Les « e-fuels » : quel rôle dans la transition énergétique ?

Charlotte de Lorgeril et Antoine Hurillon

Charlotte de Lorgeril, Partner Energy, Utilities & Environment - Sia Partners.
Antoine Hurillon, Consultant Energy, Utilities & Environment - Sia Partners.

 

Les carburants de synthèse constituent des solutions de substitution, fongibles dans le système énergétique, pour décarboner les secteurs sans alternatives. Ces e-fuels sont un complément nécessaire dans la boite à outils européenne pour atteindre les objectifs climatiques à court, moyen et long terme.

Les e-fuels sont des carburants de synthèse fabriqués en utilisant de l'électricité décarbonée, ce qui revient à stocker cette énergie électrique dans les liaisons chimiques des carburants liquides ou gazeux. Il s’agit de recomposer un carburant, dit « de synthèse », à partir de CO ou de CO2 et d’hydrogène grâce à divers procédés chimiques ou biochimiques.
Pour que ces produits soient écologiquement vertueux, il faut bien sûr les produire de façon propre, sans constituants d’origine fossile, que ce soit pour la matière première (CO2 récupéré de l’industrie, H2 électrolytique) ou l’énergie utilisée (solaire, éolien, hydraulique, nucléaire…).

Vecteurs d’énergie électrique, ils permettent une électrification indirecte des usages existants pour compléter l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’électrification directe, afin notamment de verdir les intrants des secteurs les plus difficiles à décarboner tels que la mobilité lourde (carburants pour l’aérien et le maritime) et l’industrie chimique (réactifs pour les transformations), et de recycler le CO2 non évitable émis par certaines industries comme la production de ciment.

Les e-fuels représentent une opportunité de décarboner les transports car ils sont bas carbone et utilisables directement dans les moteurs à combustion interne existants, et le CO2 émis lors de leur combustion est équivalent à celui capturé pour les produire(1).

Le coût de revient des e-fuels est aujourd’hui 2 à 7 fois plus élevé en comparaison avec leurs équivalents fossiles.

Ces carburants sont des leviers de décarbonation dont la compétitivité reste toutefois à renforcer afin de déployer tout leur potentiel dans le cadre de la transition énergétique, avec une production à venir qui sera localisée dans les territoires. Le coût de revient des e-fuels est aujourd’hui 2 à 7 fois plus élevé en comparaison avec leurs équivalents fossiles.

La production des e-fuels permet des synergies industrielles en favorisant une économie circulaire entre les intrants et les co-produits de différents secteurs (acier, ciment, biomasse…). Ils bénéficient d’une meilleure performance que les accumulateurs électriques pour le stockage de longue durée et sont facilement transportables par les réseaux et les véhicules. Enfin, leur simplicité d’utilisation est un atout de taille, leur distribution pouvant notamment reposer sur les infrastructures de transport existantes et les usages ne nécessitant pas de modifications majeures pour avoir recours à ces produits.

Cartographie des carburants de synthèse

Cartographie des carburants de synthèse (source : Observatoire français des e-fuels, Sia Partners, juillet 2023)

Le cadre réglementaire au niveau européen

Les e-fuels constituent un moyen de substitution bas-carbone en bout de chaîne lorsque les autres solutions se révèlent peu adaptées, et permettent de simplifier l’utilisation et le stockage d’énergie électrique renouvelable. En amortissant le cycle de vie des usages thermiques et en réduisant leur empreinte carbone, les e-fuels font l’objet de deux nomenclatures propres à l’Union européenne : les RFNBO (Renewable Fuels of Non-Biological Origin) et les LCFNBO (Low-Carbon Fuels of Non-Biological Origin) dont les cadres réglementaires sont en cours de définition depuis les premiers objectifs climatiques européens :

  • 2015 : Accord de Paris à la suite de la COP21, traité international visant l’objectif mondial de limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C, de préférence 1,5°C, par rapport au niveau préindustriel ;
     
