Malgré leur poids économique, les supermajors ne contrôleraient que près de 5% des réserves mondiales de pétrole, l’immense majorité de ces réserves étant sous contrôle de compagnies nationales. (©BP)
Définition
Les principales sociétés pétrolières privées qui dominaient l’industrie pétrolière et gazière mondiale jusque dans les années 1970 étaient traditionnellement qualifiées de « majors » (comme dans l’industrie musicale). Aujourd’hui, les 5 plus importantes d’entre elles sont qualifiées de « supermajors » (parfois encore de « majors »). Elles sont parfois qualifiées en anglais par l’expression « Big Oil », terme péjoratif à l’origine qui désigne leur puissance économique et leur influence politique présumée.
Précisons que ce terme ne s’applique pas aux compagnies nationales(1) dont certaines ont une plus grande production.
Les 5 Majors Pétrolières Historiques
BP (British Petroleum)
BP, fondée en 1909 sous le nom de Anglo-Persian Oil Company, est une entreprise pétrolière et gazière britannique. Elle est l'une des plus grandes compagnies pétrolières au monde, avec des opérations dans plus de 70 pays. BP est connue pour son exploration et production de pétrole et de gaz, ainsi que pour ses activités de raffinage, de distribution et de vente de produits pétroliers.
Chevron
Chevron Corporation, l'une des plus grandes entreprises pétrolières des États-Unis, trouve ses racines dans la Pacific Coast Oil Company fondée en 1879. Basée à San Ramon, en Californie, Chevron opère dans toutes les facettes de l'industrie pétrolière, y compris l'exploration, la production, le raffinage, et la commercialisation. La société est également active dans le secteur des énergies renouvelables et des technologies alternatives.
ExxonMobil
ExxonMobil, issue de la fusion entre Exxon et Mobil en 1999, est la plus grande entreprise pétrolière et gazière cotée en bourse au monde. Basée à Irving, au Texas, ExxonMobil a des opérations dans plus de 200 pays et est impliquée dans toutes les phases de l'industrie pétrolière, de l'exploration à la vente de produits finis. La société est également un acteur majeur dans la production de produits chimiques et de lubrifiants.
Royal Dutch Shell
Royal Dutch Shell, communément appelée Shell, est une entreprise anglo-néerlandaise fondée en 1907. Avec des sièges sociaux à La Haye et à Londres, Shell est l'une des plus grandes compagnies pétrolières au monde. Elle opère dans plus de 70 pays et est active dans l'exploration et la production de pétrole et de gaz, le raffinage, la distribution, et les énergies renouvelables.
Total
TotalEnergies, anciennement connue sous le nom de Total, est une entreprise pétrolière et gazière française fondée en 1924. Basée à Paris, TotalEnergies est présente dans plus de 130 pays. La société est impliquée dans toutes les étapes de la chaîne de valeur de l'industrie pétrolière et gazière, ainsi que dans le secteur des énergies renouvelables, notamment l'énergie solaire et l'énergie éolienne.
Bouleversements avec l'émergence de nouveaux acteurs nationaux
Ces dernières années, l'industrie pétrolière mondiale a été bouleversée par l'émergence de nouveaux acteurs nationaux, souvent appelés les "NOCs" (National Oil Companies). Des pays comme l'Arabie Saoudite, la Russie, la Chine et le Brésil ont vu leurs compagnies nationales, telles que Saudi Aramco, Gazprom, PetroChina et Petrobras, prendre une place de plus en plus importante sur la scène internationale. Ces entreprises bénéficient souvent de l'accès direct à de vastes réserves de ressources naturelles dans leur pays d'origine et reçoivent un soutien considérable de la part de leurs gouvernements.
Par exemple, Saudi Aramco est devenue la plus grande entreprise pétrolière au monde en termes de production et de réserves prouvées, et son introduction en bourse en 2019 a marqué un tournant significatif. De même, les compagnies chinoises comme PetroChina et Sinopec ont intensifié leurs investissements internationaux, achetant des actifs et développant des projets dans divers pays.
Cette dynamique a changé l'équilibre du pouvoir dans l'industrie pétrolière mondiale, poussant les majors historiques à réévaluer leurs stratégies. Les NOCs disposent souvent d'un avantage compétitif grâce à leur accès aux ressources locales et à leur soutien étatique, ce qui leur permet d'investir massivement dans de nouveaux projets et de renforcer leur influence mondiale.
En conséquence, les majors historiques doivent s'adapter, diversifier leurs portefeuilles, et investir dans les technologies et les énergies renouvelables pour maintenir leur position dans un marché en évolution rapide.
