En Allemagne, la résistance des agriculteurs à la transition énergétique

  • AFP
  • parue le

Edgar Thomas est excédé : deux énormes pylônes défigurent déjà le paysage idyllique entourant ses champs de betteraves. Mais pour cet agriculteur bavarois confronté à la transition énergétique allemande, d'autres lignes à haute tension pourraient encore fleurir. Car pour que l'Allemagne abandonne à terme les énergies fossiles, la construction d'autoroutes de l'électricité paraît inéluctable, pour relier le Nord parsemé d'éoliennes au Sud industriel et avide de ce courant "vert".

Encore faut-il que Berlin concilie les intérêts divergents, notamment autour de Bad Kissingen, dans le nord de la Bavière, que doit traverser l'un des trois axes énergétiques prévus à travers le pays.

Ainsi Edgar Thomas, qui dirige la section locale de la Fédération des agriculteurs, juge-t-il que la ligne de 110 000 volts surplombant déjà son champ entrave les machines à pulvérisation, l'obligeant à traiter ses terres "à la main". "Les gens disent que nous devons produire des aliments au plus bas prix possible. Nous voulons de la très bonne nourriture, nous devons respecter les normes environnementales, et d'un autre côté ils disent que nous devons accepter ces lignes à haute tension", poursuit-il.

Résistance

Or selon les plans gouvernementaux, qui devraient être précisés ce vendredi dans le cadre d'un vaste projet de loi sur le climat, une ligne supplémentaire de 380 000 volts doit traverser la région de Bad Kissingen. Alors la résistance s'organise dans cette terre agricole, parfois de manière originale. Le Land voisin de Thuringe a ainsi proposé de faire de l'ancienne zone frontalière qui séparait l'Allemagne de l'Ouest de l'Est un monument national, afin d'empêcher l'édification d'une de ces routes.

Résultat : sur les 7 700 km de lignes électriques, seuls 950 km ont été construites, retardant l'approvisionnement du Sud alors que le vent capté au Nord représente environ la moitié de l'électricité tirée en Allemagne des énergies renouvelables. Mais pour M. Thomas, l'approche Nord-Sud n'est pas la bonne. Et de désigner deux éoliennes dans lesquelles lui et d'autres habitants du village de Nüdlingen ont investi.

Les agriculteurs locaux gèrent également une usine de biomasse qui chauffe l'eau des bains thermaux voisins. M. Thomas aime également présenter les panneaux solaires qui ornent son toit. "Nous devrions tenter de construire des pourvoyeurs d'énergie localement, à petite échelle, ainsi qu'un réseau. Ce serait intéressant pour nous, les agriculteurs, parce que nous aimons produire des énergies renouvelables", argumente-t-il.

Et sous terre ?

Dans le centre historique de Bad Kissingen, Thomas Bold, élu du district, a lui participé à l'élaboration d'une pétition contre l'installation d'une nouvelle autoroute de l'électricité.

"J'ai beaucoup de difficultés à comprendre" ce projet national baptisé "P43", confie-t-il, désignant l'axe qui doit traverser la région de la Röhn d'ici 2030, soit 130 km d'un paysage rural alternant montagnes, champs et forêts. "Faire transiter de l'électricité par des lignes" destinées à alimenter le Sud "suscite nettement moins de compréhension que si nous en avions besoin ici", déplore l'élu.

Certes, les responsables politiques ont promis que la P43 serait enterrée le plus possible. Mais pour M. Bold, les coûts environnementaux et financiers rendent cette promesse "irréaliste". Et du point de vue des agriculteurs, enfouir des lignes électriques ne fait que créer de nouveaux problèmes. "On n'imagine même pas ce que cela ferait à la production" de betteraves, alors que les sécheresses se multiplient déjà, selon lui.

Le responsable local refuse de mettre de l'huile sur le feu dans un conflit de plus en plus manifeste entre les intérêts des citadins et des ruraux, déjà opposés sur une éventuelle taxe allemande des carburants. Mais "je voudrais dire aux gens dans les villes que nous les accompagnerons, et nous faisons déjà beaucoup, mais cela doit se faire dans des conditions raisonnables qui soient supportables pour nous", conclut-il.

Commentaires

Charentas
Des champs de betteraves : "paysage idyllique"... hum... Et si cela permet d'empêcher les "machines à pulvérisation" de déverser les toxiques pesticides, c'est pas plus mal.
On marche sur …
L'article ne dit pas si la production de betterave est en Bio ou pas... Mais vu que les produits autorisés en Bio ne résolvent pas tous les problèmes... Allez, arrêtons tout simplement l'agriculture en France, en Allemagne, en Europe et... importons toutes ces merdes étrangères. A la place dans les champs, on mettra des éoliennes partout et des champs photovoltaïques partout. On aura de l'électricité, quoi que... mais notre autosuffisance alimentaire sera échouée. Remarque vue la conjoncture sociétale envers l'agriculture aujourd'hui, on est bien partis dans ce sens !
Albatros
C'est quoi, ce mépris, cette condescendance ? Il y a des coins en Allemagne et aussi en France, où les cultures s'insèrent plutôt mieux dans le paysage que des pilônes et des lignes THT. C'est une question de goût, mais aussi de préjugés...

Ajouter un commentaire

Suggestion de lecture