Directrice Entreprises – Auxilia Conseil
La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte vient d’être votée. Même si elle pose une ambition nationale et contient des éléments novateurs (programmation pluriannuelle de l’énergie), elle peut aussi être lue comme l’écho tardif d’une évolution de la gouvernance des énergies déjà à l’œuvre dans les territoires. Qui, du politique, du citoyen ou de l’entrepreneur est pionnier ou novateur est toujours une bonne question ! C’est en tout cas l’occasion de regarder dans le rétroviseur et dans le viseur, et de découvrir quels territoires ont déjà réalisé leur virage énergétique avec succès.
Mettre en avant la réussite des uns plutôt que des autres suppose d’avoir un baromètre bien clair de la notion de réussite. Souhaite-t-on sélectionner ceux qui ont déployé des technologies innovantes, ceux qui ont fait évoluer la gouvernance des énergies, mobilisé de nouveaux acteurs, imaginé de nouvelles coopérations, ceux qui ont réussi à produire des kWh à moindre coût, ceux qui ont fait le pari de la réduction de la demande par de l’innovation sociale, ceux qui en ont fait un projet politique pour régénérer leur territoire, ou bien tout cela à la fois ?
Les TEPOS sont nos pionniers et champions historiques.
L’observation fine du terrain nous renseigne sur cette diversité d’expériences et sur ces réussites bien réelles, dans des contextes variés. Nous ferons volontairement une excursion hors des « Smart Cities » et autres lieux de la 3e révolution industrielle, pour aller à la rencontre d’autres réalités. Nous regarderons en premier des cas où l’énergie maîtrisée, locale et renouvelable a été pensée comme solution de sortie de crise ou de situations très contraintes.
Les TEPOS, territoires à énergie positive dont certains ont plus de 10 ans de recul, sont nos pionniers et champions historiques. Citons Le Méné, territoire de 5 000 habitants enclavé en centre Bretagne, dans lequel la précarité des entreprises agricoles et habitants était un enjeu fort. Ce premier TEPOS a fait le pari des énergies renouvelables pour revivifier le territoire et a dû pousser les murs pour y arriver, en particulier pour la réalisation d’une unité de méthanisation centralisée (dégageant 4 millions d’euros de CA annuel) mise en service en 2011.
A Le Méné, l’objectif de 100% d’approvisionnement en EnR pour 2020 a été voté à l’unanimité.
En 4 ans, plus de 27 millions d’euros ont été investis dans les énergies renouvelables (EnR) sur ce territoire. L’objectif de 100% d’approvisionnement en EnR pour 2020 a été voté à l’unanimité en conseil communautaire, et à fin 2012, un taux de près de 30% d’autonomie énergétique par rapport à la consommation du territoire était déjà atteint avec la production de l’ordre de 50 GWh annuels d’énergies renouvelables locales. Les chaufferies bois sont des régies publiques communales et les autres installations de production (éolien, méthanisation) sont possédées au tiers par des citoyens et par des agriculteurs.
Voyons aussi le Thouarsais et ses 36 000 habitants. Territoire peu fréquenté dans les Deux-Sèvres, à l’écart des grandes infrastructures, en perte de vitesse (près de 1 000 maisons à vendre à Thouars qui ne trouvent pas preneur…). Les acteurs politiques locaux n’ont pas baissé les bras, au contraire. D’une friche militaire totalement abandonnée, ils ont transformé l’essai grâce au projet TIPER : réinvestissement via des projets publics-privés de centrales solaires, création d’une usine de méthanisation centralisée, approvisionnée par des gisements de l’agriculture locale, ainsi que d’une unité de gazéification et surtout création de plus de 50 emplois directs pérennes.
Ces initiatives de « petits » territoires ont deux points communs : le portage avec conviction par des individus dotés d’une motivation sans faille et la (re)création de la capacité à faire ensemble le changement. Ce sont des caractéristiques que nous retrouvons sur de nombreux autres territoires moins médiatisés ou non labellisés TEPOS : à Loos-en-Gohelle ou à Fruges dans le Nord-Pas-de-Calais, à Saint-George-sur-Arnon dans l’Indre, à la coopérative agricole Fermes de Figeac, et à bien d’autres.
Les amoureux des gros chiffres seront peut-être sceptiques devant les volumes d’énergies produits…
Dans les villes « voraces » en énergies, la maîtrise de la demande énergétique est souvent un serpent de mer qui achoppe sur la rentabilité des opérations de rénovation thermique, les effets « rebond », la complexité d’agir dans les copropriétés… Nous pouvons mettre en exemple le cas atypique de Grenoble, qui au-delà d’une approche programmatique du sujet rénovation du parc bâti, a mis en place le dispositif Soleni.