  • 2019 : Pacte Vert pour l’Europe, feuille de route européenne élaborée pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris avec l’ambition de faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone à l’horizon 2050 ;
     
  • 2021 : Paquet « Fit for 55 », objectif intermédiaire de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, reposant sur un paquet de 13 propositions ;
     
  • 2021 : Directive RED II (EU) 2018/2001, acte européen du paquet « Fit for 55 » encadrant le développement des EnR et visant une part d'énergie renouvelable de 14% dans la consommation finale du secteur du transport européen d’ici 2030 ;
     
  • 2023 : Actes délégués relatifs aux RFNBO, définition des critères de production des RFNBO, notamment concernant la production d’hydrogène, l’approvisionnement en électricité bas carbone, la méthodologie d’évaluation des émissions de gaz à effet de serre (GES).

En particulier, l’acte délégué à l’article 27(3) de la directive 2018/2001 (RED II) définit les critères de production des RFNBO. Pour un mix électrique avec un facteur d’émission inférieur à 18g CO2eq/MJ (cas de la France) et concernant les électrolyseurs connectés au réseau, il est nécessaire de recourir à un approvisionnement en électricité renouvelable via des PPA (Power Purchase Agreements), de satisfaire une corrélation géographique (dans la même « binding » zone que les PPA) et une corrélation temporelle (au pas mensuel jusqu’au 31/12/2029, puis au pas horaire)(2).

Enfin, des cibles européennes sont définies par la directive RED II, avec un seuil de réduction minimal d’émissions de gaz à effet de serre des RFNBO par rapport à leurs équivalents fossiles de 70% et avec une cible de 1% à l’horizon 2030 pour l’incorporation de RFNBO dans la part d’EnR (elle-même ciblée à 29%) de l’énergie finale consommée par le secteur du transport en Europe. Les plans sectoriels établissent des objectifs plus précis et progressifs par secteur :

  • dans l’industrie : l’accord provisoire de la Commission, du Conseil et du Parlement européens sur la directive RED III, en date du 30 mars 2023, table sur un objectif de 42% de RFNBO dans l’UE en 2030 parmi l’hydrogène et ses dérivés, et de 60% pour 2035 ;

  • dans le transport aérien : ReFuelEU Aviation vise 28% de RFNBO dans la consommation finale pour 2050 avec notamment un jalon intermédiaire à 2035 fixé à 5% ;

  • dans le transport maritime : le plan FuelEU Maritime fixe un objectif de 2% de RFNBO pour 2034 avec des conditions d’applicabilité selon les critères techniques des navires.

Les voies de synthèse des e-fuels sont nombreuses

Pour produire des e-fuels, il est nécessaire d’avoir des intrants (électricité, eau, dioxyde de carbone, diazote pour l’ammoniac, biomasse pour les e-biofuels), des intermédiaires réactionnels (dihydrogène, syngaz ou gaz de synthèse), du foncier disponible pour les infrastructures industrielles et diverses briques technologiques combinées pour créer une chaine de production intégrée, avec notamment l’électrolyse de l’eau, la méthanation catalytique ou biologique, la méthanolation, la réaction inverse de l’eau au gaz et le procédé Fischer-Tropsch.

En fonction des procédés déployés, la maturité des différentes voies de synthèse est comprise entre le pilote ou démonstrateur et le projet industriel déjà opérationnel. Les procédés de fabrication des principaux e-fuels sont globalement matures mais leurs rendements sont en cours d’amélioration. Certains e-fuels sont d’ores et déjà certifiés et incorporés dans l’industrie et les transports aérien, maritime et terrestre.

De nouvelles technologies d’électrolyse font actuellement l’objet d’études avancées pour améliorer l’efficacité énergétique de la production d’hydrogène afin de réduire les coûts et de verdir davantage la filière. La co-électrolyse, la thermolyse ou encore la synthèse directe CO2-FT font l’objet de travaux de R&D et sont prometteuses pour l’avenir des filières dérivées de l’hydrogène.

