©Pierre-Louis Taberna/CNRS & Benjamin Campech/RS2E.
Patrice Simon et Mathieu Morcrette ont répondu aux questions de Connaissance des Énergies ci-après sur les batteries à électrolyte solide.
Quel est le principe des batteries à électrolyte solide ?
Une batterie à électrolyte solide est tout simplement une batterie dans laquelle l’électrolyte liquide (c’est-à-dire le liquide qui transporte les ions d’une électrode à l’autre de la batterie pour contrebalancer le mouvement des électrons dans le circuit extérieur) est remplacé par un matériau à l’état solide. Ce solide peut être un oxyde, un sulfure mais aussi un polymère.
Il existe d’ailleurs déjà une technologie française à électrolyte solide : la technologie polymère de Blue Solution qui est déployée en France et en Europe dans le cadre des services d’autopartage.
Si la définition est claire, la réalité peut être un peu plus complexe car il existe différentes technologies dont certaines sont appelées à tort « tout solide ». De façon similaire au véhicule hybride qui est un intermédiaire entre la voiture à moteur thermique et la voiture 100% électrique, il existe des électrolytes dits « hybrides » qui ne sont pas complètement solides. C’est le cas par exemple des électrolytes gélifiés qui comprennent un polymère et un liquide : la quantité importante de liquide qu’ils contiennent ne leur permet pas d’obtenir les avantages associés aux électrolytes solides.
Quelle différence avec les batteries à électrolyte liquide ?
Du point de vue des matériaux des électrodes, il n’existe pas de différence majeure entre les batteries à électrolyte liquide et celles à électrolyte solide. Néanmoins, le choix de la nature de l’électrolyte solide va permettre ou non d’intégrer certaines chimies. Par exemple, la technologie polymère actuelle ne permet pas d’utiliser des matériaux d’électrode positive fonctionnant à haut potentiel (> 3,7 V), limitant sa densité d’énergie massique.
La technologie Lithium-ion (Li-ion) classique à électrolyte liquide utilise une électrode négative en carbone graphite(1). Un des enjeux majeurs de la technologie à électrolyte solide est de permettre l’utilisation du lithium métallique à l’électrode négative, qui a une capacité 10 fois supérieure à celle du graphite. On ne peut toutefois pas l'utiliser à l'heure actuelle car la réduction du Li-ion en Li-métal se fait sous forme de fils (dendrites) qui peuvent traverser le séparateur contenant l’électrolyte et faire ainsi un court-circuit électrique interne.
Quels gains de performances sont attendus avec les batteries à électrolyte solide ?
Les électrolytes solides constituent une formidable opportunité pour augmenter la densité d’énergie (massique et volumique) des batteries, mais aussi leur sécurité (du fait de l’absence de composés organiques et de la stabilité en température).
Les premiers chiffres avancés en matière de performances sont encore en deçà des espérances pour le moment, malgré certaines annonces de grands fabricants de batteries (typiquement en ce qui concerne la durée de vie et les performances à température ambiante qui ne sont pas au niveau).
À titre indicatif, les batteries Li-ion les plus performantes ont actuellement une capacité de stockage de 270 Wh par kg (au niveau de cellules) ; l’avènement du tout solide devrait porter ces valeurs au-delà de 450 Wh par kg, ce qui impliquerait pour des véhicules électriques légers des autonomies dépassant 700 km.
A quelle échéance pourraient-elles être déployées à grande échelle ?
An niveau R&D, les scientifiques sont pour le moment concentrés sur la résolution de freins encore importants : stabilité des électrolytes solides, stabilité des interfaces électrode/électrolyte, performances à T < 20°C. Il existe donc pour le moment peu de prototypes qui intègrent ces technologies. Il est donc encore très difficile de donner des données chiffrées sur la capacité de stockage atteignable.
Les « roadmaps » de certains industriels ciblent 2025 avec des annonces fortes de certains constructeurs pour une introduction plus rapide. Si l’on parle du « tout solide » et non pas de l’hybride, les challenges à relever nous laissent penser que ce sont des objectifs un peu trop ambitieux.
Qui sont les acteurs les plus avancés dans ce domaine ?
Saft, Volkswagen, Toyota, ou encore Dyson ont entre autres communiqué sur ces batteries à électrolyte solide.
Il est toujours très difficile d’avoir des informations sur les avancées au niveau industriel. Plutôt que les industriels européens, ce sont les industriels asiatiques (japonais, chinois, coréens) qui sont en avance comme ils l’ont toujours été dans le domaine des batteries.
Au niveau académique, les chercheurs japonais ont débuté les premiers travaux sur les électrolytes solides oxydes et sulfures dès le début des années 2000, et ce sont eux qui ont fait les plus grandes découvertes, avec en particulier des électrolytes très bon conducteurs ioniques de type sulfures en 2011 (exemple : Li10GeP2S12, de la famille des LGPS).
