Terminal d'exportation de GNL de Golden Pass aux États-Unis, mis en service en 2024. (©Golden Pass LNG)
L'essor du gaz de schiste a permis aux États-Unis de devenir le premier producteur mondial de gaz naturel et un exportateur net depuis 2017. En 2023, le pays est devenu le plus grand exportateur de GNL, notamment vers l'Europe, en réponse à la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine. Cette transition vers l'exportation de GNL marque une transformation majeure de la position des États-Unis sur le marché énergétique mondial.
Aux origines : la révolution du gaz de schiste
L'essor du gaz de schiste aux USA a permis au pays de devenir le premier producteur mondial depuis 2010, et de ternir cette position aujourd'hui encore.
Près de la moitié du gaz extrait du sous-sol américain provient du bassin Permien (Texas) et de la région des Appalaches, où sont notamment situés les gisements de gaz de schiste de Marcellus et d’Utica (Pennsylvanie, Ohio, Virginie-Occidentale).
En milliards de mètres cubes de gaz naturel produit - Source : Enerdata - World Energy and Climate Statistics - Graphique : Selectra
Compte tenu de la croissance plus rapide de cette production par rapport à la demande domestique, les producteurs américains se sont tournés vers les exportations de GNL (gaz naturel liquéfié) dont le prix était élevé sur les marchés jusqu’en 2014, et sont repartis à la hausse lors de la reprise post-COVID. Le pays a effectué fin février 2016 ses premières livraisons de GNL à partir de l’unité Sabine Pass LNG (à destination du Brésil).
En 2017, les États-Unis exportaient plus de gaz naturel qu’ils n'en importaient pour la première fois depuis 1957.
En 2018, les États-Unis produisaient plus de gaz naturel qu’ils n'en consommaient pour la première fois depuis 1966. Un tiers est destiné à la production d’électricité et un autre pour l'industrie. Le gaz a supplanté le charbon comme première source d’énergie dans le mix électrique américain en 2016.
La montée en puissance du GNL constitue ainsi « une seconde révolution » gazière (après le schiste) pour les États-Unis selon les termes de Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE. Depuis 2023, les États-Unis sont devenus le principal exportateur mondial de GNL, devant l’Australie et le Qatar ; changeant totalement la donne énergétique mondiale en à peine quelques années.
En milliards de mètres cubes de gaz naturel exporté - Source : CIA World Factbook - Graphique : Selectra
Les 8 sites de liquéfaction de GNL aux États-Unis, la plupart au Texas, ont une capacité totale de 344 millions de mètres cubes en 2024. sont Sabine Pass, Cove Point, Corpus Christi, Cameron, Freeport, Elba Island et Calcasieu Pass et Golden Pass. C'est de là que partent les méthaniers.
A ceux-ci s'ajoutent 4 autres qui ont été autorisés et sont en cours de construction.
Le site historique de liquéfaction de gaz de Kenai en Alaska a cessé ses opérations en 2015, mais le terminal de Sabine Pass en Louisiane, qui a débuté ses exportations en 2016, dispose aujourd’hui de 5 unités de liquéfaction. Dans le Maryland, l’usine de liquéfaction de Cove Point a exporté son premier cargo de GNL le 1er mars 2018, constituant à l'époque le premier autre point de départ du GNL américain.
Les exportations américaines de GNL se sont envolées en 2017, grâce à l’usine de liquéfaction de Sabine Pass. (©Connaissance des Énergies, d’après l'EIA)
Les exportations de gaz naturel par pipeline vers le Canada et le Mexique ont elles aussi continué à grandir depuis la mise en service de Sabine Pass. (©Connaissance des Énergies, d’après l'EIA)
En 2021, les exportations de GNL des États-Unis ont pour la première fois dépassé le niveau de ses exportations gazières via gazoducs.
Entre le 1er trimestre 2021 et le 1er trimestre 2022, les exportations américaines de GNL ont même augmenté de 24,1%. (©Connaissance des Énergies, d’après EIA)
En avril 2023, les exportations américaines de GNL ont déjà atteint leur plus haut niveau historique(2). Et les États-Unis sont devenus les principaux exportateurs mondiaux de GNL au 1er semestre 2023, devant le Qatar et l'Australie(3). Ils ont fournit à eux seuls 80% de l'offre supplémentaire de GNL en 2023.
Une réorientation des flux vers l'Europe
L'Asie et l'Europe se sont longtemps partagé l'essentiel des exportations américaines de GNL.
Face à la concurrence de ces nouvelles capacités d’exportation américaines, le groupe russe Gazprom, premier exportateur mondial, a bien entendu souhaité préserver ses ventes vers l’Europe avec l’objectif affiché de conserver une part d’au moins 30% sur le marché européen à moyen et long terme. Pendant un temps, Gazprom a pu entraver l’export du GNL américain sur le marché européen en entretenant une volatilité des prix pour décourager les décisions de nouveaux investissements aux États-Unis.
Or si l'Asie avait capté une majeure partie du GNL américain lors de la reprise économique suite au COVID, les incertitudes liées à la guerre en Ukraine ont fait s'opérer un changement sur le marché, avec une réorientation de ces flux vers l'Europe.
Les États-Unis ont compté pour près de la moitié des importations européennes de GNL de janvier à avril 2022.
Plusieurs chiffres attestent de ce changement.
