La vision de…
Daniel Verwaerde

Administrateur général du CEA

Trois données qui sont bien entendu aussi des hypothèses crédibles paraissent devoir être bien soulignées en préalable à toute analyse :

  1. la population mondiale devrait dépasser en 2050 les 8,5 milliards d’habitants, voire même 9 milliards d’habitants ;
  2. les habitants des grandes villes connectés par Internet et les télévisions du monde tendront à vouloir uniformiser leurs modes de vie et leurs consommations. On devrait avoir d’ici 2050 de l’ordre de 4 milliards de personnes qui veuillent vivre comme le font aujourd’hui les habitants des pays développés ;
  3. le monde ne renoncera pas à la croissance économique ; tout milite même pour considérer qu’il s’efforcera de maintenir un rythme de croissance supérieur à 3% par an.

Ces paramètres suffisent à eux seuls à démontrer la nécessité de mutation de nos modèles énergétiques si nous voulons éviter des catastrophes écologiques telles que des migrations massives de populations dans le siècle qui vient, voire une élévation inédite du niveau des mers dans deux ou trois siècles si les résultats des modélisations scientifiques viennent le corroborer.

La plupart des grands pays du monde en conviennent à présent : ils savent que des progrès majeurs des technologies sont nécessaires pour relever ces défis. Les pays du G20 devraient s’attacher à faire périodiquement des bilans de ce progrès technique. Ils ne devraient pas mésestimer les évaluations que pourraient en faire soit leurs Académies des sciences soit leurs plus grandes Universités.

Ceci mériterait d’autant plus d’être soigneusement analysé que les rares études globales faites à ce jour laissent à penser que ce coût devrait être bien inférieur à 2% du PNB mondial. Trop de gens, en particulier dans le monde financier, pensent que ce défi climatique nous dépasse ou qu’il faille toujours trouver des coupables ou des bouc-émissaires pour arguer de notre soi-disant impuissance. Ce ne serait ni éthique, ni sérieux que ces situations perdurent. Ces études devraient être développées et mises en perspective les unes avec les autres pour éviter toute erreur de jugement.

Regardons à présent ces questions de manière plus analytique. Bien des études ont amplement souligné qu’il faudrait avant tout augmenter le poids de l’électricité non carbonée dans le mix énergétique de la planète. Si de grands pays tels que l’Inde et la Chine ont demain en mains les atouts de l’hydroélectricité, du solaire, du nucléaire, de l’éolien, de la CCS, de centrales à gaz beaucoup plus propres, il n’y a aucune raison pour qu’ils ne puissent viser bien avant 2050 des mix électriques émettant au total moins de 100 g de CO2/kWh. Ce serait un pas en avant considérable que de faire émerger cette prise de conscience et de tels objectifs.

Les transports routiers manifestent aujourd’hui une incontestable volonté et une capacité de mise en œuvre des technologies qui aurait été encore impossible à anticiper il y a encore dix ans. Motorisations électriques, hybrides électrique-essence, hybrides électrique-piles à combustible : tous les constructeurs rivalisent de propositions et d’innovations.

Quelle que soit la croissance des besoins dits de transport, nous savons d’ores et déjà que nos émissions de CO2 devraient décroître dans l’avenir, et ce, malgré un doublement ou même un triplement du nombre de véhicules automobiles. Si nous savons combiner ce progrès technique avec d’un côté des transports en commun, de l’autre une vraie prise de conscience des citoyens-usagers, bien des progrès sont possibles. Ces progrès s’appliqueront pareillement aux transports par camions de courte distance. Le transport de longue distance dépendra plus des situations propres à chaque pays ou à chaque zone géographique. Pour ce qu’il restera des besoins en hydrocarbures, en particulier  pour le transport aérien, nous disposerons de solutions avec les biocarburants d’un côté, le recyclage du CO2 par co-électrolyse du CO2 et de l’eau de l’autre.

La transition de l’industrie vers l’électricité est un troisième enjeu : il supposera des règles et des environnements législatifs réellement communs. Plus de 80% des besoins en électricité de l’industrie exigent de la chaleur à plus de 500°C. Que ce soit avec des fours électriques en cas de besoins continus ou avec des torches à plasma pour des besoins discontinus, nous savons déjà quelles seront les technologies les plus essentielles.

Au fur et à mesure de ces mutations, le poids du pétrole sur l’économie mondiale devrait décroître. Cette transition sera progressive mais devrait se concrétiser dans les vingt ans à venir. Depuis bientôt 80 ans, le pétrole pèse sur l’histoire du monde et est à l’origine de bien des tensions. Ce sera sans doute un avantage collatéral de la lutte contre les dérèglements climatiques que de faire émerger un monde moins sujet à toutes ces vicissitudes.

Face à toutes ces questions, on attend justement des gouvernants qu’ils jouent leur rôle et c’est bien légitime. On attend des entreprises et de la recherche publique qu’elles aident à réconcilier croissance économique et préservation de la planète. Tout cela ne sera pas facile, mais reste réalisable.

Le monde éducatif est par contre plus concerné qu’on ne le souligne usuellement. Comment se pourrait-il que des étudiants arguant de masters ou de PhD puissent prétendre ne rien savoir de ces enjeux ? Si tous les établissements distribuant de tels diplômes, tant pour les managers ou commerciaux, que pour les ingénieurs ou scientifiques dédiaient 1% de leurs cours à ces sujets, nous verrions vite progresser tant la conscience des défis que les chances de réussir à les relever. Ces sujets ne sont pas du tout secondaires : bien plus que nous ne l’imaginons encore, il dépendra demain du Chinois moyen, de l’Indien moyen et de l’Américain moyen que leurs gouvernants s’engagent et coopèrent pour à la fois préserver notre accès à des énergies peu chères et relever les défis climatiques. 

parue le
20 mars 2017