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Planter des arbres, cela ne suffit pas : les défenseurs du climat mettent en garde contre la compensation carbone volontaire, pratiquée en particulier par les grandes entreprises, dont l'abus pourrait bien finir par alimenter le réchauffement au lieu de le combattre.
Qu'est-ce qu'une compensation ?
Une compensation carbone consiste à compenser ses propres émissions de gaz à effet de serre en finançant un projet permettant de réduire celles d'une autre entreprise ou d'un territoire. Un levier utilisé dès les années 1980.
Il peut s'agir de favoriser des puits de carbone naturels en plantant des arbres, en restaurant des haies, des mangroves; cela peut être un projet d'énergies renouvelables. Aujourd'hui, la liste inclut des technologies comme l'extraction de CO2 dans l'air, des solutions pas toujours au point ou onéreuses. Le service acheté se mesure en "crédits carbone".
On distingue les "acheteurs de conformité", qui répondent à une obligation réglementaire, des acheteurs volontaires. Avec la pression climatique et sociétale, les entreprises multiplient les engagements "volontaires" pour atteindre zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050, voire avant, avec des plans incluant souvent, au moins dans un premier temps, des compensations. Ce qui annonce une explosion du marché des crédits carbone.
Boom en vue
Le verdissement du transport aérien passe ainsi largement, pour l'heure, par des mécanismes de compensation. Microsoft veut atteindre la neutralité carbone en dix ans, mais aussi compenser son impact cumulé depuis sa création en 1975, notamment en faisant pousser des arbres.
Du côté des producteurs d'énergie, Shell, BP, ENI, TotalEnergies... comptent en partie sur les arbres dont ils veulent planter des dizaines de millions.
Selon Mark Carney, émissaire spécial de l'ONU et ex-gouverneur de la Banque d'Angleterre, ce marché pourrait atteindre 100 milliards de dollars d'ici à 2030, contre 300 millions en 2018. "Il va y avoir une croissance... En ce moment nous embauchons autant que nous le pouvons", expliquait à l'AFP David Antonioli, patron de Verra, premier certificateur mondial de projets de compensation.
Critiques
Mais pour les défenseurs et scientifiques du climat, cet outil ne peut servir que pour les émissions résiduelles, la priorité étant pour les entreprises de réduire leurs propres émissions.
Planter des arbres déplace le problème: ils mettent des années à grandir, brûlent parfois (le problème de la Californie aujourd'hui), ne sont pas éternels, occupent des surfaces agricoles nécessaires pour nourrir 7,7 milliards d'humains... Certains projets - barrages, reforestation... - ont aussi affecté des communautés autochtones.
Déjà, sol et plantes absorbent d'énormes quantités de CO2, au point de donner des signes de saturation. Or, par exemple, sur les 25 groupes internationaux dont le New Climate Institute et l'ONG Carbon Market Watch aient étudié les engagements, la plupart recourent à de tels systèmes. Et seuls trois parmi les 25 étudiés - Maersk, Vodafone et Deutsche Telekom - s'engagent clairement à décarboner plus de 90% des émissions de leur chaîne de valeur complète.
"Oui, une reforestation héroïque peut s'avérer utile mais il faut arrêter de dire qu'il existe une solution naturelle à l'utilisation des énergies fossiles. Il n'y en a pas. Désolé", résume le climatologue Myles Allen.
Quels garde-fous ?
Ce sujet a particulièrement électrisé la dernière COP climat, les militants dénonçant une nouvelle méthode de "greenwashing". Une "task force" y a été présentée. Lancée autour de Mark Carney et Bill Winters, président de la banque Standard Chartered, elle réunit banquiers, multinationales, ONG... pour tenter d'accompagner l'essor attendu du marché des crédits.
L'idée est d'organiser un marché aujourd'hui fragmenté, fait d'intermédiaires, vendeurs et standards variés, et de définir ce qu'est une compensation adéquate. Mais les positions divergent, notamment sur les critères de qualité. "La préoccupation des ONG est légitime", dit le patron de Verra. Membre de la task force, il souligne l'importance de fixer "un niveau minimum de performance" des projets de compensation.
L'ONG Carbon Market Watch insiste sur le rôle des législations nationales pour, par exemple, réguler la publicité des entreprises en matière d'action climatique. Et pour standardiser les engagements climatiques des entreprises, et les promesses de neutralité carbone, l'ONU a lancé jeudi un groupe d'experts, chargé de proposer d'ici à la fin 2022 "des normes pour mesurer les engagements".