Avec le Covid-19, une décrue historique des émissions mondiales de CO2 est amorcée...

Christian de Perthuis

Professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine - PSL

Fondateur de la Chaire Économie du Climat

La crise sanitaire provoquée par la diffusion du Covid-19 a changé d’échelle. Le 11 mars, l’OMS reconnaissait l’état de pandémie mondiale. Tous les pays du monde sont désormais concernés, le principal foyer de propagation du virus étant, à l’heure qu’il est, l’Europe.

Cette extension s’est accompagnée d’un dévissement des marchés financiers qui constitue un nouveau vecteur de propagation de la récession dans le monde. À court terme, celle-ci générera une réduction des rejets atmosphériques de CO2 d’une ampleur inédite.

Notre anticipation est que 2019 va constituer le pic d’émissions mondial car la crise sanitaire sera, à moyen terme, un vecteur d’accélération des transformations structurelles des économies.

Hypothèses sur la durée la pandémie…

D’après les travaux de l’épidémiologiste Antoine Flahault(1), le monde contemporain a connu trois pandémies : la grippe espagnole de 1918-19 et deux épisodes de grippe, en 1957 et 1968. Les impacts de cette quatrième pandémie vont dépendre de sa dangerosité – que l’on peut caractériser à partir de sa durée et de sa létalité.

À propos de la durée du Covid-19 : le pic épidémique semble avoir été dépassé en Chine et en Corée du sud (27% de la population mondiale). Si l’Europe (7% de la population) parvient à circonscrire la propagation du virus au même rythme, le pic pourrait y être atteint d’ici fin avril.

Il est difficile d’anticiper la capacité de réaction des États-Unis (4% de la population) du fait de la faiblesse du système de santé publique. L’incertitude la plus grande concerne l’Asie du Sud et l’Afrique où 42% de la population mondiale doit affronter le virus avec des systèmes de soin très vulnérables.

Retenons l’hypothèse d’un pic mondial atteint d’ici fin juin et d’un retour graduel à la normale de l’économie mondiale à partir de l’été.

… et hypothèses sur son ampleur

Quid de la létalité du Covid-19 ? Lorsque les spécialistes étudient les effets économiques des pandémies les plus graves(2) (peste noire, grippe espagnole), un effet majeur concerne l’amputation durable des ressources en travail du fait de la létalité (¼ de la population européenne au XIVe siècle ; probablement 40 millions de décès en 1918). Il serait malvenu de faire ici la moindre anticipation de la létalité de la crise sanitaire actuelle.

L’hypothèse retenue est que cet impact restera secondaire au plan macroéconomique. Ce sont les effets économiques et environnementaux des mesures d’exception prises par les pouvoirs publics pour endiguer la crise sanitaire qui sont pris en compte dans l’analyse.

2020, année de recul sans précédent des émissions de CO

Les récessions surviennent habituellement pour corriger des déséquilibres antérieurs ; un surendettement initial, par exemple, comme ce fut le cas en 2009, dernière grande crise économique.

La situation actuelle est très différente : les économies entrent brutalement en récession à la suite des restrictions à la mobilité des personnes. L’imagerie satellite témoigne de l’ampleur du mouvement en Chine et en Italie où les pollutions locales ont chuté à la suite du confinement des populations.

Lors de la récession de 2009, la croissance chinoise avait juste ralenti, occasionnant un effet à peine visible sur les émissions de CO2...

En Chine, ces mesures ont provoqué un recul inédit de l’activité économique : d’après les indicateurs officiels(3), une baisse de 20% des ventes de détail sur les deux premiers mois de l’année et de 16% de la production manufacturière. Mi-mars, le gros de la crise sanitaire semblant passé, le mot d’ordre est à la relance. Malgré l’ouverture des vannes du crédit par la banque centrale, la reprise de l’économie chinoise semble toutefois poussive. La confiance n’est pas revenue, ce qui plombe la demande des ménages (consommation et logements). Sur le front extérieur, la reprise des exportations bute sur la récession, frappant désormais les principaux clients de Pékin.

Lors de la récession de 2009, la croissance chinoise avait juste ralenti, occasionnant un effet à peine visible sur les émissions de CO2. Une tout autre évolution se dessine pour 2020.

D’après une toute récente étude de Lauri Myllyvirta(4), basée sur des indicateurs comme la production électrique (voir le graphique ci-dessous), la récession aurait déjà provoqué un recul de 200 millions de tonnes (Mt) des émissions chinoises de CO2 en février (- 25 %)… soit l’équivalent de deux tiers de ce qu’émet la France en un an !

Dans ce contexte, la Chine, à l’origine de 27% des émissions mondiales, devrait connaître en 2020 une diminution de ses émissions d’une ampleur inédite, en contraste avec ce qui s’était produit au cours de la crise économique de 2009.

