Au Québec, le principal producteur d'électricité canadien, Hydro-Québec, va développer d'immenses projets éoliens dans une province marquée par l'omniprésente hydroélectricité.
Le 2e plus grand parc éolien terrestre au monde en projet
Le 3 juillet dernier, Hydro-Québec a annoncé être parvenu à un accord avec des communautés autochtones (la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh et les Atikamekw de Wemotaci) et la municipalité du Domaine-du-Roy pour le développement d'un immense parc éolien terrestre dans la zone Chamouchouane, au Saguenay–Lac-Saint-Jean (l'une des 17 régions administratives de la province québécoise, sur la rive nord du lac Saint-Laurent)(1).
Ce parc devrait compter pas moins de 400 éoliennes, pour une puissance cumulée de... 3 000 MW. Ce qui en ferait le 2e plus grand parc éolien terrestre au monde après celui de Jiuqan en Chine.
Il pourrait s'étendre sur une surface de 5 000 km2, soit approximativement la superficie du département français des Bouches-du-Rhône (pour rappel, le Québec a un territoire environ 3 fois plus étendu que la France métropolitaine). En retenant un facteur de charge estimé à 35% dans la région, ce parc gigantesque pourrait produire près de 9,2 TWh par an.
L'investissement total prévu dans ce projet avoisine 9 milliards de dollars canadiens. La première éolienne pourrait être installée en 2030 avant une mise en service de l'ensemble du parc à l'horizon 2035(2).
Une deuxième annonce de parc géant en octobre dernier
Mi-octobre, Hydro-Québec a annoncé un autre partenariat avec l’Alliance de l’énergie de l’Est qui regroupe 209 communautés et territoires, avec l'objectif de développer un parc de 1 000 MW de puissance dans la zone Wocawson, dans le sud-ouest du Bas-Saint-Laurent.
Le parc, qui devrait nécessiter un investissement d'environ 3 milliards de dollars canadiens, devrait s'étendre sur une surface de près de 700 km2 (soit environ 7 fois la superficie de la ville de Paris intra-muros).
Un autre projet de très ampleur qui n'étonne pas outre-Atlantique : « à partir du moment où le Québec et Hydro-Québec ont décidé de décarboner l'économie québécoise, qui dépend encore pour la moitié des énergies fossiles, décision consacrée par le Plan stratégique 2022-2026 d'Hydro-Québec, il devenait inévitable que le Québec envisage sérieusement le développement accéléré de la filière éolienne », souligne Yvan Cliche, spécialiste québécois des questions énergétiques au CÉRIUM (Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal). Jusqu'à concurrencer l'hydroélectricité ?
La transition énergétique au Québec connaît actuellement d'importantes évolutions : en juin dernier, le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie a déposé le projet de loi 69 visant à assurer « la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives ».
Parmi les nouveautés affectant l'éolien dans ce projet de loi structurant : « le rôle qu'Hydro-Québec entend jouer », souligne Yvan Cliche. « Alors que, jusqu'à maintenant, il n'a été que l'acheteur de producteurs privés, il entend maintenant jouer le rôle de leader pour les projets au-delà de 1 000 MW, en partenariat avec les communautés autochtones et locales. C'est une première, saluée par les syndicats de l'entreprise, mais moins populaire auprès des promoteurs privés, dont la plupart se disent à même de développer de tels projets ».
1 000 à 1 500 MW éoliens par an
Ces mégaprojets éoliens s'intègrent dans la grande Stratégie de développement éolien d'Hydro-Québec(3). Celle-ci prévoit de déployer « plus de 10 000 MW de nouvelles capacités éoliennes installées d'ici 2035 ». Il y est par ailleurs précisé que « la nouvelle approche misera prioritairement sur la réalisation de projets à grande échelle, dans des zones structurantes et en partenariat avec les Premières Nations et les municipalités ».
Concrètement, cela implique pour Hydro-Québec de déployer 1 000 à 1 500 MW éoliens par an entre 2026 et 2035, contre environ 200 MW éoliens par an entre 2000 et 2020 (« 44 parcs éoliens d’une puissance installée totale d’environ 4 000 MW ont été mis en service à l’échelle du territoire »).
Podcast québécois de l'Agence Science-Presse
L'hydroélectricité restera le « pilier fondamental »
Pour rappel, le Québec s'appuie pour l'heure essentiellement sur l'hydroélectricité qui compte pour 96% de la production d'électricité de la province. « Le Québec a, on le sait, développé sa filière hydroélectrique, avec quelque 40 000 MW de puissance installée. Dans ce contexte, il est normal que les meilleurs sites aient été développés, même s'il y a d'autres projets de grande hydraulique envisageable au Québec. Ce n'est pas tout à fait le cas avec l'éolien : seulement 4000 MW de projets ont été mis en place depuis 25 ans, mais cela a tout de même permis de mettre en place une solide filière dans ce domaine (entreprises, centres de recherche, main-d'œuvre qualifiée) », souligne Yvan Cliche.
« Or, le Québec détient un grand potentiel éolien, sur un vaste territoire, donc le potentiel d'électrifier notre économie en misant sur cette source d'énergie devient inévitable face à la forte demande d'électricité requise pour la décarbonation ».
Plutôt que de confronter éolien et hydroélectricité, leur complémentarité est mise en avant au Québec : « il est difficile de comparer les deux filières, car l'hydroélectricité avec réservoirs fournit de la puissance, de la fiabilité, ce qui est moins le cas avec l'éolien, qui ne peut produire que s'il y a du vent », note Yvan Cliche.
En d'autres termes, « l'hydroélectricité va rester au cœur stratégique du réseau québécois, son pilier fondamental, qui peut intégrer des énergies intermittentes au Québec, mais aussi contribuer à pallier les sources intermittentes des réseaux voisins du nord-est des États-Unis ».