La filière est amenée à s’industrialiser rapidement avant 2030 sur l’ensemble du territoire français

  • Gisement de dioxyde de carbone

L’utilisation du CO2, industriel non évitable ou biogénique (produit par la décomposition de matières organiques d’origine biologique et considéré comme neutre pour le climat car il est issu d’un cycle court du carbone), présente un fort intérêt pour développer des symbioses industrielles régionales. La DAC (captage directe de CO2 dans l’air) présente un intérêt local lorsque le CO2 biogénique est peu disponible, mais son efficacité reste faible et ses coûts élevés, d’autant plus que les gisements non évitables et biogéniques actuels suffisent à couvrir les besoins de la filière en France.

Notre étude estime à 53 Mt le gisement annuel valorisable de CO2 en France métropolitaine dont :

  • 2% de CO2 biogénique, captable lors des procédés mettant en jeu de la biomasse comme les filières biogaz, biocarburants, pâte à papier, déchets organiques, bois-énergie, cogénération, etc. ;
  •  22% de CO2 industriel non évitable, produit principalement par des industries lourdes comme le ciment (dont les réductions d’émissions induisent des coûts prohibitifs ou sont impossibles avec la technologie moderne) ;
  • 76% de CO2 industriel évitable, produit lors de certains procédés industriels et qui peut être évité grâce à des mesures d’efficacité énergétique, de substitution technologique ou aux sources d’énergie renouvelables/bas carbone.

La région des Hauts-de-France concentre le plus gros gisement captable (15 Mt par an), notamment du fait de sa production industrielle d’acier, devant la région de Provence-Alpes-Côte d'Azur avec 11 Mt et son hub industriel lié aux activités portuaires.

Nous estimons la capacité prévisionnelle de production d’e-fuels à 528 ktep/an dès 2030 en France...

  • Cartographie des projets prévus

Les projets sont principalement portés par de grands énergéticiens et transporteurs, mais également des PME industrielles, des acteurs de l’industrie lourde et de de la valorisation de la biomasse pour ce qui concerne les e-biocarburants. La R&D est aujourd’hui orientée vers les « SAF » (Sustainable Aviation Fuels) en raison des enjeux prioritaires de décarbonation de l’aviation mais des perspectives prometteuses émergent pour le transport maritime. Ces molécules peuvent également être injectées dans le réseau gazier et incorporées dans l’industrie et la chimie. Pilotes et démonstrateurs s’implantent sur l’ensemble du territoire pour répondre à une dynamique territoriale.

Nous estimons la capacité prévisionnelle de production d’e-fuels à 528 ktep/an dès 2030 en France en incluant les projets prévus à l’horizon 2030 pour lesquels une communication publique a été réalisée à date. A titre de comparaison, ce volume représente plus de 6 000 vols Paris – New-York en A380(3).  Par ailleurs, certains projets combinent la synthèse d’e-fuels avec une production de biocarburants(4).

On retrouve parmi les porteurs et partenaires des projets, de manière non exhaustive, Elyse Energy, Avril, BioNext, IFP Investissements, Axens, Vicat, Hynamics (filiale d’EDF), Gazel Energie, Hy2Gen, Infinium, Engie, ArcelorMittal, Storengy, Lafarge, Air France, groupe ADP, Sunfire, Safran, Airbus, Khimod, GRDF, Elogen, le CEA, Prodeval, CMA CGM, McPhy, GRTgaz, Energo.

Les démonstrateurs cartographiés sont Avebio, STEP Perpignan, Thyreco, Methycentre, Jupiter 1000, Energo, Gaya et SIAH Croult. Les projets visant une production industrielle sont eM-France (eM-Lacq, eM-Rhône, eM-CTY et NeoCarb), BioTJet, Hynovi, Hynovera, Reuze, Hycaunais, Take Kair, KerEAUzen, Trifyl, Bergeracois, MassHylia, Pau’wer et Occi-Biome.