Consommation chinoise de charbon et coronavirus

En Europe et aux États-Unis, l’entrée dans la crise sanitaire a été accompagnée de mesures d’exception, tant monétaires que budgétaires, pour amortir le choc économique. L’objectif est d’empêcher que les problèmes de trésorerie des entreprises ne multiplient les faillites en provoquant une envolée du chômage. Ces coussins ne feront qu’amortir le choc dépressif sans créer les conditions d’un rebond économique. Dans ces pays, le transport, activité fortement affectée, est par ailleurs la première source d’émission de CO2. L’impact de la crise sur les émissions n’en sera que plus marqué.

À court terme, la gestion d’une crise sanitaire désormais mondiale provoque un choc sur l’économie d’une intensité inédite en temps de paix. Il va en résulter un recul massif des émissions.

En 2009, une récession majeure avait provoqué un recul des rejets mondiaux de CO2 de 500 millions de tonnes (Mt). En 2020, la baisse devrait être nettement plus prononcée. En ordre de grandeur, on peut la situer dans une fourchette de l’ordre de 1 000 Mt à 5 000 Mt. Des montants qui ne sont pas susceptibles d’être rattrapés en un an.

Mais une fois sorties de la récession, nos sociétés seront-elles mieux ou moins bien armées pour faire face au réchauffement climatique ?

2019, probable pic mondial des émissions

Certains commentateurs opposent la vitesse de réaction des gouvernements face à l’urgence sanitaire à leur inertie face à l’urgence climatique. Séduisante, l’analogie est pourtant trompeuse. Le mot « urgence » s’appliquant ici à des temporalités très différentes.

Une journée de perdue face à la pandémie équivaut à deux ans de perdus face au réchauffement, et un mois… à 60 ans !

On gère l’urgence sanitaire au jour le jour en intégrant les informations qui tombent chaque heure. Face au Covid-19, le délai d’action de mesures engagées pour freiner l’épidémie est de l’ordre d’une dizaine de jours (entre le moment où on engage l'action et le moment où les premiers résultats commencent à apparaître). Face au réchauffement, compte tenu de l’inertie du stock de CO2 accumulé dans l’atmosphère, le délai de réaction des variables climatiques à une baisse des émissions est plutôt de l’ordre de vingt ans.

Une journée de perdue face à la pandémie équivaut donc à deux ans de perdus face au réchauffement, et un mois… à 60 ans ! Après correction des différentiels de temporalité, il n’est pas certain que les gouvernements aient réagi si rapidement à la menace du Covid-19.

Pour apprécier les effets de long terme de la crise sanitaire, privilégions plutôt l’approche historique. Depuis 1959, les émissions mondiales de CO2 ont reculé à trois reprises, en réaction à un choc extérieur (voir le graphique ci-dessous). Passé ce choc, la courbe globale d’émissions a bien redémarré. Mais à chaque fois, le choc a laissé des traces durables dans une région du monde.

Emissions mondiales de CO2

Au lendemain du réalignement du prix du pétrole en 1980 (suite aux chocs pétroliers), les émissions mondiales baissent pour la première fois deux années consécutives. C’est aussi le moment où l’Union européenne atteint son pic d’émissions. La seconde baisse, observée au début des années 1990, se superpose avec le pic d’émissions atteint en 1990 pour l’ensemble des pays de l’ex-bloc soviétique. Le choc de 2009 n’a guère affecté la trajectoire chinoise, mais il se superpose avec le pic des États-Unis, atteint en 2007.

Le choc de 2020 pourrait faire de l’année 2019 le pic mondial des émissions de CO2. La crise sanitaire révèle la fragilité des organisations productives qui dopent ces émissions et son traitement de choc va contraindre à des expérimentations porteuses d’alternatives plus respectueuses du climat. La Chine, premier émetteur mondial, sera en première ligne.

Un catalyseur d’innovations structurelles

Le changement de trajectoire ne sera pas linéaire. La baisse du pétrole va stimuler sa demande et renchérir les coûts relatifs des investissements dans l’énergie « verte » ; la crise sanitaire ayant envahi tout l’espace politique, la préoccupation climatique des gouvernements a reculé ; la fin des périodes de confinement verra un énorme besoin de renouer avec les rencontres et les multiples consommations associées.

En contrepoint, la crise sanitaire a révélé la grande fragilité des modes de développement basés sur l’accroissement incessant de la mobilité des personnes, du capital, des marchandises. Freiner la propagation d’un virus dans des sociétés de l’hypermobilité devient vite un casse-tête. La Chine, la première, en a fait l’expérience.

Mobiliser rapidement des moyens sanitaires comme des appareils d’assistance respiratoire, des masques de protection ou même du paracétamol se heurte à l’hyperspécialisation des chaînes de valeur. En Europe comme aux États-Unis, les autorités sanitaires découvrent avec stupeur les nouvelles dépendances qui en résultent.