Près de 57% des exportations américaines de GNL entre décembre 2021 et février 2022 ont ainsi été livrées aux pays de l’UE et au Royaume-Uni, contre 27% durant la période de janvier à novembre 2021 (et 49% vers l’Asie). Et ce chiffre monte à 74% sur la période allant de janvier à avril 2022, contre 34% de ce total à la même période en 2021
Au cours de ces 4 premiers mois de 2022, les exportations américaines de GNL vers l’Union européenne et le Royaume-Uni ont triplé par rapport à la même période en 2021(1). Les États-Unis avaient d'ailleurs exporté en moyenne 11,5 milliards de pieds cubes de gaz par jour sous forme liquéfiée, soit 18% de plus qu’à la même période en 2021 grâce à des capacités d’exportations supplémentaires (Sabine Pass et Calcasieu Pass) et à une forte demande, provenant en particulier d’Europe.
« Les prix spot élevés du gaz naturel sur les plateformes commerciales européennes ont incité les acteurs du marché mondial du GNL à offrir une flexibilité de destination dans leurs contrats pour fournir davantage de GNL à l'Europe », explique l’EIA.
Au 4e trimestre 2022, les États-Unis ont compté pour 36% des importations de GNL de l'UE. (©Connaissance des Énergies, d'après Carbone 4)
Les États-Unis étaient déjà devenus les principaux fournisseurs de GNL de l’UE et du Royaume-Uni en 2021 mais ils comptaient alors pour seulement 26% des importations européennes. Dans le même temps, les exportations de GNL américain vers l’Asie ont chuté de 51% de janvier à avril 2022 par rapport à la même période en 2021. La Chine, acheteur important, n’a en particulier reçu que 6 cargaisons de GNL au cours des 4 premiers mois de 2022, souligne l’EIA, « en raison des mesures de confinement liées à la pandémie, d'un hiver doux et des prix spot élevés du GNL qui ont réduit la demande » chinoise.
L'Union européenne a donc très fortement augmenté ses importations de GNL provenant des États-Unis : la part du GNL américain dans la consommation de gaz naturel de l'UE est ainsi passée d’environ 5% en 2021 à 20% entre mi-décembre 2022 et mi-février 2023, indiquait en juillet dernier Alexandre Joly, responsable du pôle Energie du cabinet de conseil Carbone 4.
Ce qui faisait craindre à ce dernier le passage au sein de l'UE « d’une dépendance russe à une dépendance américaine ». Avec un impact important en matière d'émission de gaz à effet de serre : « le gaz américain émet 20% à 45% plus de gaz à effet de serre que le gaz russe au niveau des émissions amont » selon Alexandre Joly, en raison de l'extraction aux États-Unis de gaz de schiste (qui implique la consommation de davantage d'énergie que du gaz conventionnel, du fait des forages horizontaux, de la fracturation hydraulique, etc.), des fuites de méthane et des opérations de liquéfaction du gaz et du transport sur longue distance.
La France, qui interdit l'exploitation du gaz de schiste sur son territoire, est désormais le premier importateur de GNL en Europe, est l'un de ses principaux clients, et le premier en Europe.
Source : Ministère de la Transition Écologique - Graphique : Selectra
De nouvelles capacités d'exportations d'ici 2027
Selon l'EIA américaine (Energy Information Administration), alors même que les États-Unis occupent déjà une place centrale sur ce marché, 4 nouveaux projets de capacités de liquéfaction devraient être mis en service entre 2024 et 2027 : Port Arthur, Rio Grande, Plaquemines et Corpus Christi Stage III avec une capacité d'exportation cumulée de 7,7 Gft3/j)
3 autres projets au Canada (Woodfibre LNG et LNG Canada ; 2,1 Gft3/j) et 2 autres au Mexique (Energia Costa Azul et Fast LNG Altamira/Lakach ; 1,1 Gft3/j) feraient augmenter les capacités nord-américaines de 113% sur la période.
Pause dans l'autorisation de nouveaux terminaux méthaniers
Fin janvier 2024, Joe Biden annonçait qu'aucun nouveau permis d'exportation ne sera délivré aux États-Unis avant que le DOE n'ait actualisé son analyse de chaque projet. Pour la ministre de l'Energie, Jennifer Granholm, il s'agit de « mieux comprendre les besoins du marché, la demande et l'offre à long terme, ainsi que les facteurs environnementaux ».
Ce moratoire américain sur la construction de terminaux gaziers destinés à l'export concerne 17 potentiels sites, et pas les 4 déjà validés et en cours de construction.
Pour Ben Cahill, chercheur au Centre d'études stratégiques et internationales, « cette question concerne en fait ce qui se passera après, car les nouveaux projets de GNL américains viseraient à répondre à la demande attendue dans les années 2030 et 2040 ». Elle pourrait aussi générer une hausse des prix.
Le think tank IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis) a alerté fin octobre 2023 sur des surcapacités européennes d'importation de GNL à venir, compte tenu des projets de terminaux d'importation et des prévisions de la demande gazière. Au contraire, Eurogas, une association de 77 acteurs européens du gaz, avait exhorté les Américains à éviter une « interdiction ou limitation inutile ».
Quant à l'Asie, les prévisions demeurent à la hausse, même si des doutes subsistent au niveau des centrales thermiques, le gaz étant plus cher que le charbon ; alors même que les investissements dans les renouvelables continuent de croître fortement.
En marge de la conférence COP28 sur le climat en décembre 2023, plus de 250 organisations et groupes de défense de l'environnement avaient demandé à Joe Biden de ne plus autoriser de nouveaux terminaux GNL.