  • Implantation sur le territoire

On dénombre aujourd’hui 24 projets d’implantation (tous stades d’avancement confondus) répartis sur 18 départements métropolitains. Parmi eux, 12 projets sont destinés à la production et à l’injection d’e-méthane pour décarboner le réseau gazier et représentent moins de 1% de la capacité totale, tandis que la production annoncée est dominée par l’e-kérosène (7 projets pour 48% de la production) et par l’e-méthanol (5 projets pour 51% de la production).

On dénombre 8 projets démonstrateurs parmi lesquels une majorité d’e-méthane et 16 projets industriels reflétant notamment l’accélération des filières e-méthanol et e-kérosène en vue de leur commercialisation.

Le Grand Est, la Bretagne et la Corse sont les seules régions qui ne font pas encore l’objet de projets d’implantation en métropole. Les projets cartographiés sont déjà opérationnels ou prévoient une mise en service qui s’étend d’aujourd’hui jusqu'à 2028.

La chaîne de valeur se renforce

  • Vue d’ensemble

Sur l’ensemble des projets cartographiés, la production estimée à 528 ktep d’e-fuels d’ici 2030 nécessitera un volume important d’électricité bas carbone en majorité consommée par l’électrolyse, de l’eau et une empreinte au sol des plateformes industrielles relativement réduite. Le CO2, biogénique ou non évitable, semble suffisant. Bien que leurs équivalents d’origine biologique ou fossile soient moins intenses en électricité, les e-fuels sont les seuls carburants à recycler du CO2 non évitable en proposant une solution de stockage chimique stable de l’énergie électrique.

Pour le périmètre étudié en 2030 et sur la base des projets annoncés en France, il faudra 1,7 Mt de CO2, 14 TWh d’électricité bas carbone, 4 620 ML d’eau et 180 hectares de foncier disponible pour implanter les usines.

Ramenés à l’unité de la tonne équivalent pétrole, ces volumes à mobiliser correspondent à :

  • pour 1 tep de e-méthane : 2,2 t CO2, 25 MWhe, 3,4 m²/an de foncier et 8,5 kL d’eau ;
  • pour 1 tep de e-méthanol : 2,9 t CO2, 26 MWhe, 3,4 m²/an de foncier et 12 kL d’eau ;
  • pour 1 tep de e-kérosène : 3,6 t CO2, 27 MWhe, 3,4 m²/an de foncier et 5,0 kL d’eau.

Et par unité de masse :

  • pour 1 t de e-méthane : 2,9 t CO2, 33 MWhe, 4,5 m²/an de foncier et 11 kL d’eau ;
  • pour 1 t de e-méthanol : 1,3 t CO2, 11 MWhe, 1,5 m²/an de foncier et 5,2 kL d’eau ;
  • pour 1 t de e-kérosène : 3,7 t CO2, 28 MWhe, 3,6 m²/an de foncier et 5,2 kL d’eau.

Globalement, la production des carburants synthétiques consomme plus d’électricité que les carburants fossiles et les carburants biologiques équivalents, moins d’eau que les biocarburants en considérant l’irrigation de la biomasse, moins de foncier en excluant la production d’électricité renouvelable et utilisent du carbone biogénique (au même titre que les biocarburants) ou industriel non évitable, en rupture avec l’usage de carbone fossile pour les carburants conventionnels.

Les ressources à mobiliser pour les filières e-fuels à l’horizon 2030 en France doivent être approvisionnées le plus localement possible pour favoriser l’économie circulaire et les synergies industrielles dans les territoires.

  • Besoin de CO2

Le captage de CO2 d’origine biogénique ou industrielle non évitable constitue une émission « négative » et compense celle de la combustion ou de la décomposition, l’empreinte carbone dépendant alors des procédés de fabrication et de la logistique, notamment le transport en amont et en aval de la chaîne de production. La réduction des émissions sur l’ensemble du cycle de vie peut atteindre plus de 90% par rapport aux équivalents fossiles.