La crise sanitaire ne révèle pas seulement toutes ces fragilités. Elle va aussi nous contraindre à expérimenter des modes d’organisation innovants. Le télétravail à grande échelle en constitue une brique majeure. Il va nous faire découvrir les possibilités de réduire de multiples formes de mobilités contraintes, accroissant inutilement nos empreintes climatiques pour de faibles bénéfices économiques. Concernant les marchandises, les acteurs économiques vont être obligés de tester la diversification de leurs sources d’approvisionnement et le raccourcissement de leurs chaînes d’approvisionnement.

Dans ces deux cas, il s’agit d’expérimenter de nouvelles formes d’organisations productives qui non seulement limitent les risques épidémiques mais facilitent la réduction de nos rejets de gaz à effet de serre.

Avec les contraintes de confinement, la gestion de la crise sanitaire va aussi faire émerger de multiples innovations en matière de solidarité. On en voit les prémices en France, tant vis-à-vis des personnes âgées, les plus vulnérables, qu’à l’égard des personnels soignants, les plus exposés dans le combat contre le virus. Autant de valeurs qui pourraient faire reculer le consumérisme et l’individualisme qui entravent l’action collective face au réchauffement global.

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Commentaire

Antoine Farnault
Un mal pour un bien. Encore faut il que nous ayons une réelle capacité à apprendre des expériences que nous vivons. Le risque existe que si tôt passé, si tôt oublié...
Philippe Héricourt
Merci. Pour votre réalisme. Nous n'avons jamais appris qqc dans les crises; si non qu'il faut profiter pendant que l'on peut un max. Ce ne sont pas les mesurettes qui vont y changer qqc. Car ce sont les "citoyens" qui font et défont les Rois. et comme "plus on en a"... Bien sure cela va en choquer qqu. Mais il ne font pas le poids. (Et ce sont souvent des faux cul) Le gaspillage, les pollutions, viennent des "citoyens"; pas des plastiques (qui sont une des plus formidables matières) Pas des producteurs de biens de consommation, mais des consommateurs (Clientélisme, appât du gain, personnalité) Il ne faut pas jeter l'eau du bain, etc. Mais éduquer tous les décideurs. Oui, d'accord, c'est de l'utopie!?
Mohamed Aziz B…
Excellente analyse ! Il a fallu une grande catastrophe sanitaire pour espérer réaliser une baisse considérable des émissions de CO2. Quelle ironie du sort ! À la vue de la situation économique mondiale actuelle, on peut conclure vraisemblablement au déclins et à la fin du capitalisme et de son système bancaire qui lui est rattaché. Que va être donc notre prochain système économique, l'économie éthique peut-être ? ?
HERVE P
Bonjour La crise crée la conscience ? , espérons le ! Bien à vous
Renaud
Merci pour votre analyse pertinente La prise de conscience sera-t-elle pérenne et favorable au bien-être des individus dans une société transformée par un consumérisme plus sobre et éco-responsable ?... espérons que oui, sinon, le "petit" signal d'alarme du Covid-19 n'aura servi à rien face à ce qui nous attend :-( Changeons de paradigme ! Les scientifiques sont écoutés, continuons à leur faire confiance sur la question du climat ! La balle est dans le camp des politiques à présent (qu'ils ne s'inquiètent pas, une économie modifiée pour répondre aux besoins du changement climatique deviendra aussi solide à court/moyen terme) et bien sûr du client consumériste que nous sommes tous.
ActiVE action …
Santé par la qualité de l'air !!! Oui, les pétroleurs sont piégés, les constructeurs automobiles également. ◦les prix du pétrole montent, la transition sera accélérée … ◦les prix du pétrole baissent, ils perdront beaucoup trop d’argent… ◦les constructeurs européens seront forcés de présenter des nouveaux VE à cause de la concurrence américaine et asiatique. ◦nos Etats n’ont pas le choix, la fiscalité tendra favorablement vers une transition pour les EnR au détriment du fossile afin de continuer à remplir les caisses. http://acti-ve.org/pompe-a-essence-suicide-programme-pour-2025/mobilite-electrique/2019/05/
Albatros
Ce qui est terrible, c'est que l'éminent professeur ne dit rien des conséquences de ces crises sur la vie des populations. Il est indécent de se réjouir du "bénéfice" que semble constituer la réduction des émissions en méprisant les effets catastrophiques sur la vie des gens : chômage, misère... C'est vrai que, vu de Dauphine, ce ne sont que des abstractions, des scories absolument sans valeur... Non, je ne partage pas les valeurs de ce petit monsieur... Sincèrement.
DELAROCHE GERARD
En tant que prof d'économie, restez dans votre domaine. Vous êtes loin très loin de la physique (visiblement vous n'y comprenez rien) Le taux de CO2 dans l'atmosphere à sensiblement augmenté malgré la baisse de consommation des énergies fossile. Allez voir le dernier relevé fait à MLO. Ce sont de vrais valeurs pas du blabla. Je le dis je le répète restez dans votre domaine de compétence. Laissez à ceux qui connaissent le soin de donner leurs conclusions. Ce qui est dommage dans tout cela, est que vous avez des gens pour vous écouter et trembler de peur sur vos dires

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