause et des subventions réintroduites en raison de pressions politiques ou publiques. Pour éviter une telle situation, les gouvernements peuvent, par exemple, fournir une aide ciblée aux groupes les plus vulnérables, tout en s'efforçant de convaincre le public de l’intérêt des réformes grâce à une communication efficace.
5) La suppression de ces subventions doit-elle constituer un axe central de la lutte contre le réchauffement climatique ?
Malgré les progrès réalisés dans de nombreux pays, les subventions aux combustibles fossiles sont encore fréquentes. Elles découragent entre autres les investissements dans les technologies à faible émission de carbone et dans des équipements plus efficaces, ce qui freine toute réduction des émissions de CO2 liées à l'énergie.
Par conséquent, les réformes des subventions aux combustibles fossiles constituent des initiatives politiques clés pour lutter contre le changement climatique.