Opérations de fracturation hydraulique à Preese Hall en GB en 2011. (©Cuadrilla Resources)
En France et à peu près partout en Europe, la technique de fracturation hydraulique pour récupérer du gaz de schiste a été interdite. Les quelques pays ayant autorisé les forages ont été déçus des quantités de gaz trouvées, ou ont préféré arrêter face aux différents risques. Il est toutefois probable que l'Europe dispose de ressources en gaz de schiste sous son sol, qu'elle préfère importer à prix fort, tant sur le plan économique que géopolitique.
Le contraste avec les USA est saisissant : importateur de gaz pendant des décennies, l'exploitation des gaz de schiste a permis à ce pays faisant fi des désagréments liés à la fracturation de devenir, en quelques années, premier producteur de gaz au monde et premier exportateur de gaz en Europe.
Gisements de gaz de schiste estimés en Europe
L'Europe recèlerait environ 8 % des réserves mondiales de gaz de schiste, 4 % de celles de pétrole, estime l'AIE. Mais sans forage, il n'est pas possible de connaître les gisements ni la difficulté exacte (et donc les coûts inhérents) pour l'extraction. L'évaluation des gisements en gaz de schiste est réalisée par analyse sismique 3D.
Les gisements en Europe(1)(2)(3) sont estimés à plus de 13 300 milliards de m3, l’équivalent de plus de 100 ans de consommation de gaz rien que pour la France(4), qui aurait les réserves parmi les plus importantes du continent. La production annuelle en Europe pourrait être équivalente aux importations annuelles de gaz russe en Europe, autour de 150 milliards de m3 par an.
Pour cela, il faudrait forer 50 000 puits, ce qui représenterait une empreinte au sol de 500 km2 (l’équivalent du lac de Genève) et entre 500 millions et un milliard de m3 d'eau(5) (l'équivalent des pertes des canalisations françaises chaque année).
Estimations des réserves de gaz schiste techniquement récupérables, d'après données de l'EIA américaine (mai 2013)
De quoi élargir a priori les perspectives en termes d’indépendance énergétique ; à l'heure où la compétitive européenne est fortement remise en question.
Le principe de précaution prime
Les gaz de schiste sont des hydrocarbures naturels emprisonnés dans des formations rocheuses profondes et difficiles d'accès, extraits par la technique de fracturation hydraulique. Celle-ci consiste à fracturer la couche rocheuse en injectant de l’eau, du sable et des produits chimiques à haute pression.
Bien que cette méthode ait permis une augmentation significative de la production de gaz naturel, elle suscite des préoccupations environnementales en raison de son impact potentiel sur les ressources en eau, les pollutions et les émissions de gaz à effet de serre inhérentes à la consommation de tout gaz naturel. De plus, elle causerait de petits séismes.
En Europe, c'est le manque d'acceptation sociale qui bloque ; les risques prévalant les bénéfices potentiels. C'est pourquoi les pays préfèrent investir dans les énergies renouvelables, et notamment le biogaz.
Retour sur l'interdiction de l'exploration en France
En mars 2010, le ministère en charge de l’énergie accorde 3 permis de recherches sur les gaz de schiste dans le sud de la France (Nant, Villeneuve-de-Berg et Montélimar) à Total et à l'Américain Schuepbach. La forte opposition locale s'étend vite nationalement, et l’abandon de la fracturation hydraulique fait alors plus ou moins consensus.
La loi est votée(6) dès juillet 2011, la technique de forage décriée est interdite et les permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels sont abrogés en octobre(7).
L'exploration de gaz de schiste demeure interdite en France aujourd'hui.
Rappelons que la Commission européenne a publié le 22 janvier 2014 une communication sur l’exploration et la production d’hydrocarbures ayant recours à la fracturation hydraulique, en délivrant des principes communs minimaux à suivre, principalement d’ordre environnemental.
En Pologne
La Pologne a initialement vu dans le gaz de schiste une opportunité pour réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et a attribué dès 2007 ses premières concessions de gaz de schiste. Plusieurs explorations ont été menées au début des années 2010, mais des problèmes techniques, des coûts élevés et une rentabilité incertaine ont freiné le développement.
C'est le seul pays d'Europe où les forages d'exploration ont été réalisés à grande échelle. Mais à ce jour, le pays n'a pas réussi à établir une industrie du gaz de schiste viable, malgré un fort soutien politique initial.
