Le bestiaire des mines de charbon

Diana Cooper-Richet

Historienne
Chercheur au Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines – Université Paris-Saclay

À l’heure où les méthodes utilisées dans le secret des abattoirs et où les violences faites aux animaux sont dénoncées avec force, il n’est pas inutile de rappeler que des industries, comme les mines de charbon en Europe et en Amérique du Nord, ont longtemps employé des bêtes de somme pour effectuer les tâches les plus pénibles.

Ces animaux de labeur ne furent toutefois pas les seuls à peupler le labyrinthe souterrain des galeries. D’autres s’y trouvèrent aussi, par le plus grand des hasards ou, tout simplement, pour le plaisir de travailleurs en mal de douceur et d’humanité dans un milieu hostile.

Chevaux, mulets, ânes, poneys, chiens, bœufs

Du XVIIIe siècle jusqu’au début du XIXe, les chevaux sont employés sur le carreau de la houillère pour faire tourner le « baritel », première machine d’extraction permettant de faire descendre et monter les « ascenseurs » dans lesquels les hommes et le minerai transitent entre la surface et le fond.

Dans les premières décennies du XIXe, l’antique « baritel » est progressivement abandonné au profit de machines à vapeur. Dans les galeries, le roulage du charbon grâce à de petits wagonnets tirés par des chevaux remplace l’ancien traînage.

En France, les premiers équidés sont à l’ouvrage dans les mines de la Loire dès le début des années 1820, à Anzin en 1847 et à Carmaux en 1855. La descente des animaux, terrifiés, saucissonnés les pattes sous le ventre par une multitude de sangles, est périlleuse, surtout dans le premier temps lorsque les installations sont encore rudimentaires et les puits étroits.

Une fois au fond, ces nouveaux agents de la production travaillent dur : ne tirent-ils pas une bonne douzaine, voire plus, de wagonnets de 600 kilos chacun jour après jour ?

On les loge dans l’écurie où règne le palefrenier. Afin de renouveler leur force de travail, ils sont approvisionnés en foin et en l’avoine. Des ingénieurs des mines complaisants les décrivent dodus et le poil luisant.

Néanmoins, dans certaines compagnies, les bêtes reçoivent de temps en temps la visite d’un vétérinaire venu soigner les multiples plaies qu’elles se font au cours de leurs pérégrinations souterraines, sous la conduite du « meneu d’kevaux ».

Comme les hommes au milieu desquels ils travaillent, les bêtes de trait sont aussi victimes d’accidents, à l’image de celui que rapporte le journaliste et homme politique Jules Vallès d’un cheval qui n’a survécu que deux heures après s’être brisé les deux pattes.

Pourtant, dans la vie des chevaux, des mules et des mulets – plus résistants –, des ânes et autres pit-poneys britanniques – plus aptes à passer dans d’étroits boyaux –, il existe une dose de tendresse. Affublés de petits noms, comme celui de Trompette donné par Émile Zola à un cheval, personnage à part entière de Germinal, ils sont chouchoutés par les mineurs.

En France, les derniers chevaux sont remontés à la surface dans les années 1960.

Les chevaux sont rarement remontés à la surface et passent leur vie au fond. À force d’être dans l’obscurité ils en perdent, dit-on, la vue. Lors de longues grèves, il leur arrive de renouer avec les verts pâturages, comme en 1936, et d’y reprendre goût, au point de rechigner à redescendre. Un mécontentement qu’il leur arrive de manifester également, aux dires des mineurs, lorsque le conducteur tente de leur accrocher un wagonnet de plus que d’habitude. En France, les derniers chevaux sont remontés à la surface dans les années 1960.

Quelques cas de chiens de trait sont signalés comme ayant servi de force motrice dans des mines d’Amérique du Nord. C’est ainsi que dans les années 1850, l’ingénieur des mines Frederick Overman s’interroge pour savoir si des chiens robustes tirant des wagons de minerai sur des planches ne reviendraient pas moins chers que des chevaux tirant les leurs sur des rails. L’expérience canine ne semble pas avoir été probante, pas plus que celle faite avec des bœufs, jugés trop lents.

Grillons chantant, chats, canaris sentinelles

Nombreux sont les autres animaux qui fréquentent l’univers souterrain des hommes du charbon.

Là, le bruyant environnement sonore, essentiellement lié à l’abattage et au transport du minerai, est agrémenté par les stridulations de quelques grillons. Arrivés par hasard avec le foin destiné aux chevaux – à l’état de larves ? –, ils se multiplient sous l’effet de la chaleur qui règne à plusieurs centaines de mètres sous terre.

Pour Constant Malva, écrivain-mineur, il y a peut-être dans la musique des « grillons du fond » : « des hymnes, des chants d’actions de grâces qui sont adressés aux ouvriers, et aussi des espèces de pater ; ils leur disent à leur façon : donnez-nous notre pain quotidien. »

Après sa « Descente aux enfers » dans le puits Pélissier à Saint-Étienne en 1890, la journaliste et écrivaine Séverine (de son vrai nom Caroline Rémy) note dans Le Gaulois qu’après les catastrophes, leur « babil […] est le premier bruit qu’entendent les blessés ». Elle indique cependant, à tort, que les « grillons des mines » sont les uniques compagnons du mineur.

Si aux oreilles des mineurs ces chants d’insectes sont apaisants, la présence de chats nichés dans les écuries l’est également ; les ouvriers ne manquent d’ailleurs jamais de les caresser en passant devant à l’heure de la « remonte ».

Jules Vallès, descendu lui aussi dans une mine à Saint-Étienne en 1866, note dans le Figaro avoir vu des chats blancs qui trottaient sur l’échine d’un cheval et – fait exceptionnel – « un bouledogue ami » lové entre ses pattes.

Des souris et des rats peuplent aussi les galeries. Ils sont en permanence à la recherche de nourriture et s’attaquent volontiers au « briquet » – le casse-croûte – du mineur qui dans certaines régions, comme le Tarn, est soigneusement enfermé dans une musette métallique. Ailleurs, les repas sont suspendus aux parois.

Des canaris – et peut-être des pinsons – tiennent également compagnie aux gueules noires…

Les petits rongeurs, très sensibles aux vibrations du terrain, sont toujours les premiers à fuir quand se produit un éboulement. Leur précipitation est un avertissement pour tous ceux qui travaillent à proximité. Le fameux poète et diseur public Jules Mousseron (1868-1943), qui a travaillé toute sa vie à la mine, consacre un long poème aux souris du fond « l’compagn’fidèle » du mineur.

Des canaris – et peut-être des pinsons – tiennent également compagnie aux gueules noires ; les ouvriers les amènent au fond pour leur sensibilité à la qualité de l’air ambiant. Enfermés dans de petites cages, ils sont là pour prévenir les équipes au travail de la présence de gaz. Très sensibles à la raréfaction de l’oxygène, s’ils battent des ailes, se hérissent puis s’évanouissent, les mineurs savent que le danger rôde. Dans les mines galloises, le recours à ces petits volatiles a semble-t-il perduré jusque dans les années 1980.

The ConversationTous ces animaux accompagnèrent des hommes au travail et, dans l’ensemble, ils furent traités avec respect pour leur rôle dans la production de charbon et leur contribution à la détection du danger (éboulement ou présence du gaz). Des compagnons du fond pour lesquels les ouvriers gardaient souvent une part de leur « briquet ». Un monde aujourd’hui en voie de disparition !

Sources / Notes

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaire

Nicolas
Merci beaucoup pour cet article très intéressant !

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