Professeur émérite à l’Université de Montpellier
Fondateur du CREDEN
Auteur de l’ouvrage « Les prix de l’électricité. Marchés et régulation », Presses des Mines
Une controverse se développe aujourd’hui sur la nécessité de maintenir ou non l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique), ou de modifier ce mécanisme, certains lui attribuant une responsabilité dans la hausse du prix de l’électricité. Quelles sont les réformes possibles ?
Plusieurs solutions peuvent être envisagées :
- On peut mettre fin purement et simplement à ce mécanisme de l’ARENH, considérant qu’il a rempli son rôle et a permis l’entrée de nombreux fournisseurs sur le marché de masse de l’électricité. L’opérateur historique a perdu beaucoup de clients et il continue à en perdre, même si sa part de marché sur le segment domestique reste élevée. Mais il faut pour cela une loi qui le décide et il faudrait du même coup mettre fin au tarif réglementé de vente (TRV) « bleu », ce qui ne manquerait pas de soulever certaines oppositions politiques (même si certains contrats dits en « offre de marché » sont souvent proposés à des prix plus attractifs que le tarif « bleu »). Beaucoup de ménages pensent qu’ils sont davantage protégés avec des tarifs réglementés qu’avec des prix de marché.
- Les fournisseurs dits alternatifs revendiquent une augmentation du volume de l’ARENH au-delà de 100 TWh par an, au motif que le nombre de leurs clients s’est accru et que cela leur permettrait d’atténuer la hausse des prix pour le consommateur final. Mais dans un contexte où EDF perd des parts de marché et où la production d’électricité nucléaire tend à baisser et devrait encore diminuer compte tenu des objectifs de la PPE (50% de nucléaire à l’horizon 2035), est-il justifié que l’opérateur historique continue à subventionner ses concurrents, surtout lorsque ces concurrents sont aujourd’hui des compagnies pétrolières et peut-être demain des sociétés du numérique comme les GAFA ?
Avec une telle logique, plus le nombre d’ « entrants » augmente, plus la part de marché d’EDF baisse, et plus le pourcentage d’ARENH devrait augmenter, bien au-delà du chiffre de 25% (de la production nucléaire d’EDF) initialement prévu. C’est un paradoxe qui ressemble fort à une logique de « spirale de la mort » pour l’opérateur historique.
- On peut envisager de revoir à la hausse le montant de l’ARENH, au-delà de 42 euros le MWh pour tenir compte de coûts supplémentaires liés au « grand carénage » et aux exigences de sûreté de plus en plus fortes. C’est possible mais le décret qui devait préciser les modalités du calcul de l’ARENH n’est toujours pas publié.
Certains parlent d’un « corridor de prix » qui évoluerait en fonction des prix de gros observés sur le marché « spot ». Mais la logique originelle de l’ARENH est celle d’un prix de revient assis sur le coût objectif et réel du nucléaire, pas une logique de « prix subventionné » corrélé aux fluctuations des prix de marché.
Pourquoi ne pas sanctuariser le nucléaire dans une structure totalement publique dont le prix serait régulé et fixé par la CRE par exemple ?
- On pourrait concevoir de faire de l’ARENH une véritable option et non une « option gratuite » comme c’est le cas aujourd’hui : les fournisseurs d’électricité alternatifs peuvent actuellement bénéficier de l’ARENH s’ils le souhaitent mais sans supporter les engagements à long terme associés au parc nucléaire. « Ne recourir à l’ARENH que lorsque les conditions du marché y sont favorables sans financer le reste du temps les actifs du parc nucléaire pèse sur l’équilibre comptable de l’exploitant nucléaire », notait déjà la Cour des Comptes dans une note publiée le 22 décembre 2017(1).
Ce caractère asymétrique des engagements n’est pas justifié ; introduire une compensation sous forme d’une prime payée par les bénéficiaires de l’ARENH rétablirait une symétrie des engagements et serait conforme à la logique même d’un mécanisme d’options. Il reste évidemment à définir le niveau de cette prime, qui pourrait peut-être prendre la forme d’une rétrocession d’une partie des gains des alternatifs lorsque le prix de gros est plus faible que l’ARENH ou d’un engagement à acquérir un volume plancher d’ARENH quel que soit le prix du marché.
- On peut enfin considérer que le nucléaire historique est devenu pour les Français une « essential facility » (infrastructure essentielle), au même titre que les réseaux de transport et de distribution de l’électricité, une sorte de « bien commun » permettant de garantir à tous les consommateurs un socle minimal d’électricité à un prix stable non corrélé aux aléas du marché de gros de l’électricité. Pourquoi ne pas sanctuariser le nucléaire dans une structure totalement publique dont le prix serait régulé et fixé par la CRE par exemple ? Le volume d’ARENH serait ainsi porté à 100% et tous les fournisseurs d’électricité, EDF comme les « entrants », pourraient en acquérir au prorata de leur portefeuille de clients. Il faudrait prévoir des clefs de répartition équitables en cas de demande supérieure à l’offre. Le prix de l’ARENH devrait bien évidemment être fixé à un niveau permettant de couvrir tous les coûts présents et futurs du nucléaire.
Cela reviendrait à scinder EDF en deux sociétés, l’une totalement publique et régulée, l’autre partiellement publique et davantage intégrée aux mécanismes du marché. On pourrait également intégrer à cette société publique le gestionnaire du réseau de transport d'électricité (RTE) dont le capital, détenu à 50,1% par EDF, sert d’actif dédié au niveau des provisions pour le démantèlement des centrales nucléaires et la gestion des déchets. L’intégration du réseau de transport dans cette société publique nécessiterait toutefois l’accord de la Commission européenne, qui pourrait estimer que cette « réintégration verticale » serait contraire aux directives européennes sur l'« unbundling». D’autres critiques se font jour face à un tel scénario. Pour certains, cette scission d’EDF pourrait constituer une première étape vers une sortie du nucléaire, la société publique étant chargée de gérer des actifs considérés comme « échoués », à l’image de ce qui se passe en Allemagne pour le nucléaire et demain le charbon. Pour d’autres, il y aurait un risque de privatisation croissante des activités non nucléaires et en particulier un risque de voir une OPA inamicale de la part de certains « entrants » dont la capitalisation boursière est bien supérieure à celle d’EDF.
In fine, le vrai choix semble aujourd’hui être entre la solution 1 (suppression de l’ARENH) et la solution 5 (100% d’ARENH) et c’est un choix autant industriel que politique.
Sources / Notes
Jacques Percebois a été membre des commissions Champsaur I et II sur l'organisation du marché électrique.
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