En Grande-Bretagne
Le Royaume-Uni a activement soutenu l'exploration du gaz de schiste pour sécuriser son approvisionnement énergétique. Il n’est plus exportateur net de gaz depuis 2004 et sa production domestique de gaz naturel est déclinante (- 44,5% entre 2007 et 2017) et cherche à faire émerger une nouvelle industrie.
Cependant, après des essais infructueux et des secousses sismiques causées par la fracturation hydraulique, un moratoire a été imposé en 2011 puis de nouveau en 2019.
Des microséismes (de magnitude 2,3 et 1,5 sur l’échelle de Richter avec des petites répliques) étaient survenus près de Blackpool en mai 2011. Par la suite, la législation prévoyait entre autres d'arrêter pendant au moins 18 heures toute opération de fracturation hydraulique dès lors qu’une activité sismique de magnitude égale ou supérieure à 0,5 sur l’échelle de Richter est détectée. Des opérations de fracturation hydraulique avaient reprises en octobre 2018 à Preston New Road ans le nord-ouest de l’Angleterre, pour la première fois depuis 7 ans, mais un tremblement de terre dans le Lancashire dû justement à cette production avait causé un autre arrêt.
L’EIA américaine (Energy Information Administration) avait déjà considéré dans ses évaluations que « la géologie britannique du schiste est beaucoup plus complexe » dans ce pays qu'en Amérique du Nord(7), avec des coûts de forage nettement plus élevés à prévoir.
Londres lève le moratoire sur la fracturation hydraulique en septembre 2022, malgré une contestation des Travaillistes, depuis revenus au pouvoir. La politique reste divisée, avec une opposition publique forte et des inquiétudes environnementales qui freinent le développement, malgré le soutien de certains acteurs économiques et politiques.
En Roumanie
La Roumanie a fortement envisagé l'exploitation du gaz de schiste, d'autant qu'elle dispose d'une industrie gazière établie. Elle disposerait des troisièmes plus grandes réserves récupérables de gaz de schiste en Europe.
En 2012, Chevron Corporation avait commencé à explorer le comté de Vaslui, dans le nord-est du pays, avant de se retirer en 2014, notamment après de fortes protestations locales.
Avec des manifestations publiques et des préoccupations environnementales croissantes, les autorités ont imposé un moratoire sur la fracturation hydraulique en 2015. Depuis, la politique nationale reste prudente sur le développement de cette ressource, et aucune exploration significative n'a repris.
En Allemagne
En Allemagne, un projet de loi encadrant l’extraction des gaz de schiste avait été présenté en février 2023. Suscitant un vif débat, celui-ci avait finalement été enterré par le gouvernement, peu avant les élections législatives.
Le gouvernement allemand a adopté en avril 2015 un projet de loi encadrant de manière très stricte l'utilisation de la technique controversée de la fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste, sans toutefois l'interdire sur tout son territoire. Il interdit toutefois l'emploi de la fracturation hydraulique pour extraire des hydrocarbures à des profondeurs inférieures à 3 000 mètres, or c'est justement cette possibilité que réclamait l'industrie.
La forte opposition environnementale et la transition vers les énergies renouvelables ont poussé l'Allemagne à privilégier d'autres sources d'énergie plutôt que le gaz de schiste. Depuis 2017, une loi interdit l'exploitation commerciale par fracturation hydraulique, sauf pour des projets de recherche strictement contrôlés.
En Ukraine
L'Ukraine a considéré le gaz de schiste comme une possibilité de réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. La crise ukrainienne de 2013 avait d'ailleurs intensifié ce débat.
Plusieurs projets d'exploration ont été lancés, notamment le gisement d'Oleski dans l'ouest du pays avec des entreprises étrangères, mais la guerre avec la Russie et des défis économiques et techniques ont entravé le développement. Malgré un intérêt initial, la situation géopolitique et les risques d'exploitation ont ralenti tout progrès significatif dans ce domaine.
A l'instar de l’Allemagne et de la Roumanie, le Danemark et l’Espagne avaient accordé des concessions, qui ont fini par expirer, sans même passer à la phase d’exploitation. D'autres pays, comme la Bulgarie, les Pyas-Bas, la Suède et la Norvège avaient aussi abandonné cette piste.