Le besoin en dioxyde de carbone pour les projets prévus en 2030 est évalué à 1,7 Mt. Les principaux projets d’e-fuels sont en grande majorité localisés à proximité de complexes industriels fortement émetteurs de CO2, afin de minimiser les coûts et les émissions liées au processus de captage et de s’inscrire dans une logique d’économie du carbone circulaire et locale. Les problématiques sont liées à l’acheminement et au développement de réseaux de CO2 pour subvenir aux demandes élevées de la synthèse d’e-fuels, dans la mesure où le gisement actuellement valorisable semble déjà suffisant. La méthanation, biologique ou catalytique, peut être combinée à la méthanisation pour favoriser les synergies et optimiser le gisement biogénique.

Par exemple, situé à proximité de la zone industrielle et portuaire de Dunkerque, le projet Reuze, porté par Engie et Infinium, vise à transformer et valoriser 300 kt de CO2 par an à partir des émissions des installations de sidérurgie d’ArcelorMittal, présentes dans les environs immédiats, avec un objectif de production de plus de 100 kt de carburants et de naphta par an à terme.

  • Besoin électrique

Le recours aux e-fuels permet d’électrifier de manière indirecte (via une multitude de vecteurs gazeux et liquides dérivés de l’hydrogène) des usages difficilement électrifiables et le besoin d'électricité bas carbone (c'est le cas du mix électrique français) est l’un des enjeux prioritaires d’approvisionnement de la filière.

Nous estimons que plus de 14 TWh d’électricité bas carbone par an (renouvelable ou nucléaire) seront nécessaire pour réaliser uniquement les ambitions déjà annoncées. Cela inclut la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau qui représente 85% du besoin électrique de la chaîne de valeur. Les producteurs d’e-fuels s’accordent à dire que l’électricité est la ressource critique de la chaîne de production, consommée en grande majorité par l’électrolyse de l’eau pour produire l’hydrogène. Au-delà des contraintes réglementaires (PPA, corrélations géographique et temporelle, critère d’additionnalité), fournir plus de 14 TWh d’électricité bas carbone par an pour la filière soulève des questions économiques et technologiques majeures, notamment pour l’allocation des ressources. Le déploiement rapide de nouveaux moyens de production sera nécessaire à son développement. La France jouit d'une situation favorable grâce à son parc électronucléaire et hydraulique qui permet de connecter des projets en base.

Par exemple, implanté sur le site de la cimenterie Vicat de Montalieu-Vercieu pour valoriser une partie de ses émissions de CO2, le projet Hynovi vise à produire 125 kt/an d’e-méthanol dès 2025 grâce à l’installation sur site d’un électrolyseur Hynamics d’une puissance de 180 MW soit près de 1,6 TWh/an dans l’hypothèse d’un facteur de charge à 100%.

  • Besoin hydrique

Il faut distinguer l’eau utilisée dans le procédé d’électrolyse produisant l’hydrogène, que l’on considère consommée (19%), de celle utilisée dans les étapes de synthèse industrielle des e-fuels, par exemple en tant que liquide de refroidissement en circuit fermé ou dans les procédés de lavage et de purification, que l’on considère prélevée puis restituée (81%). Une majorité de l’eau industrielle prélevée est recyclée ou restituée après son utilisation.

Le besoin hydrique annuel est estimé à 4 650 ML, dont 880 ML consommés (prélèvement net) et 3 740 ML prélevés et restitués (prélèvement brut auquel on retranche le prélèvement net). L'utilisation de l’eau pour la filière e-fuel peut poser des défis d’approvisionnement quand les besoins locaux d’autres secteurs peuvent exercer une tension, comme l'agriculture et les besoins industriels. Le besoin hydrique de la filière est dominé par ses procédés industriels. Par ailleurs, l'eau utilisée pour la production d’hydrogène doit être d’une grande pureté afin d’éviter les contaminants qui affectent les performances des électrolyseurs ou entraînent un phénomène de corrosion sur les machines de production. Les procédés chimiques génèrent des sous-produits indésirables tels que des gaz résiduels ou des produits issus du traitement de l’eau, qu’il faut donc recycler, réutiliser dans les procédés ou évacuer.

