Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL
Fondateur de la Chaire Économie du Climat
Pour être dans la cible d’une stabilisation du réchauffement à 1,5°C, il faut amorcer très rapidement le désinvestissement des énergies fossiles. Que nous dit l’étude annuelle de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur la question ?
Côté pile, les investissements bas carbone maintiennent le rythme en 2023 et 2024. C’est la bonne nouvelle. Côté face, le redressement des investissements dans les énergies fossiles, amorcé en 2022, s’est poursuivi en 2023 et 2024. Les compagnies pétrogazières réinvestissent encore la majorité de leurs rentes dans le pétrole et le gaz.
L’accélération des investissements dans le bas carbone
Commençons par les bonnes nouvelles : « les investissements totaux dans l’énergie devraient dépasser 3 000 Mds de dollars pour la première fois en 20214, avec 2 000 Mds sur les énergies propres. L’investissement dans les énergies propres a accéléré depuis 2020, et les dépenses dans le renouvelable, les réseaux et le stockage sont désormais plus élevées que le total dépensé pour le pétrole, le gaz et le charbon ».
Les premières lignes du rapport de l’AIE sont plutôt rassurantes. La hausse des taux d’intérêt et le rebond inflationniste n’ont pas cassé le rythme des investissements bas carbone. Leur impact récessif a été contrarié par la réduction des goulots d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement, la baisse des prix des métaux critiques et celle de 30% des panneaux solaires en deux ans. Reste une grande inconnue sur la fin d’année : la répercussion des élections européennes et américaines sur les politiques climatiques.
Si les estimations de l’AIE pour 2024 se confirment, les investissements dans les énergies renouvelables auront plus que doublé en 9 ans en dollars constants. À l’origine de plus de 70% de la croissance des investissements, ils constituent le moteur principal de la transition bas carbone. La Chine totalise à elle seule 47 % de ces investissements, l’Europe 18 % et l’Amérique du Nord 12%.
L’AIE attire cependant l’attention sur deux points de vigilance :
- malgré quelques progrès, les investissements dans les énergies bas carbone se diffusent bien trop lentement dans les économies émergentes (hors Chine) et dans les pays moins avancés où le coût du capital est élevé et les financements internationaux bien insuffisants ;
- les investissements dans les réseaux et le stockage de l’électricité peinent à suivre ceux dans l’offre d’électricité renouvelable, ce qui va gêner leur intégration dans les systèmes électriques.
Si l’investissement total dans les énergies fossiles diminue sur l’ensemble de la période 2015-2024, l’évolution récente est plus inquiétante. Après avoir reculé entre 2015 et 2021, l’investissement dans les énergies fossiles se redresse lentement depuis 2022 et 2024 ne devrait pas interrompre cette tendance.
Difficile fin de partie pour le charbon, élargissement des capacités pour le pétrole et le gaz
Dans le secteur électrique, le désinvestissement semble engagé pour les centrales à charbon qui ne devraient plus constituer que 2% des investissements du secteur (contre 16% en 2015). Les investissements dans les centrales à gaz et au fioul ont diminué de moitié entre 2015 et 2020. Ils sont depuis en légère hausse, du fait des investissements dans les centrales à gaz.
La production d’électricité ne représente que 30% du total des investissements dans l’énergie. Si on se réfère à ce total, le redressement récent dans les énergies fossiles est nettement plus significatif que pour le seul secteur électrique :
- les investissements dans la production de charbon sont en hausse depuis 2020, principalement du fait de l’Inde et de la Chine qui veulent réduire leur dépendance aux importations. Par ailleurs, les capacités de production d’acier primaire, encore quasi intégralement assurée par du charbon, continuent de s’élargir dans le monde ;
- les pays producteurs du Proche-Orient, la Russie et les États-Unis ont des stratégies visant à élargir leurs capacités de production et d’exportation de pétrole et de gaz, La guerre en Ukraine a de plus engendré une forte accélération des capacités de transport de GNL depuis les États-Unis et le Qatar vers l’Europe.
L’investissement décarboné des compagnies pétrogazières : la portion congrue !
Les compagnies pétrogazières justifient les profits qu’elles obtiennent dans le pétrole et le gaz par les investissements que cela permet de générer dans le bas carbone. Le tableau ci-dessous montre les limites du raisonnement :
- les compagnies européennes les plus ambitieuses affectent encore moins de la moitié de leurs investissements dans le bas carbone, cette proportion étant nettement plus faible chez les majors américaines ;
- trois compagnies nationales (ADNOC, Aramco et PetroChina) investissent des sommes significatives dans le bas carbone, mais bien éloignées de celles dirigées sur l’exploration/production de pétrole ;
- les autres compagnies nationales brillent par leur absence dans les investissements bas carbone.
Source : The Economist, 8-14 juin 2024
Au total, le désinvestissement des énergies fossiles est encore devant nous. Pour s’y engager, il conviendrait de mettre un accent plus important sur la maîtrise des demandes d’énergie et élargir les mécanismes de tarification carbone pour imputer aux producteurs d’énergie fossile les dommages climatiques engendrés par leurs émissions de gaz à effet de serre.
Sources / Notes
Cet article a été publié sur le site de l'auteur Christian de Perthuis ici.
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