Liste et taille des plus grandes compagnies pétrolières
Les supermajors sont par ordre de chiffre d’affaires en 2015 :
Entreprise et pays d'origine | Production journalière de barils de pétrole (en millions) |
---|---|
Saudi Aramco (Arabie Saoudite) | 11,540 |
PetroChina (Chine) | 2,567 |
ExxonMobil (USA) | 2,449 |
Petrobras (Brésil) | 2,231 |
Pemex (Mexique) | 1,875 |
Chevron (USA) | 1,830 |
TotalEnergies (France) | 1,550 |
Shell (Pays-Bas) | 1,454 |
ConocoPhillips (USA) | 1,304 |
BP (UK) | 1,115 |
Sinopec (Chine) | 770 |
Certaines de ces sociétés sont nées de très importantes fusions à la fin des années 1990 comme Exxon-Mobil et Total-Fina-Elf en 1999.
Où en est la transition énergétique des majors pétro-gazières?
Sous pression croissante, la plupart des compagnies pétro-gazières du monde occidental investissent dans les énergies vertes mais sans abandonner les énergies fossiles, arguant qu'il faut répondre à la demande de pétrole et de gaz, au risque de rater l'objectif de la neutralité carbone en 2050.
Depuis 2021, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) presse le monde d'arrêter tout nouveau projet d'exploration pétrolière pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés par rapport aux niveaux pré-industriels. Mais de nouveaux champs pétroliers continuent d'ouvrir.
L'industrie pétro-gazière, surtout européenne, s'est certes fixé des objectifs pour faire sa mue et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Mais les investissements du secteur en faveur des énergies renouvelables ont représenté en 2022 moins de 5% de ses dépenses consacrées à l'exploration et à l'extraction fossile, selon l'AIE, qui note que ce n'était qu'1% en 2020.
Les entreprises européennes font mieux mais même chez elles, les investissements "sont minuscules comparé à leurs dépenses pour l'expansion du pétrole et du gaz", déplore David Tong, porte-parole de Oil Change international.
La marge de progression est énorme. Outre les renouvelables, les entreprises pourraient orienter "plus de dépenses" dans des technologies telles que la captation et le stockage du carbone, le biogaz, l'hydrogène et les carburants à faibles émissions "qui semblent bien correspondre à leur expertise", estime Christophe McGlade, chef de l'unité d'approvisionnement en énergie de l'AIE.
L'essentiel des efforts des majors portent sur leurs émissions directes et celles liées à l'énergie qu'elles consomment elles-mêmes, qui au total représente 15% ou moins de leur empreinte carbone (périmètres de "scopes 1 et 2" dans le jargon). Elles y arrivent par exemple en luttant contre les fuites de méthane (le gaz naturel) ou en arrêtant le torchage du gaz.
BP a ainsi diminué ces émissions de 41% en 2022 par rapport à 2019 et a annoncé l'objectif de -50% en 2030, contre 30-35% prévu en 2020.
Même les compagnies américaines, longtemps rétives, s'y mettent, mais plus timidement. ExxonMobil compte ainsi réduire d'environ 20% les émissions "à l'échelle de l'entreprise" à l'horizon 2030 par rapport à 2016.
Mais l'essentiel est ailleurs: les émissions indirectes liées à la combustion du pétrole dans les voitures ou du gaz fossile dans le chauffage ("scope 3"), qui représentent 85% ou plus de leur empreinte carbone. Leur baisse implique mécaniquement de se passer de plus en plus du pétrole (et à terme, de gaz).
Or, BP a annoncé cette année qu'il allait augmenter ses investissements dans les énergies bas-carbone mais autant dans le pétrole et le gaz, ralentissant le rythme de sa transition énergétique. Un tollé environnemental. Au lieu de réduire ses émissions indirectes liées à sa production de 35-40% de 2019 à 2030, BP table désormais sur 20-30%.
Chez TotalEnergies, on prévoit un maintien d'ici 2030 des émissions indirectes au niveau actuel, soit en dessous de 400 millions de tonnes par an, à peine moins que les 389 millions déclarées en 2022.
Si le groupe prévoit que le pétrole ne représentera plus qu'environ 30% du total de ses ventes dans la décennie (contre 55% en 2019), il va en revanche augmenter considérablement ses ventes de gaz (50% de ses ventes d'ici 2030).
De fait, "le secteur en 2030 sera plus dominé par le gaz que le pétrole", estime Moez Ajmi, expert en énergie chez EY.
Pour Christophe McGlade à l'AIE, une chose est sûre: "si les entreprises misent sur une augmentation continue de la demande de pétrole et de gaz, elles supposent implicitement que nous n'atteindrons pas nos objectifs de net zéro en 2050".
Des majors encore très loin des objectifs de l'accord climat de Paris
Les grandes compagnies pétrolières continuent de mettre en place des projets incompatibles avec l'accord de Paris sur le climat et aucune n'est sur la voie pour tenir la limite de 1,5°C de réchauffement fixée par la communauté internationale, selon un rapport publié en mars 2024 par le groupe de réflexion Carbon Tracker.
Au moment où le patron du géant saoudien Aramco pointe du doigt la stratégie mondiale de transition énergétique ("un échec", a déclaré Amin Nasser lundi à ses homologues réunis au Texas), Carbon Tracker adresse un message aux investisseurs, leur enjoignant de privilégier les compagnies préparant au mieux leur transition.