En ce qui concerne les polymères, il reste aujourd’hui, malgré des intenses recherches, très difficile de remplacer celui utilisé actuellement par Blue Solution qui ne permet pas de travailler à température ambiante et d’obtenir des tensions élevées.
Une start-up américaine (Ionic Materials) a communiqué l’an dernier sur des performances exceptionnelles d’électrolyte solides polymères (avec en particulier une conductivité de 1 mS.cm-1 à température ambiante et une stabilité à haut potentiel), mais la prudence demeure et il faut là encore attendre que des annonces se concrétisent dans des vraies batteries.
Les batteries à électrolyte solide constituent-elles une menace pour le déploiement de l’hydrogène dans les transports (hors mobilité lourde) ?
L’hydrogène a un potentiel énergétique très important. Il possède un avantage décisif pour la charge rapide par rapport aux batteries (dont le transfert électrique du chargeur vers la cellule a des sérieuses limitations dans le cas de batteries de plus de 100 kWh). Il aura donc une place dans le schéma de mobilité électrique : dans les trains, les bus longue distance et les camions.
Pour le véhicule personnel de « monsieur Tout-le-monde », la situation est plus compliquée et la pile à combustible ne semble pas être une technologie appropriée et ce pour plusieurs raisons :
- les performances des batteries ont été multipliées par deux depuis 2005 ; leur coût de fabrication a dramatiquement chuté ces dernières années (environ 120 €/kWh de cellule Li-ion) et cette chute n’est pas terminée (le kWh devrait atteindre les 100 € dans les prochaines années) ;
- l’hydrogène doit régler un certain nombre de verrous inhérents à la technologie : problème d’encombrement (l’intégration d’une pile à combustible dans un véhicule ne peut pas se faire aussi simplement que celle des batteries sous le plancher car il y a le problème de l’emplacement du réservoir d’hydrogène, qui prend une place très conséquente dans le coffre) ; problème de décarbonatation de la production d’hydrogène (principalement par vaporeformage de combustibles fossiles à l’heure actuelle, problème de coûts (incluant le faible rendement de la production d’électricité par la pile à combustible et de la production d’hydrogène par électrolyse le cas échéant), utilisation de catalyseur en platine (coût), sécurité, etc.
Il ne faut pas non plus oublier que les piles à combustible qui alimentent des moteurs électriques ont besoin d’une puissance complémentaire pendant les premières dizaines de secondes, puissance qui ne sera pas donnée par la pile mais bien par des batteries. Sous ce prisme, l’hydrogène est plus une opportunité pour les batteries qu’une menace. La comparaison des deux technologies fait que les piles à combustibles sont donc bien plus appropriées pour la mobilité lourde que pour la voiture du particulier.
Quelles sont les autres technologies de batteries les plus prometteuses ?
Chacune des technologies alternatives a ses propriétés intrinsèques qui en font des bons candidats pour des applications spécifiques :
- le lithium ion-gélifié a été inventé au milieu des années 1990 par Jean-Marie Tarascon aux États-Unis dans les laboratoires de Telcordia (ancien Bell Labs). Cette technologie est parfois intégrée dans les accumulateurs pour des questions d’amélioration d’interface ou de sécurité. Elle fait partie de la technologie Li-ion ;
- le lithium soufre (L-S) a eu une renaissance au début des années 2010 grâce à des améliorations significatives. Le leader industriel est Oxis Energy associé à la société Arkema qui connait bien la chimie du soufre puisqu’il vient de la raffinerie du pétrole. En termes d’énergie massique, la technologie surpasse le Li-ion (environ 400-450 Wh par kg de cellule). Cette technologie a toutefois aussi ses faiblesses, principalement la durée de vie et la densité d’énergie volumique (2 fois plus faible que celle du Li-ion). Ainsi, elle ne semble a priori pas bien s’intégrer dans les solutions de mobilité. En revanche, pour des applications spatiales, elle semble très prometteuse. Le développement de batteries tout-solide (électrolytes sulfures) pourrait changer la donne ;
- le sodium-ion existe sous deux variantes : la première développée par l’entreprise anglaise Faradion revendique une compétitivité en termes de prix comparé au Li-ion (très difficile !) et s’attaque au marché du stationnaire. La seconde, intégrant des matériaux différents, développée par la start up française TIAMAT à partir de travaux réalisés dans le RS2E(2), s’affiche comme une technologie de puissance en particulier en charge contrairement au Li-ion et à forte durée de vie. Cette technologie s’attaque aux nouveaux marchés des véhicules hybrides en particulier ou des véhicules de ville en autopartage.