Historienne
Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay
En République démocratique du Congo (RDC), de nombreux enfants s’usent au travail dans les mines de cassitérite et de cobalt des régions du Nord Kivu et du Katanga. Dans ce pays aux ressources considérables, ces minerais rares et chers sont particulièrement prisés, comme en témoigne le journaliste Christophe Boltanski dans son livre enquête de 2014, Minerais de sang. Leur extraction est en effet indispensable à la fabrication de nos appareils électroniques.
Nulle trace sur les cartes des exploitations où se cachent ces esclaves du monde moderne. Localisés dans des zones réputées dangereuses où règnent des bandes armées, ces lieux accueillent pourtant à 200, voire 300 mètres de profondeur, des fillettes et des garçons âgés de 7 à 18 ans : l’Unicef estime qu’ils sont quelque 40 000 et qu’ils forment près de la moitié de la main-d’œuvre utilisée dans ces exploitations. Dans des conditions inhumaines, ces enfants travaillent à mains nues, pour des salaires qui n’excèdent pas un ou deux euros par jour.
Ces très jeunes travailleurs sont exposés quotidiennement, sans aucune protection et dans une obscurité quasi totale, aux poussières hautement toxiques qui envahissent les « galeries ». Source de maladies respiratoires, elles ne constituent pas les seuls dangers qui menacent ces enfants. Dans ces mines périlleuses, les éboulements sont fréquents et provoquent, au mieux, des blessures invalidantes.
Au cours des dernières années, de nombreux petits mineurs africains ont ainsi trouvé la mort dans des conditions qui n’ont rien à envier à celles des tout jeunes ouvriers des pays industrialisés, au XIXe siècle. Comme en France à cette époque, les autorités congolaises demeurent aujourd’hui réticentes, ou incapables, à faire voter puis respecter les lois protégeant les enfants au travail.
Des « moutards » de 8 à 10 ans
En France, Jules Vallès est l’un des premiers journalistes à avoir osé s’aventurer dans les ténébreuses profondeurs d’une mine de charbon. À Saint-Étienne, à la fin de l’automne 1866 et à 300 pieds sous terre, là où règne une chaleur torride, celui qui n’a encore écrit ni Le Bachelier (1881), ni L’Insurgé (1886) aperçoit : « […] une quinzaine de gamins qui se relaient sur des échelles et portent jusqu’au bord du trou les sacs remplis par les débris de rocs ou du charbon qu’a fait tomber la pioche du mineur ». Son reportage, publié dans Le Figaro, décrit certains des autres travaux effectués au fond par les « moutards de 8 ou 10 ans » qu’il a vus lors de sa « descente aux enfers »(1).
Certains d’entre eux font tourner sans relâche le ventilateur qui permet d’aérer les galeries souterraines où l’oxygène est rare. Les « trappers », quant à eux, ouvrent et ferment 12 heures par jour les portes « pare-feu » au passage des chariots remplis du précieux minerai. Ils ont pour seule compagnie une chandelle et, de temps à autre, le salut des jeunes « éclaireurs » de leur âge qui précèdent les convois, ou un bref échange avec les « toucheurs » qui « mènent les chevaux » de trait derrière lesquels s’étire une longue succession de berlines.
Petites porteuses de houille
En Angleterre, dans la première moitié du XIXe, il n’est pas rare que des enfants de 5 à 8 ans, traînent à quatre pattes, des heures durant, dans les boyaux les plus étroits, là où personne d’autre ne peut se glisser, d’énormes charges de houille. Harnachés comme des bêtes, ils ne remontent au jour qu’occasionnellement.
Dans la première moitié du XIXe siècle, les garçons ne sont pas les seuls à travailler à la mine. De nombreuses filles effectuent des travaux « en surface », au « triage » et au « criblage » du charbon, mais aussi dans les galeries.
Louis Simonin, dans son célèbre ouvrage La Vie souterraine. Mines et mineurs (1867), cite l’exemple de mines écossaises dans lesquelles : « de pauvres petites filles […] portent sur leurs dos une hotte, que retient une courroie fixée autour de leur front. À cette courroie elles attachent aussi leur lampe, et, ainsi équipées, charrient péniblement la houille. Les mineurs ajoutent à la charge de la hotte de gros morceaux qu’ils entassent autour du cou des petites malheureuses, et elles s’avancent par bandes, courbées sous le faix, gravissant par de longues échelles toute la longueur des puits, qui dépassent quelques fois cent mètres. »
Il s’agit pour elles d’amener le charbon à la surface(2) ; et si l’une d’entre elles trébuche ou fait tomber tout ou partie de sa cargaison, elle entraîne dans sa chute toutes les petites porteuses qui la suivent dans la longue file d’esclaves.