Par exemple, à la suite de la concertation publique, les porteurs du projet Hynovera ont décidé de réduire de moitié la capacité totale de l’installation en abandonnant la production d’e-méthanol. Avec l’objectif de 25 kt/an d’e-bioSAF dès la phase 2 du projet en 2030, l’unité industrielle devrait consommer entre 350 et 400 ML d’eau annuellement.

  • Besoin foncier

Le besoin foncier matérialise les surfaces d’exploitation nécessaires à la chaîne de production des e-fuels, depuis les électrolyseurs qui fournissent l’hydrogène jusqu’aux plateformes de synthèse intégrant les divers réacteurs (méthanation, méthanolation, Fischer-Tropsch, etc.). Il est exclu de cet indicateur l’empreinte au sol des dispositifs de captage du CO2 qui sont associés aux installations industrielles partenaires, ainsi que le besoin foncier électrique nécessaire à l’alimentation bas carbone des électrolyseurs et des autres procédés.

Le besoin estimé à 180 hectares est relativement faible en comparaison avec d’autres filières conventionnelles ou alternatives. Cette estimation du besoin foncier industriel pour les procédés de synthèse est réalisée avec des hypothèses fixées sur la base de données d’Elyse Energy. Le besoin foncier relatif à l’électrolyse est pris arbitrairement à hauteur de 20% du besoin foncier industriel des procédés de synthèse. Le besoin foncier électrique (empreinte au sol des moyens de production d’électricité) peut être évalué en complément, selon le mix français (2 400 hectares) ou avec un scénario EnR à 50% photovoltaïque et à 50% éolien (7 700 hectares)(5).

Par exemple, le projet eM-Rhône, implanté sur la plateforme chimique des Roches-Roussillon, ambitionne de produire 150 kt/an d’e-méthanol. Ses installations devraient occuper près de 10 hectares dans la Vallée de la Chimie, soit près de 7% de la surface totale de la plateforme multi-opérateurs d’Osiris qui couvre 150 hectares et accueille une quinzaine d’entreprises.

Les filières d’e-fuels induisent des externalités positives sur l’économie et la société

  • Impact social

Les emplois estimés sur la base des projets prévus représentent à la fois des créations directes liées aux activités de production des e-fuels, d’électrolyse de l’eau et de support et d’administration, et des créations indirectes sur la chaîne de valeur (logistique, commerciale…). Au total, près de 4 000 emplois pourraient être créés en France dont 28% d’emplois directs, 49% d’emplois indirects et 23% d’emplois induits.

Ce nombre d’emplois créés total correspond à environ un tiers des emplois des raffineries de pétrole en France, et à près de 5% des emplois totaux (directs et indirects) liés à l’industrie des carburants fossiles en France. Les emplois nécessaires à la construction des infrastructures, et plus largement pour toutes les activités en amont de la mise en service, ne sont pas évalués dans cet indicateur.

Le principal enjeu est la nécessité de développer les compétences techniques et professionnelles nécessaires dans des temps limités, nécessitant des programmes de formation et de reconversion adaptés pour garantir que les emplois créés par la filière soient opérationnels le plus tôt possible. De la même façon, il sera primordial de valoriser le savoir-faire industriel français présent sur des secteurs proches, et de le développer sur cette nouvelle filière notamment grâce à la professionnalisation des formations (lycées professionnels, apprentissages…). Les métiers existant déjà, ces compétences à développer restent cependant marginales.

  • Impact environnemental

En capitalisant sur les 2 leviers de décarbonation principaux (électricité et capture de dioxyde de carbone), la synthèse d’e-fuels est un moyen efficace de construire une économie du carbone circulaire. Les émissions de carbone évitées grâce à l’utilisation d’e-fuels dépasseraient d’ores et déjà le seuil minimal de réduction inscrit dans les actes délégués de la directive RED II relatifs aux RFNBO (réduction de 70% de GES), selon les hypothèses de calcul retenues.

