Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages
La fin des ambitions de l’Energiewende(1) n’est pas une bonne nouvelle, d’autant que ce retournement trouve sa source dans un malentendu. Au début du siècle, il était admis que les ressources fossiles allaient devenir rares et coûteuses. Les progrès technologiques font qu’il n’en est rien. Elles sont abondantes et leur coût est bas, peut-être pour longtemps.
La COP21 a établi que le seul objectif des nations est la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). C’est à ceci que nous nous sommes engagés. Pourtant, l’Energiewende se focalise sur le déploiement des énergies renouvelables électriques et pas sur les émissions de GES du pays, notamment celles des transports et du chauffage. Or, l’Allemagne est le plus fort émetteur européen (11,5 tonnes équivalent CO2/habitant, à comparer à 6,5 teq CO2/hab. en France).
Au prix de 25 milliards d’euros de subventions par an depuis 20 ans (à comparer à environ 3,5 milliards d’euros par an en France), l’Allemagne s’est équipée de 40 GW de capacités photovoltaïques, de 50 GW de capacités éoliennes, soit un total de 90 GW, en plus des puissances déjà installées et qui suffisaient à satisfaire les besoins électriques (la demande de pointe est seulement de 65 GW en hiver et de 45 GW en été).
La plupart de ces subventions sont maintenant arrêtées et les nouvelles installations se raréfient. Il était connu que, géographiquement, l’Allemagne est une région beaucoup moins favorable à ces ENR que l’Espagne ou le Maroc pour ne parler que de pays proches de nous. Ce déploiement considérable des ENR intermittentes perturbe le réseau électrique européen et n’est donc pas généralisable aux autres États membres. Or, la baisse des émissions de GES qui en résulte est insignifiante car le déploiement des ENR ne compense pas l’arrêt de 7 tranches nucléaires en 2011 et l’arrêt des centrales à gaz au profit des centrales à charbon.
Il suffirait d’un prix du carbone de 30 à 35 €/tonne de CO2 émis pour faire basculer économiquement une part de la génération d’électricité du charbon vers le gaz qui serait fourni en particulier par la Russie et les États-Unis, tous les deux vendeurs. Mais l’Allemagne ne veut pas d’un prix minimum du CO2 car cela donnerait un fort avantage à la France, au nom d’un argument qui justifierait à posteriori le choix de l’électricité nucléaire. La différence d’approche vis-à-vis de la taxation des voitures de forte puissance et des limitations de vitesse, source significative de baisse des émissions, va dans le même sens.
Et donc les objectifs climatiques du Klimaschutzplan 2050(2) de l’Allemagne (déclarés avant la COP 22) ne seront atteints ni en 2020, ni en 2030. Il est réjouissant que l’énergie fasse l’objet d’un grand projet de société en Allemagne. Mais il est préoccupant que ce débat marque un recul du pays vis-à-vis de ses engagements climatiques. C’est aussi que les citoyennes et les citoyens allemands ont l’impression d’en avoir déjà assez fait pour le climat en payant leur électricité si chère, alors que les objectifs climatiques de l’Allemagne ne seront pas atteints.
L’élan de l’accord de Paris serait-il fragile ? Plus que la production d’électricité, le transport et le chauffage sont les principaux émetteurs de GES et devraient devenir le sujet des débats politiques nationaux et européens pour que les citoyens s’en emparent ensemble. Nous avons besoin d’un récit collectif sur les émissions de GES et le climat pour l’ensemble de l’Europe, puisque les engagements pris sont européens.
Sources / Notes
- Note de France Stratégie « Transition énergétique allemande : la fin des ambitions ? », septembre 2017.
- Klimaschutzplan 2050. Le Conseil des Ministres allemand a adopté en novembre 2016 le plan climat 2050 (Klimaschutzplan 2050) qui vise entre autres à réduire les émissions allemandes de gaz à effet de serre de 80 à 95% par rapport à 1990 (conformément aux ambitions de la COP21). Une cible intermédiaire est fixée : réduire d’au moins 55% les émissions nationales de CO2 d’ici 2030 par rapport à 1990.
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