Acier, verre, ciment : comment les produire sans combustibles fossiles ?

Alessandro Parente

Professor, Université libre de Bruxelles (ULB)
Unité de recherche Aéro-Thermo-Mécanique

C’est aujourd’hui bien établi : les combustibles fossiles sont la cause principale d’un réchauffement climatique inédit dans l’histoire de notre planète. Cependant, ils présentent certaines propriétés qui les rendent encore incontournables pour certains secteurs, malgré l’urgence à laquelle nous faisons face. La recherche se penche aujourd’hui sur le développement de nouveaux combustibles capables de remplacer le charbon, le pétrole ou le gaz. Mais cela ne suffira pas : il faudra aussi réduire plus généralement notre consommation d’énergie.

Le feu est lié à l’histoire de l’humanité depuis le début, sous la forme de légendes et de mythes. Grâce au feu, l’être humain a gravi la pyramide alimentaire et « pris le contrôle d’une force obéissante et potentiellement illimitée » (Yuval Noah Harari). Intrinsèquement liée au feu, la combustion est la réaction chimique impliquant des combustibles et des oxydants et qui produit la lumière et de la chaleur. Explorer ce phénomène fournit ainsi une compréhension physique complète des processus qui se déroulent sur votre plaque de cuisson à gaz autant que dans un incendie.

Cependant, l’utilisation massive de combustibles fossiles a un impact catastrophique sur l’environnement. Bien que nous nous concentrions principalement sur le changement climatique, plusieurs autres effets sont inquiétants et nécessitent une action immédiate, notamment la pollution de l’air, l’acidification des océans, l’épuisement des ressources et la dégradation des écosystèmes.

Qu’est-ce qui rend les combustibles si pratiques ?

La question est de savoir ce qui rend les carburants si spéciaux. Nous pourrions dire qu’il s’agit d’un excellent moyen de stocker une grande quantité d’énergie dans un volume relativement faible. Aussi, la qualité de cette énergie ne se dégrade pas dans le temps et peut être stockée longtemps. Un exemple parfait est celui de l’énergie nécessaire pour faire fonctionner un avion de ligne, disons un Boeing 747. Les technologies actuelles de panneaux solaires fourniraient moins de 1% de la densité énergétique requise, tandis que les batteries stockant la même quantité d’énergie que le kérosène pèseraient presque autant que 50 avions. En d’autres termes, les carburants n’ont pas de concurrents en termes de capacité de stockage et de puissance qu’ils peuvent fournir.

La part de l’énergie primaire (une énergie issue d’une source naturelle comme le vent, le charbon ou l’uranium, avant toute transformation) provenant des combustibles fossiles est proche de 80% en moyenne globale, avec des exceptions régionales (par exemple, la France et les pays nordiques). 

Environ 25% de l’approvisionnement en énergie primaire est nécessaire pour alimenter les processus industriels, y compris les industries à forte consommation d’énergie. En effet, ces secteurs comprennent tous les processus dont les exigences technologiques font qu’il est difficile de les décarboniser en utilisant directement l’électricité.

Un exemple de secteur à forte consommation d’énergie est la production de matériaux essentiels tels que le verre, l’acier et le ciment, qui nécessitent une haute température qui ne peut être fournie aujourd’hui que par des combustibles. D’autres exemples sont la production de produits chimiques (ammoniac et méthanol) et le transport longue distance.

Développer des carburants idéaux

On voit ainsi clairement la complexité à laquelle nous sommes confrontés lorsque nous discutons de la décarbonation des industries à forte consommation d’énergie. Elles sont un réel casse-tête dans la transition énergétique : elles sont responsables d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre, elles sont très intégrées et complexes, et il est difficile de les électrifier directement alors qu’elles sont essentielles à notre société. L’une des solutions techniques possibles consiste à essayer d’imiter le comportement des combustibles fossiles. Nous cherchons donc à construire des combustibles synthétiques à partir de sources renouvelables et qui n’émettent pas de dioxyde de carbone lors de leur combustion.