Le mix électrique utilisé pour alimenter les électrolyseurs est le principal poste émetteur de la chaine de valeur, il est donc nécessaire de développer une production d’électricité bas carbone pour verdir la filière.

  • Impact économique

D’importants investissements seront nécessaires pour financer la recherche et le développement, la construction de nouvelles installations de production d’e-fuels ou la conversion et modernisation de sites industriels existants dédiés à d’autres activités.  Les dépenses d’investissement (CAPEX) nécessaires à la filière pour développer les 24 projets identifiés à l’horizon 2030, s’élèvent à 3,6 milliards d’euros. La production de carburants de synthèse est rentable à long terme et peut être soutenue par des mécanismes liés au développement de l’industrie verte.  

Impact commercial

Les carburants synthétiques substituent de l’énergie fossile importée par des alternatives bas carbone produites localement. Leur impact sur la balance est donc extrêmement positif, avec des avantages en termes économiques, de souveraineté énergétique et de réduction des risques d’approvisionnement. La relocalisation en France de la chaîne de valeur de production de carburants et combustibles aura par ailleurs un impact positif d’un point de vue fiscal et pourra contribuer en ce sens au financement de mesures d’amortissement des impacts des fluctuations des cours des énergies sur les marchés régionaux ou mondial. Nous estimons avec les prix actuels de l’énergie, que les projets annoncés permettront un bénéfice de 506 M€ par an sur la balance commerciale de la France, dès 2030(6).

Alors que la France semblait en retard, les projets se multiplient…

En résumé, les projets annoncés à date représentent déjà une capacité de production en France de 528 ktep à l’horizon 2030, dont 272 ktep d’e-méthanol et 254 ktep d’e-kérosène. Ils permettraient d’éviter l’émission de près de 1,7 Mt de CO2 par an en relocalisant une partie des approvisionnements du pays et en initiant une filière d’export. Les projets annoncés nécessiteraient 14 TWh d’électricité bas carbone, dont 85% pour le procédé d’électrolyse de l’eau et 15% pour la synthèse des e-fuels elle-même. L’Union européenne porte une ambition forte pour le déploiement des e-fuels, perçus comme un complément nécessaire aux autres leviers pour atteindre la neutralité carbone et offrir des solutions aux secteurs les plus difficiles à décarboner.

Dans l’hypothèse d’un mix électrique 100% EnR, les e-fuels permettent jusqu’à 93% d’émissions réduites pour décarboner l’industrie et la mobilité lourde. La production d'e-fuels permet de substituer des molécules fossiles et importées par une production locale et durable, participant à la souveraineté énergétique nationale. Les filières créeront de l’emploi et de l’activité pour les territoires, participeront à la pérennisation des actifs industriels et faciliteront l'export du savoir-faire des industriels français.

La filière des e-fuels en France présente un fort potentiel de développement, grâce à la demande croissante pour des carburants propres et renouvelables dans les secteurs difficiles à décarboner. Cependant, le développement de cette filière nécessitera des investissements importants et une planification rigoureuse pour atteindre son plein potentiel. Plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour favoriser le développement de la filière des e-fuels en France, notamment en encourageant les investissements, en favorisant les synergies entre les différents acteurs de la filière et en sensibilisant le grand public aux avantages des e-fuels. Historiquement, la France a été un pionnier dans le domaine de l'énergie nucléaire, avec une forte expertise dans la production d'électricité bas carbone. Cette expertise peut être mise à profit pour développer la filière des e-fuels, en utilisant l'électricité nucléaire pour produire des carburants synthétiques.

Cette tribune fait suite à la première publication de l’Observatoire français des e-fuels en juillet 2023.

L’Observatoire français des e-fuels, piloté par Sia Partners avec l’appui des experts du Bureau français des e-fuels, a pour objectif de donner une vue d’ensemble de la filière e-fuels en France. Sa première étude, publiée en juillet 2023, sera régulièrement mise à jour pour suivre au mieux l’évolution du secteur.