A ce jour, aucune compagnie n'atteint la note A, selon l'ensemble des critères retenus par le rapport (projets d'investissements, projets entérinés, plans de production, objectifs d'émissions de CO2, politique de rémunération des dirigeants).
"Nos résultats montrent que l'industrie est très en retard par rapport à ce qu'il faudrait faire pour s'aligner sur les objectifs de l'Accord de Paris", déplorent les auteurs.
La compagnie créditée de la meilleure note, la britannique BP, est notée "D" (les notes pouvant aller de A à H), grâce à "son ambition de réduire sa production d'ici 2030". BP a toutefois revu à la baisse ses objectifs l'an dernier, tablant désormais sur une diminution de 25% par rapport à 2019 contre 40% auparavant.
Derrière, six compagnies reçoivent la note "E": toutes les majors européennes (Equinor, Repsol, Eni, Shell et TotalEnergies) et l'américaine Chesapeake. Cette dernière, ainsi que d'autres compagnies américaines moins bien classées globalement, n'ont pas entériné de projets récemment et ont en conséquence obtenu la note maximale de 4 pour ce critère.
Aramco, la brésilienne Petrobras, et les américaines ExxonMobil et Pioneer sont en queue de classement "en partie du fait de leurs objectifs peu ambitieux de réduction des émissions de CO2, mais également au vu de leur intention d'augmenter leur production [au moins] à court terme", indique le rapport.
Elles écopent de la note "G", juste devant le bonnet d'âne de ce classement, l'américaine Conoco Phillips, créditée d'un "H" et de mauvaises notes dans tous les domaines, excepté les projets récents.
Ces notes "peuvent orienter les investisseurs vers des domaines sur lesquels ils peuvent influencer ces compagnies afin qu'elles améliorent leurs performances", espère Carbon Tracker.
Car l'évaluation de ces compagnies en matière de conformité avec l'accord de Paris sur le climat va de pair avec leur "exposition aux risques de la transition" énergétique: "la baisse de la demande d'hydrocarbures va vraisemblablement entraîner des prix futurs plus bas", souligne Carbon Tracker.
En 2019, un rapport montrait que les cinq principaux groupes pétroliers et gaziers coté en Bourse ont, depuis la COP21 fin 2015, dépensé un milliard de dollars en lobbying et relations publiques "contraires" aux conclusions de l'accord de Paris sur le climat, indique vendredi le rapport d'une ONG britannique.
ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et Total, malgré leur soutien affiché à la maîtrise du réchauffement climatique, ont notamment dépensé quelque 200 millions par an en lobbying pur pour "étendre leurs opérations en matière d'énergies fossiles", selon InfluenceMap, chargée de suivre l'action d'influence des entreprises.
Sur plus de 110 milliards de dollars d'investissement de capitaux prévu pour 2019, seuls 3,6 milliards concernent d'ailleurs des projets bas-carbone, souligne le rapport.
Pressions des ONG et réponses des compagnies pétrolières
L'ONG Carbon Tracker, interpelle les investisseurs, au moment où ces derniers ainsi que la société civile font de plus en plus pression sur la direction des entreprises pour qu'elles prennent en compte l'urgence climatique. "Les investisseurs devraient remettre en question les dépenses des entreprises pour la production de nouveaux combustibles fossiles. La meilleure façon de préserver la valeur pour les actionnaires et de s'aligner sur les objectifs climatiques est de se concentrer sur des projets à faible coût qui dégageront les meilleurs rendements", souligne Andrew Grant.
Certains des groupes accusés de double discours ont aussitôt réagi vendredi pour se défendre et affirmé avoir pris le virage de la transition énergétique. "Nous sommes d'accord pour dire que le monde ne bouge pas assez vite pour s'attaquer au changement climatique. Shell agit maintenant et cela est reconnu par les investisseurs", a assuré une porte-parole du groupe, sollicité par l'AFP. "Notre activité évolue avec le système énergétique, pour fournir les produits dont nos clients ont besoin et nous assurer que Shell demeure un investissement de classe mondiale durant la transition énergétique", selon elle.
BP a rappelé de son côté avoir soutenu les objectifs de l'accord de Paris et s'être notamment lancé dans les renouvelables. "Tout cela est destiné à faire évoluer BP d'une entreprise centrée sur le pétrole et le gaz à une entreprise énergétique dans un sens beaucoup plus large", a réagi un porte-parole. "De cette façon nous sommes mieux équipés pour aider le monde à atteindre zéro (émission de gaz à effet de serre) nette tout en répondant à la demande énergétique en hausse", a-t-il poursuivi.
De plus en plus critiqués par les défenseurs de l'environnement, les géants du secteur ont ces dernières années mis en avant leurs efforts de diversification en particulier dans l'électricité issue des énergies renouvelables. Mais les pourcentages investis dans les énergies non fossiles restent encore faibles, remarquent certains experts.