Quand on parle de nouveaux combustibles, l’hydrogène est sur toutes les lèvres. Il peut être produit à partir de l’eau en utilisant de l’électricité verte et ne contient pas de carbone. Cependant, sa densité énergétique est faible et il est difficile de le stocker. Pour augmenter la densité énergétique et simplifier le stockage et le transport, l’hydrogène peut être converti en ammoniac en utilisant l’azote de l’atmosphère, ou en méthanol et en carburants hydrocarbonés en utilisant une source de carbone neutre, comme la biomasse, car le CO2 libéré lors de la production ou de l’utilisation du carburant est compensé par le CO2 absorbé par les plantes au cours de leur croissance.

Le secteur de l’aviation est particulièrement actif dans ce dernier domaine pour le développement de ce que l’on appelle les carburants aéronautiques durables (sustainable aviation fuels ou SAF). L’intérêt des carburants synthétiques réside dans la possibilité de fabriquer des carburants aux propriétés spécifiques et idéalement adaptés à certaines applications.

La recherche s’active pour trouver des pistes

Plusieurs initiatives au niveau européen étudient actuellement la faisabilité de la décarbonation des industries à forte intensité énergétique à l’aide de carburants synthétiques renouvelables. Les principaux sujets d’étude concernent l’évaluation de l’impact des nouveaux carburants sur les processus de fabrication (du verre, de l’acier…) et le développement de technologies de combustion avancées garantissant un rendement élevé sans émissions polluantes à partir d’une large gamme de carburants.

La numérisation est également un domaine de développement important(1). Les dispositifs de combustion sont des environnements difficiles à caractériser, et la combinaison de simulations numériques, de capteurs et d’intelligence artificielle est très prometteuse. Cela aidera en effet à développer des outils fiables et robustes pour mettre en œuvre des voies de décarbonation dans les industries à forte consommation d’énergie. 

Ne pas reconnaître que la transition énergétique est une transformation de la société dans son ensemble et adopter une approche purement technique ne fera qu’aggraver les crises environnementales.

Dans ce cadre, nous coordonnons un réseau de collaboration nommé CYPHER(2) qui s’intéresse à ces problématiques. Il s’agit d’une action COST(3), un réseau de recherche interdisciplinaire d’une durée de quatre ans. CYPHER regroupe 35 pays dans son comité de gestion et environ 300 membres de plus de 40 pays.

Les réponses techniques ne seront pas la seule solution

Travailler dans le but de contribuer à la décarbonisation des industries à forte intensité énergétique est très motivant. Il s’agit d’un problème complexe pour lequel nous devons fournir des solutions réalisables et opportunes. C’est pour moi un privilège de l’étudier et contribuer à identifier des réponses.

Cependant, si des feuilles de route vers le « net zéro » sont bien établies, une grande incertitude demeure quant à la mise en œuvre réelle des engagements et des promesses des gouvernements et des entreprises. Nous devons comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème technique. 

Nous devons consommer et produire moins et être prêts à changer nos habitudes. Nous devons donner The Conversationla priorité à l’efficacité, aux économies et à la circularité avant de penser à produire des quantités folles et irréalisables d’hydrogène. Ne pas reconnaître que la transition énergétique est une transformation de la société dans son ensemble et adopter une approche purement technique ne fera qu’aggraver les crises environnementales.

