La vision de…
Olivier Appert

Conseiller du Centre Énergie & Climat de l'Ifri
Membre de l’Académie des technologies

Le terme de transition est dans l’air du temps. On connaît depuis longtemps la transition démographique, la transition numérique bouleverse nos économies. Maintenant, on parle de la transition énergétique. En effet, le secteur énergétique sera confronté à une évolution majeure dans les prochaines décennies. Rappelons-nous cependant que le secteur énergétique n’a cessé d’évoluer depuis deux siècles : nous sommes passés de l’ère de la biomasse à celle du charbon, puis du pétrole, du gaz, demain des renouvelables…

Deux leçons peuvent être tirées de ce rappel historique. Le secteur énergétique présente une très grande inertie : le taux de renouvellement moyen du parc immobilier est de 1% à 2% par an, les installations de production d’électricité ont une durée de vie d’au moins 50 ans. La transition à venir prendra du temps. Par ailleurs, les défis de l’énergie sont tels qu’on a eu besoin de mobiliser toutes les sources d’énergie : il n’existe pas de panacée qui permettrait de régler seule tous les problèmes.

Les divers scénarios à long terme mettent en évidence un certain nombre de fondamentaux de la transition en cours :

  • la consommation d’énergie par habitant devrait atteindre un pic durant la décennie 2030. Ceci est dû aux bénéfices des progrès technologiques, mais aussi à une croissance économique plus faible des pays émergents. Le nombre d’habitants sur Terre va croître et le système énergétique sera confronté à une course-poursuite entre le progrès technologique et la population mondiale ;
  • la part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie va croître. Le Conseil mondial de l’énergie prévoit que la consommation d’électricité double d’ici 2060 ;
  • la production d’électricité solaire et éolienne devrait croître de façon importante dans tous les pays du monde. Ceci représente un défi majeur pour le secteur électrique compte tenu du caractère intermittent de ces sources d’énergie ;
  • la consommation de charbon devrait atteindre un pic dans les prochaines décennies. Le pic de la consommation de pétrole devrait suivre ;
  • l’avenir de la consommation d’énergie du secteur du transport constitue un défi majeur. Ce secteur dépend aujourd’hui à 95% du pétrole pour son approvisionnement énergétique. La solution passera par la poursuite des progrès technologiques pour réduire les consommations mais aussi par le développement de sources d’énergies alternatives : biocarburants, gaz, électricité, etc. ;
  • la limitation de l’augmentation de température en dessous de 2°C reste un défi majeur ;
  • la transition énergétique qui se dessine impliquera le développement d’innovations dans tous les secteurs de la consommation et de la production d’énergie. Par ailleurs une coopération entre tous les acteurs est impérative : gouvernements, entreprises, collectivités territoriales, ONG, consommateurs, etc.

La transition énergétique qui s’engage nécessitera des avancées majeures sur l’efficacité énergétique qui est à l’évidence la première priorité. Cela pourra passer par certaines évolutions des modes de consommation. Mais il faut se rappeler que l’énergie est un facteur majeur de la croissance économique des pays les plus pauvres : rappelons-nous que plus d’un milliard d’habitants n’ont pas accès à une énergie moderne. Le progrès technique jouera à l’évidence un rôle important. Mais encore faut-il que les gouvernements et les entreprises investissent en R&D.

Par ailleurs, il est indispensable de favoriser les technologies les plus efficaces au plan économique, c’est-à-dire au regard du coût de la tonne de CO2 évitée. Il est indispensable de se préoccuper des business models qui permettront aux acteurs d’investir sur ces technologies.

Baser le développement d’une filière sur des subventions récurrentes n’est pas durable à terme à l’évidence. Il est indispensable aussi d’évaluer les diverses filières en fonction de leur impact « du puits à la roue ». Par exemple, investir dans le développement du véhicule électrique dans certains pays dont le mix électrique est très carboné n’est à l’évidence pas optimal. La transition énergétique impose par ailleurs la mise en place d’une gouvernance forte : on ne peut pas se fier au marché pour répondre seul à tous les défis. Enfin, on ne doit pas oublier la géopolitique qui joue un rôle majeur, tant sur le plan de la consommation que de la production d’énergie.

parue le
21 avril 2017