La vision de…
Bernard Tardieu
Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages
2050. La COP55 vient de se terminer. Les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) tendent à se renforcer mais il demeure de fortes disparités entre les pays, notamment de la part de ceux qui trouvent des avantages dans le changement climatique(1). Malgré les efforts accomplis, les modifications climatiques sont très sensibles dans certaines régions, moins dans d’autres. Les continents soumis aux effets cycliques du phénomène el Niño (Afrique, Amérique du Sud) sont toujours sensibles à ces grands cycles pluriannuels et les tendances longues sont difficiles à discerner, surtout en ce qui concerne les ressources en eau qui demeurent la question majeure dans beaucoup de pays. La quantité d’eau est toujours la même mais la population mondiale augmente et sa concentration dans les villes accroît la consommation d'eau par habitant de la planète(2). Les pratiques agricoles et les techniques d’irrigation et de drainage permettent d’émettre moins de gaz à effet de serre et souvent d’en stocker tout en consommant moins d’eau. Une partie de la surface agricole planétaire est consacrée à l’énergie sans perturber la production alimentaire.
La consommation d’énergie n’est plus proportionnelle au PIB depuis plusieurs décennies. L’efficacité énergétique a progressé dans tous les domaines. Cependant, l’augmentation globale de la population mondiale a conduit à une augmentation importante de la population ayant accès à l’électricité et aux transports en Asie comme en Afrique (toujours en croissance démographique). La baisse de consommation des pays de l’OCDE ne pèse pas sensiblement comparativement à cette augmentation.
En 2050, le paysage énergétique mondial a changé. Le poids du charbon, du pétrole et du gaz fossile a baissé lentement mais sûrement. Le prix du charbon est bas et celui-ci joue toujours un rôle important. Toutes les anciennes centrales à charbon à bas rendement ont été remplacées par des centrales à haut rendement, ce qui a eu un impact très significatif sur les émissions mondiales, puisque la même production électrique est obtenue avec une réduction de 30% des émissions de GES. La séquestration du CO2 n’a pas trouvé de modèle physique et économique crédible pour de grandes quantités. En Chine et en Inde, on n’a pas trouvé de sites permettant le stockage géologique du CO2. Il est pourtant indispensable de trouver une solution si l’on souhaite continuer de consommer du charbon. Grâce au développement des énergies solaire et éolienne, les centrales à charbon, comme d’ailleurs les centrales à gaz, ne fonctionnent que 25% à 50% du temps, en fonction des régimes de vent et de soleil de la région et de la production hydroélectrique. Cette durée de fonctionnement réduite participe efficacement à la réduction des émissions de GES.
Les pays pétroliers et gaziers ont vu leur position stratégique diluée par la découverte de nombreux sites riches en pétrole et en gaz de schiste distribués sur toute la planète. Le Proche-Orient a perdu de son influence. Les grandes compagnies pétrolières et gazières se sont progressivement orientées vers les huiles et gaz non fossiles de manière à proposer des carburants et des gaz dont la part non fossile est croissante et dont le prix s’ajuste en fonction des développements technologiques et du prix du CO2. Ils développent ou achètent des productions agricoles dédiées à l’énergie, en priorité dans les zones tropicales, mais aussi dans les pays tempérés pour limiter leur dépendance à l’importation. Des territoires très vastes sont protégés contre le développement agricole énergétique afin de préserver la biodiversité.
Parmi les gaz à effet de serre, tous les gaz industriels fortement émissifs comme les HFC et SF6 ont été progressivement éliminés par voie réglementaire et remplacés par des gaz moins émissifs. La question du méthane reste ouverte. Les pertes industrielles de méthane sont sévèrement taxées. Les émissions naturelles associées ou non aux usages humains sont analysées en modifiant progressivement les pratiques culturales du monde agricole. Les zones humides fortement émettrices de méthane sont protégées du fait de leurs qualités intrinsèques pour la biodiversité. On essaie de réduire les feux de forêts.