 

Sources / Notes

  1. La comptabilité carbone dans le cas d’un captage industriel fait cependant l'objet de discussions et la question du double-comptage est à formaliser afin d’attribuer les émissions évitées soit à l’industriel émetteur, soit au consommateur d’e-fuels. 
  2. En France, le critère d’additionnalité des actifs d’énergies renouvelables et le critère d’absence d’aides d’État ne sont donc pas applicables au regard du mix électrique.
  3. La consommation d’un A380 est de 106 000 L, soit 85 tonnes pour réaliser Paris – New-York (6 000 km)
  4. Lorsqu’ils ne communiquent pas sur le volume d’hydrogène injecté, la part d’e-fuels choisie correspond à 50% du contenu énergétique des e-biocarburants (hypothèse Elyse Energy et Secrétariat Général à la Planification Écologique, cohérente avec les données techniques disponibles). 
  5. L’empreinte au sol relative à la production de l’hydrogène électrolytique et de sa combinaison avec le carbone pour synthétiser les e-fuels est faible en comparaison au foncier industriel nécessaire aux autres filières énergétiques, telles que les raffineries conventionnelles pour produire des carburants d’origine fossile. En tenant compte du foncier électrique, 13 à 43 fois plus important que le foncier industriel selon le type de production d’électricité retenu, le besoin foncier total de la filière ramené à la tep est tout de même d’environ 5 fois inférieur à celui des biocarburants équivalents. L’enjeu n’est pas tant sur le besoin foncier intrinsèque de la filière mais plutôt sur la localisation, la concurrence entre les activités industrielles et la disponibilité sur les plateformes d’implantation.
  6. Si cette projection de l’impact sur la balance commerciale reste sensible aux variations de prix des matières premières et du Brent, notamment sur des périodes exceptionnelles ( Covid, conflit ukrainien, etc.), il est estimé que le e-méthane contribuera à hauteur de 1 M€, le e-kérosène à hauteur de 202 M€ et le e-méthanol à hauteur de 303 M€ à l’amélioration de la balance commerciale, soit 516€/tep de méthane, 1 116€/tep de méthanol et 793€/tep de kérosène.

Les données et informations fournies dans le cadre de cette publication sont le résultat d'analyses internes basées sur des informations publiques et disponibles. Sia Partners fournit cet outil à titre d'information uniquement et ne peut être tenu responsable de l'exactitude ou de l’exhaustivité des données. Les sources utilisées sont référencées sur les pages correspondantes. Ce sont des sources étatiques ou officielles (Ademe, Secrétariat Général à la Planification Écologique, Commission Européenne, etc.), des sources provenant d'associations liées au secteur des e-fuels et d'organisations sectorielles (Evolen, France Hydrogène, eFuel Alliance, etc.), des sources indépendantes de travaux de recherche scientifique (Journal of Cleaner Production, Journal of Hydrogen Energy, Dr. Chris Malins, etc.), des sources d’acteurs privés producteurs et consommateurs d’e-fuels ou porteurs de projets (CMA-CGM, Engie, Hynamics, etc.) et enfin, toutes les sources de données publiques en accès libre.

Commentaire

Serge Rochain
Dans le seul tableau comparatif montré ici on ne voit pas la colonne du rendement entre l'énergie nécessaire à la production de ces e-carburant et la quantité d'énergie que l'on peut ensuite exploité de ces e-carburant..... c'est pourtant un paramètre capital dans les processus convertisseurs d'énergie.
Paul
On ne voit pas non plus le ratio entre l'effacement CO2 par kWh obtenu par l'emploi des e-CAD et celui obtenu par électrification directe (véhicules électriques, pompes à chaleur, sidérurgie). On a un ratio défavorable pour les e-Cad de l'ordre de 5 à 7, ce qui conduirait en toute logique réserver l'électricité bas carbone à l'électrification directe. Concernant la réduction globale des émissions, qui est l'objectif prioritaire, plus d'e-cad c'est moins d'électricité bas carbone utilisable hors transport aérien, c'est moins d'effacement CO2, c'est plus d'émissions !

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