Une lente évolution législative
Plusieurs catastrophes alertent l’opinion publique britannique sur la question du travail des enfants. À l’été 1838, dans le sud du comté de Yorkshire, des pluies torrentielles provoquent une inondation du fond qui cause la mort de 26 enfants, âgés de 8 à 17 ans(3).
Certains patrons d’exploitations minières, comme Charles Vane, troisième marquis de Londonderry, s’obstinent à défendre à la Chambre des Lords, au nom de l’Association des propriétaires de mines du Yorkshire, le droit d’employer des « moutards » au fond.
Une loi réglementant le travail des enfants dans les mines est finalement votée en Angleterre en 1842(4). L’enquête parlementaire menée en amont, dont les résultats forment les Blue Papers, est à l’origine d’autres « amendements » sur le même sujet en 1844 et en 1853. À cette date, le travail des filles et des garçons de moins de 10 ans est désormais interdit dans les houillères britanniques.
En France, différentes lois sont également votées et des décrets pris entre 1813 et la fin du XIXe siècle. Le 3 janvier 1813, un décret interdit aux enfants de moins de 10 ans de travailler au fond, mais ce n’est que soixante ans plus tard qu’un nouveau texte tente de s’attaquer aux abus des compagnies minières en la matière. La loi du 19 mai 1874(5), ainsi que les décrets du 13 mai 1875 et du 31 octobre 1882, mettent un terme à l’emploi souterrain des garçons de moins de 12 ans.
Pour les 12-16 ans, le travail ne doit pas être physiquement trop pénible, et strictement limité dans sa durée. Après l’interdiction, en 1892, du travail de nuit pour les femmes et les enfants, les 16-18 ans voient leur présence au fond être fixée à cinq heures par jour. L’âge du recrutement des mineurs en herbe est quant à lui relevé à 13 ans. À la fin du siècle, le pourcentage de main-d’œuvre enfantine est en recul dans tous les bassins miniers.
La persistance de nombreux abus
Malgré ces textes, les compagnies ont souvent continué à faire travailler des enfants au mépris des lois dans certains bassins miniers.
Dans les mines de Saint-Étienne, Jules Vallès raconte comment les enfants portant des sacs de charbon sur leur dos sont « invités » à les poser et à s’asseoir lorsque des personnes étrangères visitent la mine, comme pour leur cacher des conditions de travail illégales.
André Lebon rappelle dans Martin du Tiss, mineur en 1900 que, dans le Nord dans les années 1880, le chef de gare allait prévenir le directeur de la mine quand arrivait l’inspecteur chargé de constater les irrégularités dans le fonctionnement de son établissement – notamment les conditions de travail des enfants.
Enfin, Augustin Viseux, dont son magnifique témoignage Mineur de fond, relate qu’un homme de sa famille a été embauché en 1880, par les mines de Lens, à l’âge de 9 ans(6).
Mineurs de père en fils
Dans tous ces bassins miniers où règne la mono-industrie, la profession se transmet le plus souvent de père en fils. Les garçons les plus âgés sont généralement formés aux métiers du fond par un membre de la famille. Dès l’âge de 13 ans, le jeune est présenté par le pater familias à l’ingénieur, afin de s’assurer de son recrutement par l’unique employeur de la région.
Le futur mineur s’initie au travail souterrain : il commence par aider à l’entretien des voies sur lesquelles passent les convois, ou à la préparation et au raccommodage des bois qui étayent les galeries. Dans certains cas, les syndicats s’en mêlent en tentant d’obtenir de la direction de la compagnie, la préférence à l’embauche pour les enfants de gueules noires.
Car s’il y a bien chez ces hommes le sentiment d’être exploité, ils portent aussi la fierté d’exercer un métier dur, dangereux, mais indispensable au développement industriel et économique de la société.
Un sentiment qui n’est sans doute pas partagé par les jeunes mineurs congolais, dont l’essentiel de la production part directement pour la Chine. Pas plus que par les quinze mineurs indiens prisonniers d’une mine isolée, située dans l’État du Meghalaya en Inde, et inondée depuis la mi-décembre. Aucune information n'a malheureusement filtré sur le sort de ces malheureux mineurs indiens.
Sources / Notes
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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