L’hydrogène bas carbone est qualifié par RTE de « brique importante pour la transition énergétique ». (©EDF-Guillaume Murat)
Le gestionnaire de réseau RTE a publié le 22 janvier une étude visant à « alimenter le débat public sur le déploiement de l’hydrogène bas carbone »(1). Ce qu’il faut en retenir.
Consommation d’électricité
À l’heure actuelle, la France consomme près de 1 million de tonnes d’hydrogène par an pour des usages industriels (dans les secteurs du raffinage pétrolier, la production d’ammoniac et d’engrais et la chimie principalement), rappelle RTE. La production de cet hydrogène provient à 95% de combustibles fossiles(2). Au total, elle entraînerait des émissions de CO2 avoisinant 10 millions de tonnes par an, « soit 2 à 3% des émissions nationales », souligne RTE.
Parmi les objectifs de la loi énergie-climat adoptée en novembre 2019(3) figure l’ambition « de développer l’hydrogène bas carbone et renouvelable et ses usages industriel, énergétique et pour la mobilité, avec la perspective d’atteindre environ 20 à 40% des consommations totales d’hydrogène et d’hydrogène industriel à l’horizon 2030 ».
Pour produire cet hydrogène bas carbone, « la priorité porte sur le développement de l’électrolyse » qui consiste à décomposer les molécules d’eau (H2O) en hydrogène (H2) et en dioxygène (O2). Ce processus, bien plus coûteux que le vaporeformage de méthane, nécessite de l’électricité qui doit elle-même avoir été produite par des sources décarbonées (renouvelables ou nucléaire) pour que l’hydrogène soit considéré « bas carbone ». Pour rappel, la production d’électricité en France métropolitaine est décarbonée à près de 93%.
En cas de « forte croissance de l’électrolyse au cours des prochaines années » (et en suivant la trajectoire de la stratégie nationale bas carbone), RTE estime que la production d’hydrogène bas carbone par électrolyse pourrait induire « une consommation supplémentaire de 30 TWh d’électricité à l’horizon 2035 » (par an pour une production annuelle d’environ 630 000 tonnes d’hydrogène)(4). Cette consommation « significative » ne présenterait « pas de difficulté technique » (y compris du point de vue des appels de puissance(5)) selon le gestionnaire de réseau. Elle compterait pour « moins de 5% du productible électrique décarboné total (nucléaire et renouvelable) » qui pourrait avoisiner 615 TWh par an à l’horizon 2035 selon le gestionnaire de réseau.
À l'horizon 2035, moins de 5% de la production décarbonée d'électricité pourrait être consacrée à l'électrolyse, selon les estimations de RTE. (©Connaissance des Énergies, d'après RTE)
Émissions de CO2 et coût de production de l’hydrogène
En remplaçant de l’hydrogène d’origine fossile par un hydrogène produit par électrolyse, RTE estime que la France pourrait réduire ses émissions de CO2 de près de 6 millions de tonnes par an à l’horizon 2035 (sur la base d’un « transfert » de production annuelle de 630 000 tonnes d’hydrogène(6)), « soit l’équivalent de la fermeture des dernières centrales au charbon » ou « un peu plus de 1% des émissions nationales » annuelles.
RTE envisage dans son étude plusieurs conditions d’approvisionnement en électricité des électrolyseurs : uniquement lors des « périodes de surplus renouvelable ou nucléaire », sur le marché de l’électricité « en base, hors situation de tension » ou en couplant les électrolyseurs à des moyens de « production décarbonée » (par exemple des panneaux photovoltaïques).
Le gestionnaire souligne que la comparaison du coût complet de l’électrolyse avec celui du vaporeformage dépendra « fortement de la valorisation de l’externalité CO2 » : pour une hypothèse de valorisation faible du CO2 (30 €/t), le coût complet de l’électrolyse apparaît ainsi « très largement supérieur » à celui du vaporeformage dans les estimations de RTE (entre 2/3 et presque 4 fois plus cher selon les modes de fonctionnement des électrolyseurs), « même en tenant compte de baisses de coûts importantes des électrolyseurs ».
Selon RTE, il apparaît en revanche « pertinent d’un point de vue socio-économique, de substituer l’électrolyse au vaporeformage dans les quinze prochaines années » dans le cas d'une forte valorisation de l’externalité CO2, « par exemple en considérant la valeur tutélaire du carbone à l’horizon 2035 (375 €/t) » (conformément au rapport Quinet publié par France Stratégie début 2019(7)).
Dans le cas d'un fonctionnement des électrolyseurs limité aux « périodes de surplus d’énergie renouvelable ou nucléaire », le coût de production de l'hydrogène bas carbone resterait très élevé « car les électrolyseurs ne tourneraient pas assez pour justifier l’investissement initial ». (©Connaissance des Énergies, d'après RTE)
Outil de flexibilité du réseau électrique
RTE rappelle dans son rapport deux « raisons bien distinctes » pour développer l’hydrogène bas carbone. Ce vecteur doit permettre de décarboner des usages (dans l’industrie aujourd’hui « et demain pour la mobilité lourde ou en injectant de l’hydrogène bas carbone dans les réseaux gaziers ») mais aussi contribuer à plus long terme à la flexibilité du réseau électrique (notamment dans des scénarios de fort développement des installations éoliennes et solaires à production variable) : « la capacité des électrolyseurs à faire varier leur niveau de consommation électrique en quelques secondes leur offre la possibilité technique de fournir des services au système électrique, pour l’équilibre offre-demande et pour l’exploitation du réseau ». L’hydrogène constituerait ainsi « une solution de stockage et déstockage » (c’est le principe du « power-to-gas-to-power »(8).
RTE indique que « les analyses menées dans le cadre du schéma de réseau publié en septembre 2019 montrent que la valeur (du recours à l'hydrogène) associée à la résolution des congestions reste faible par rapport à d’autres solutions (développement de réseau, écrêtements localisés), y compris dans des zones de fort développement des énergies renouvelables ». Le gestionnaire mentionne toutefois « un cas d’intérêt particulier : la localisation d’électrolyseurs sur les côtés normandes pour contribuer à la résolution des congestions sur le réseau de l’axe Normandie-Manche-Paris en cas de fort développement de la production électrique (éolien en mer et nucléaire) sur cette zone ».
Précisons que l’étude de RTE sur l’hydrogène bas carbone s’inscrit dans un programme plus large consacré aux nouveaux usages de l’électricité à l’horizon 2020-2035. Le gestionnaire de réseau a notamment présenté un rapport consacré à la mobilité électrique en mai 2019 et doit prochainement publier une autre étude consacrée au chauffage dans le secteur du bâtiment (en collaboration avec l’Ademe).