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Raffineurs de pétrole, producteurs d'électricité : suite à la crise de l'énergie, le Gouvernement a multiplié les taxes exceptionnelles sur les "rentes" supposées de certains secteurs économiques, afin notamment de financer le bouclier tarifaire. Sans en tirer à ce stade des recettes mirobolantes.
Taxer les superprofits
La Commission européenne (Conseil du 6 octobre 2022) avait indiqué qu'elle voulait réclamer une "contribution temporaire de solidarité" aux producteurs et distributeurs de gaz, charbon et pétrole qui réalisent des bénéfices massifs grâce à la flambée des cours consécutive à la guerre en Ukraine. L'objectif était de plafonner les recettes tirées du marché par les producteurs d’électricité à un niveau maximum de 180 €/MWh.
La France l'a transposée dans son budget 2023. avec des plafonds de prix de vente différents selon les filières bien en deçà du seuil mentionné au niveau européen (par exemple 90 €/MWh pour le nucléaire).
Cette "contribution sur les rentes inframarginales" (CRIM) des producteurs d'électricité a rapporté 400 millions d'euros en 2022, 300 millions d'euros en 2023 et devrait générer 100 millions de recettes en 2024.
À cela s'ajoute la hausse des redevances hydroélectriques, qui garnit les caisses de l'État à hauteur de 200 millions en 2022, 400 millions en 2023 et 1 milliard en 2024.
Selon le programme de stabilité, la "contribution exceptionnelle de solidarité" prévue pour 2022 sur les raffineurs pétroliers a généré des recettes d'à peine 100 millions d'euros. Dans le budget 2024, le gouvernement table en outre sur des recettes de 600 millions d'euros pour la taxe sur les infrastructures de transport, un prélèvement qui cible en priorité les sociétés concessionnaires d'autoroute.
La contribution de solidarité sur les profits des groupes énergétiques que TotalEnergies dit avoir payé en 2022 a été supérieure à deux milliards d'euros dans l'Union européenne et au Royaume-Uni.
Pourquoi une telle taxe ?
Les bénéfices de certains groupes producteurs d'énergie ont explosé pendant l'envolée des prix de l'énergie, avec des bénéficies records à la clé : 18 milliards de dollars pour le pétrolier Shell au deuxième trimestre 2022, 3,8 milliards pour Eni, 5,7 milliards d'euros pour TotalEnergies. L'espagnol Repsol a vu de son côté ses bénéfices croître de 165% depuis janvier.
La flambée des prix de l'énergie a parallèlement plongé des millions de ménages dans la précarité et des entreprises dans l'incertitude ; faisant dépenser aux États des sommes considérables pour les soutenir. L'OCDE a évalué à 169 milliards de dollars le soutien direct de ses États membres et certains partenaires à la consommation de combustibles fossiles entre octobre 2021 et la fin 2022.
"Ces entreprises n'enregistrent pas des bénéfices supplémentaires parce qu'elles ont investi, mais grâce à la guerre", constatait Jacob Kirkegaard, membre du groupe de réflexion German Marshall Fund à Bruxelles.
"Les gouvernements considèrent qu'il n'est pas politiquement acceptable que ces groupes gagnent autant d'argent alors que tout le monde souffre", selon lui.
Loin des recettes escomptées
"Les revenus du prélèvement sur les superprofits des producteurs d'électricité étaient estimés à 12,3 milliards d'euros en loi de finances initiale" pour 2023, a rappelé le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, mercredi lors d'une audition à l'Assemblée nationale.
L'écart avec les recettes effectivement perçues est "extraordinairement rare en matière de prévision fiscale", a-t-il poursuivi, et explique en partie le dérapage du déficit public à 5,5% du PIB en 2023, contre 4,9% anticipés par le gouvernement.
Le ministre délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave a reconnu que "la Crim n'a pas apporté du tout la recette attendue". "Quand on crée un impôt, c'est toujours difficile à calibrer", s'est-il défendu devant la commission des Finances de l'Assemblée nationale, attribuant ce moindre rendement à une forte baisse des prix de l'électricité depuis le moment où le dispositif a été conçu.
Un argument qui ne convainc guère Pierre Moscovici, pour qui l'exécutif lui-même avait déjà prévu un ralentissement de la hausse des prix quand il a imaginé la Crim. "Des analyses complémentaires sont en cours pour apprécier si d'autres facteurs ont pu jouer", a déclaré le patron de la Cour des comptes.
Le rendement constaté ou attendu des autres contributions exceptionnelles dégainées ces dernières années par le gouvernement - raffineurs, concessionnaires d'autoroute - est comparable à celui de la Crim.
Le faible rendement de ces différentes taxes et contributions est à mettre en regard du trou de 21 milliards d'euros dans les recettes fiscales de 2023, par rapport aux rentrées anticipées par l'exécutif. Mais il s'explique aussi par la volonté du gouvernement de privilégier la réduction des dépenses publiques, plutôt que d'augmenter les impôts, dans son entreprise de redressement des comptes publics.
Taxations ailleurs en Europe
Dernière en date, l'Espagne a annoncé à la mi-juillet une taxe sur les bénéfices extraordinaires des grandes entreprises énergétiques et financières qui pourrait rapporter quelque 3,5 milliards d'euros par an sur deux ans.
Auparavant, Londres a dévoilé fin mai l'instauration d'une taxation des bénéfices de 25% pour les géants du pétrole et du gaz, devant permettre de lever 5 milliards de livres. Un taux similaire à celui de l'Italie.
La Roumanie et la Grèce ont aussi imposé des mesures touchant des groupes d'énergie.
Cette taxation exceptionnelle touchant des producteurs d'énergie a par ailleurs reçu quelques soutiens inhabituels, à l'instar de l'OCDE, la Commission européenne et l'Agence internationale de l'énergie, à des degrés divers.