Commentaire

Ave Cox
Il faut arrêter de dire que la biomasse est neutre en CO2... ça n'a pas de sens sur le plan physico-chimique... Brûler du bois, ça émet autant voir plus de CO2 que brûler du charbon... Et c'est sans tenir compte du fait qu'il faut transporter la biomasse vers les chaufferies. Certaines grosses chaufferies brûlent le contenu de plusieurs semi-remorques de 90m3 par jour... Camions neutres en CO2 évidemment...
Brigitte Bertin
Si on s'en tient à la seule photosynthèse, oui mais quand on brule du bois, on déstocke du carbone dont il faudra au moins 30 ans à reconstituer le puits. Le bois énergie est intéressant en valorisation des déchets ligneux comme la sciure (granulés et bûches densifiées). Couplé à une PAC ou un chauffage solaire, l'économie d'énergie est réelle et le bilan carbone net est bon.
Ave Cox
Couplé à n'importe quel autre moyen de production, le bilan carbone ne sera jamais bon. Et brûler du bois, ça n'est pas vraiment une bonne idée, même pour valoriser des déchets. C'est un matériau noble, il y a certainement d'autres usages possibles plus intéressants sur le plan environnemental que la combustion.
Brigitte Bertin
Je ne suis pas d'accord avec vous. Le bilan carbone total (production- transport - combustion) des granulés de bois en France est du même ordre que celui des autres énergies renouvelables (PV ou éolien), cad environ 50g CO2/kWh. Alors oui, il y a des émissions de PM mais controlables avec des filtres. Il y a aussi des plantes à croissance rapide pouvant servir de carburants, comme le miscanthus.
Ave Cox
c'est vrai si vous vous en tenez aux affirmations de l'ADEME qui se basent sur une comparaison pommes/poires (on considère la combustion et l'absorption du CO2 par les plantes alors que pour tous les autres combustibles on ne considère que la combustion) mais si on regarde sur le plan strictement scientifique, cette idée du bois énergie neutre en CO2 est complètement fausse. On brûle de bois qui est principalement à base de carbone (C) en présence d'oxygène (O) et ça ne produirait pas de CO2 ? Absurde... Bizarrement, quand il y a un incendie de forêt, on considère que ça émet du CO2 alors que quand on brûle du bois dans une chaudière, on considère que c'est neutre en CO2. Alors que dans le second cas, on ajoute pas mal d'étapes qui émettent du CO2 (abatage, transport, transformation, gestion des cendres, fabrication de la chaufferie, ...). Admettez qu'il y a une grosse incohérence...
scharapow vladimir
Un bois qui brûle n ' émet pas plus de carbone que celui qu ' il contient . Or , ce carbone , il le puise dans le CO2 présent dans l ' atmosphère ! En math : 1 moins 1 = zéro ! Le transport peut être résolu en utilisant des véhicules électriques , ou mûs par l ' hydrogène !
olivier DE BOISSEZON
Bonjour, le résumé de cet article par cette phrase me convient : Nous devons consommer et produire moins et être prêts à changer nos habitudes. Nous devons donner la priorité à l’efficacité, aux économies et à la circularité. En effet, tout est dit dans la circularité, notamment à propos du verre alimentaire. Meme l'IA (tant chérie par ce monde consumériste) le dit. En attendant les résultats des recherches pour un meilleur carburant, revenons à la consigne des bouteilles et des pots alimentaires transparents. Le recyclage (en vrac) de la matière Verre demande beaucoup de transport et beaucoup de chaleur pour revenir au verre clair. La preuve, le verre de toutes les bouteilles devient de plus en plus sombre ...
Brigitte Bertin
Il y aurait un moyen très simple d'arriver à la conclusion, c'est l'auto-consommation, en îlots de production (villages, quartiers) voire auto-production en milieu rural. Solaire PV et thermique sur toiture, PAC + granulés de bois en régions froides. Le secteur résidentiel étant le plus gros consommateur d'énergie, on pourrait ensuite réfléchir au secteur industriel, qui nécessite des stratégies différentes.
scharapow vladimir
"Changer nos habitudes" , que voilà une vérité que d ' aucuns redoutent , on est si bien , engoncés dans notre confort !! L ' homme est conservateur par nature , il faudra lui forcer la main , malheureusement !! Dans le domaine du transport de personnes , la solution la plus économique et la plus rationnelle : monorail suspendu , via une politique de transports publics !
scharapow vladimir
A part ces trois secteurs , un autre secteur est très énergivore : l ' aluminium ! En effet , transformer la bauxite en aluminium nécessite beaucoup d’ énergie électrique ; par contre , recycler ce métal nécessite 8 fois moins d’ énergie ! Alors , arrêtons de jeter nos cannettes dans la nature !! Aux Etats-Unis , une étude a calculé la quantité de cannettes jetées et non recyclées : elle équivaut à 2.700 Boeing 737 par an ; ce qui veut dire que des centrales électriques tournent , et polluent , pour rien !! Il est plus que temps de CONSIGNER toutes les cannettes , de même que tout contenant en plastique , car le plastique aussi nécessite beaucoup d’ énergie , et « empoisonne » notre existence …

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