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Bruxelles dévoilera la semaine prochaine ses propositions sur la "taxonomie verte", liste européenne des investissements respectueux de l'environnement - sous la pression d'ONG, experts et eurodéputés qui s'alarment d'éventuels reculs et dénoncent la possible inclusion du gaz naturel.
Eurodéputés et États de l'UE s'étaient mis d'accord en décembre 2019 pour créer un système de classification des activités économiques durables et définir les standards de la finance verte, destinés à conditionner l'accès à certains capitaux ou subventions.
Reste son application pratique: la Commission européenne doit publier mercredi sa proposition déclinant les critères précis visant soit à atténuer le changement climatique, soit à s'y préparer.
Un second texte doit être proposé d'ici fin 2021, couvrant quatre autres thèmes (ressources marines, économie circulaire, lutte anti-pollution, biodiversité). Pour être considéré comme "vert", un investissement devra répondre à l'un de ces objectifs, sans nuire aux cinq autres.
Ces textes, juridiquement contraignants, peuvent simplement être rejetés en bloc par le Parlement européen ou une majorité d'Etats. Or, une fuite du projet de la Commission, fin mars, a provoqué une levée de boucliers.
Dans une lettre aussitôt envoyée à la Commission et consultée par l'AFP, neuf des experts consultés par l'exécutif européen ont menacé de cesser toute coopération, dénonçant des critères "en évidente contradiction avec la science climatique". "Ils sont insuffisants et contre-productifs", susceptibles de devenir "un outil de greenwashing" et de détourner les investisseurs de projets plus vertueux, s'alarment-ils.
Le projet permet notamment - jusqu'en 2025 - de remplacer des centrales à charbon par des centrales au gaz, investissement qualifié de "vert" au titre d'"activité de transition". Le niveau maximal d'émissions pour ces nouvelles installations serait relevé à 270 g de CO2 par kWh produit, contre 100 g de CO2 par kWh pour les autres énergies dans la "taxonomie".
Adieu la neutralité carbone ?
Parmi les signataires, Sébastien Godinot, économiste de l'ONG WWF, fustige le "chèque en blanc" aux exploitants de gaz et le danger de "verrouillage", c'est-à-dire de dépendance prolongée aux énergies fossiles.
"Ces centrales seront là pour 40 ans, cela contredit nos objectifs climatiques", abonde l'eurodéputé vert néerlandais Bas Eickhout, selon qui un tel texte "saperait fondamentalement le Pacte vert européen". "On pourrait dire adieu à la neutralité carbone pour 2050", fulmine-t-il, jugeant que cette version "ne passera pas au Parlement".
Cinq États (Autriche, Danemark, Irlande, Luxembourg, Espagne) ont également écrit un courrier commun à la Commission pour s'opposer à l'inclusion du gaz dans la taxonomie avec un plafond d'émissions relevé, selon des sources concordantes.
Le gaz émet moins de CO2, mais si au cours de son acheminement et exploitation, "il libère 3% de son méthane dans l'atmosphère, il est plus dangereux que le charbon", avertit M. Godinot, le méthane entraînant un effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2.
« Faille » sur les forêts
Autre point vivement contesté: des critères jugés laxistes pour l'exploitation forestière, le simple respect des législations actuelles suffisant à obtenir un sceau de "durabilité".
De plus, les exploitants de parcelles de moins de 25 hectares ne seront pas obligés de prouver qu'ils contribuent à "atténuer le changement climatique", relève dans une lettre ouverte un consortium de 70 ONG européennes, dont ClientEarth, Global Forest Coalition et Nabu.
Alors que les deux-tiers des propriétaires de forêts dans l'UE possèdent moins de 3 hectares, "c'est une faille aux proportions désastreuses", notent-elles, rappelant que "l'exploitation forestière actuelle a massivement réduit la biodiversité et décime les puits de carbone" naturels.
Autre critique : la bioénergie (tirée de la biomasse) serait automatiquement qualifiée de durable sans critères suffisamment exigeants - même si des terres agricoles pour alimenter ces centrales font un usage excessif des sols et des ressources en eau.
Selon un document dévoilé jeudi par le site Contexte, ces critiques ont conduit la Commission à envisager désormais une procédure législative ordinaire, plus longue, en codécision avec eurodéputés et Etats.
Par ailleurs, elle repousserait au 4e trimestre la présentation d'une "proposition législative distincte", couvrant spécifiquement le secteur de l'énergie -- gaz, bioénergie, mais aussi le nucléaire, autre pomme de discorde que Bruxelles avait d'emblée décidé d'examiner ultérieurement.
Des modifications qui ne sont pas encore confirmées par la Commission : "le texte est toujours en développement. A ce stade, nous parlons d'une approche générale sur le gaz, il faut des analyses plus poussées".