Ce dispositif consiste en un accompagnement de plus de 200 ménages en situation de précarité énergétique par des ambassadeurs de la maitrise de l’énergie, eux-mêmes en insertion. Les résultats obtenus sur 3 ans en termes de réduction des factures (moins 20%), amélioration du confort et réinsertion pour les ambassadeurs ont été suffisamment probants pour justifier la création d’une entreprise d’insertion et pérenniser le dispositif. Il s’agit donc avant tout d’aventure et de réussite humaine.
Les amoureux des gros chiffres seront peut-être sceptiques devant les volumes d’énergies produits (à ce jour) sur ces territoires. Ce serait oublier que tout grand changement a commencé discrètement, et qu’il vaut mieux regarder le taux de croissance et les dynamiques d’acteurs que la donnée brute du jour. Ainsi, le cas de la réduction de la consommation d’énergie pour la mobilité longue distance permise par covoiturage, avec le succès (au départ perçu comme peu probable) de Blablacar, pourrait nous aider à ouvrir les yeux.
Les ingénieurs douteront eux de la pertinence technico-économiques des choix réalisés, au prisme du coût de production du kWh. Mais c’est avoir sans doute des œillères que d’oublier de compter les emplois induits sur le territoire, la revitalisation obtenue, et les effets positifs d’équilibrage du territoire à l’heure où la métropolisation « inexorable » génère son cortège d’externalités négatives.
Le futur peut s’écrire dans des modèles économiques horizontaux et des logiques d’innovations frugales, locales.
Les esprits ordonnés s’inquiéteront de voir la planification d’un service public de l’énergie concentré - donc supposé efficient - leur échapper. Ils se sentiront déboussolés devant cette « Terra Incognita ». Ce serait mal comprendre que le futur peut s’écrire dans des modèles économiques horizontaux et des logiques d’innovations frugales, locales, et que la vision pyramidale est devenu inefficiente dans un monde connecté. Monde dans lequel il est par ailleurs urgent de redistribuer de la capacité productive de richesses à un plus grand nombre. Ils n’auront sans doute pas vu l’urgence d’un développement économique régénératif de tous nos territoires et l’effritement en cours de certains autres services publics dans un contexte économique morose.
Pour ne pas être qualifiés de ruralistes, nous regarderons pour finir des territoires très urbains, où, par définition, les gisements naturels (soleil, vent, biomasse) rapportés au nombre d’habitants offrent un potentiel productif bien moindre – et dont on peut dire qu’ils sont « vraiment pauvres en énergies renouvelables » et sous perfusion pour leur approvisionnement énergétique.
Cette réalité est bien comprise par les urbains à leur échelle, qui ont alors deux réactions : se désintéresser de l’énergie puisqu’ils n’ont pas la main sur le sujet ni la possibilité d’en produire ; se tourner vers une relation de coopération avec les territoires producteurs, en particulier en tant qu’investisseurs ou bénéficiaires de la production de nouvelles énergies.
En France, Lumo propose des obligations vertes pour le financement participatif de projets de toitures solaires.
Un signal faible mais éclairant de cette révolution « horizontale » est la start-up Yeloha qui opère aux États-Unis : elle propose aux urbains ou à ceux qui ne peuvent investir en direct de bénéficier de capacités de production solaire sur des toitures en zones moins denses ou rurales (via un réseau peer-to-peer).
Citons aussi Lumo en France, plateforme innovante proposant des obligations vertes, pour le financement participatif de projets de toitures solaires – au passage en créant un effet de levier favorable pour l’argent public mobilisé. A travers ces acteurs, nous entrevoyons une augmentation potentiellement majeure de la capacité de financement des énergies renouvelables… et des solutions – toujours autant discutables qu’aujourd’hui – de partage de la rente énergétique.
Concluons en notant que, selon Forbes, pour la première fois en 2016, la finance participative devancera les fonds de Private Equity (pour les investissements dans le segment capital-risque). Là encore nous ne pouvons plus être aveugles devant une révolution numérique qui traverse désormais le système financier et qui frappera également la dynamique d’investissement en capital productif dans les énergies. Nous accélérons en direction d’une économie plus largement fondée sur le silicium et moins sur le carbone. Les territoires en transition énergétique qui l’ont compris pourront ajouter la puissance de l’argent à celle de la volonté des hommes.