La population mondiale urbaine est en forte croissance dans tous les pays et sous tous les climats. L’organisation des villes propose des abonnements énergétiques qui incluent toutes les dépenses énergétiques : chauffage, air conditionné, applications électriques spécifiques, transport. Les moteurs à combustion interne sont interdits dans les villes de plus de 100 000 habitants, pour des raisons de pollution atmosphérique. On utilise des voitures électriques et des voitures à piles à combustible. Les populations urbaines ne possèdent souvent pas de voiture. Ils disposent d’abonnements « voiture », « deux-roues » ou « trois-roues » électriques. Tous les véhicules urbains et tous les véhicules sur autoroute et routes inter-régions fonctionnent sans chauffeur, mais avec une personne majeure avec permis de conduire.
Les populations des zones urbaines extérieures ont augmenté, car on ne parvient nulle part à gérer l’augmentation du prix du foncier. Les gouvernements les plus courageux parviennent seulement à le modérer. Les transports périurbains se font en train dont la vitesse a peu varié mais dont la fréquence et le confort permettent de travailler ou de se distraire. Les habitants périurbains utilisent des véhicules hybrides rechargeables dont seule la partie électrique autonome est utilisée en ville. Ces véhicules n’ont pas besoin de chauffeur et sont gérés collectivement de manière à fluidifier le trafic. Il n’y a plus de feux tricolores, ni limites de vitesse. On indique l’adresse de destination et la solution de parking est décidée par un système central. Cette solution efficace s’est développée dans toutes les grandes villes du monde car le coût est relativement faible par rapport aux systèmes traditionnels.
La production électrique intermittente a plafonné il y a deux décennies sous l’effet de la fin des subventions et des pénalités en fonction des prévisions de production non tenues et des perturbations sur le réseau électrique. Le plafond en puissance correspond à peu près à la demande d’été dans les pays tempérés (soit 50 GW en France où l’air conditionné s’est développé). Les matériels du début du siècle sont obsolètes. La production solaire à concentration (dite thermodynamique) continue de se développer dans les pays à fort rayonnement solaire, avec des génératrices tournantes nécessaires à la stabilité des réseaux électriques. Les très grandes éoliennes flottantes commencent à trouver un modèle technologique et économique solide. Elles ne provoquent pas d’opposition. Elles ont joué un rôle majeur dans la mise au point des solutions en courant continu compatibles avec les réseaux sous-marins.
La production nucléaire se développe sur la base de réacteurs à eau pressurisée de 3e génération. Les Chinois ont assimilé les technologies de diverses origines et dominent le marché mondial du génie civil. Le Japon, les États-Unis et la France ont conservé un leadership en sidérurgie et dans la partie du contrôle et de la commande opérationnelle. Le développement de petits réacteurs industrialisés (« small modular reactors ») s’est développé en Europe sous l’impulsion de la France, de l’Angleterre et de la Russie.
De grands réseaux électriques se sont développés, en particulier en Afrique pour favoriser les échanges associés aux énergies renouvelables, par exemple l’hydroélectricité sur certains fleuves et l’électricité solaire dans les zones à fort ensoleillement. Quelques réseaux indépendants se maintiennent avec des prix assez bas et une qualité en fréquence et tension dont les habitants se plaignent. Ces réseaux maintiennent dans la mesure du possible une relation de type assurantielle avec le réseau électrique européen ou avec les réseaux régionaux ailleurs dans le monde pour garantir la qualité du service rendu.
L’énergie demeure un sujet majeur de la compétition internationale pour le développement et le contrôle des meilleures technologies et la garantie de l’indépendance souveraine des pays.
Sources / Notes
- C’est le cas de la Russie et du Canada et d’autres pays proches des pôles, par exemple pour les cultures ou le trafic maritime. Le changement climatique « ne va pas vers le pire ou vers le meilleur » : cela dépend du lieu, de la saison, du type de climat. Mais il rend nécessaire l’adaptation à une évolution dont il faut tâcher de contrôler la vitesse car cette adaptation est locale et prend du temps.
- A revenu égal, les populations rurales consomment moins d’eau que les populations urbaines (eau distribuée, eau chaude, hygiène, etc.).