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Les wagons-citernes chargés d'ammoniac liquide réfrigéré défilent sur les rails le long de la Seine : au Havre, l'usine du groupe d'engrais Yara vient de redémarrer. La flambée des prix du gaz après l'invasion de l'Ukraine par la Russie l'avait forcée à un arrêt de production inédit pendant trois semaines.
"On parle de trois, quatre, cinq fois le prix du gaz que l'on connaissait dans les mois précédents", explique à l'AFP Aurélien Rault, responsable d'arrêt et de maintenance du site qui appartient au groupe norvégien Yara, premier producteur d'engrais minéraux du monde.
Pour ce groupe comme pour tous les fabricants d'engrais azotés, le prix du gaz est déterminant : à lui seul, il pèse pour près de 90% de leurs coûts de production. À un certain niveau de prix, il ne devient tout simplement plus rentable de produire.
Fin 2021, avec la première flambée du prix du gaz naturel en Europe, "40% des capacités européennes d'engrais étaient à l'arrêt en décembre", selon Luc Benoit-Cattin, président de l'association France Chimie qui regroupe les principaux industriels du secteur.
La situation en 2022 est aggravée par le conflit ukrainien, et le prix du gaz a ainsi atteint "entre 100 et 150 euros le MGW selon les jours", alors qu'il était en moyenne autour de 45 euros les années précédentes, ajoute M. Benoit-Cattin.
Pour sa part, Yara s'est décidé le 9 mars à annoncer la fermeture de deux sites en Europe, celui du Havre et son usine italienne d'ammoniac, à Ferrare. Pour la seule usine française, l'interruption va induire une baisse de 22 000 tonnes de production d'ammoniac sur l'année, un coup dur pour les agriculteurs français qui utilisent majoritairement les engrais azotés, dont l'ammoniac constitue la base.
Tout en assurant n'avoir "jamais connu" une telle situation, M. Rault se veut aujourd'hui rassurant: les prix sont redescendus "dans des proportions qui restent très élevées sur le marché, mais qui restent gérables et nous permettent de continuer à alimenter le marché", dit-il.
Dans ce site chimique classé Seveso, l'arrêt forcé des chaînes de production a permis de procéder à des opérations de maintenance ou de vérification de données sur l'état des équipements. Chacun des 147 salariés a continué de travailler.
Mais il a fallu six jours au total pour redémarrer toute l'usine et pouvoir produire la première tonne d'urée, dérivée de l'ammoniac. L'urée solide en grain, dont l'usine du Havre produit 330 000 tonnes par an, est utilisée surtout comme supplément alimentaire pour les animaux d'élevage.
Des engrais à partir de l'eau ?
Aujourd'hui, à l'entrée du site normand, la bouche du pipeline crache de nouveau du gaz naturel --du méthane dont la formule chimique est CH4 - vers les installations où les molécules de gaz sont "craquées" à l'aide de vapeur d'eau (dont le sigle chimique est H2O), avant d'être "synthétisées" (mélangées) avec l'azote (N) de l'air, pour produire l'ammoniac (NH3), que l'on liquéfie à -33 degrés pour le transporter.
Yara travaille sur des solutions pour se passer complètement de ce gaz majoritairement importé, le CH4, qui est également à l'origine d'émissions de gaz à effet de serre. Au cours du procédé de craquage pour isoler l'hydrogène issu du méthane, les molécules de carbone (C) s'associent en effet avec celles de l'oxygène de l'eau (O2) et produisent du dioxyde de carbone (CO2), dont une partie est réutilisée pour produire l'urée, l'autre relâchée dans l'atmosphère.
"Demain, nous allons pouvoir à partir de l'eau extraire l'hydrogène auquel nous allons ajouter l'azote de l'air. Ce qui va nous permettre de produire de l'ammoniac vert issu d'énergies renouvelables ne dégageant plus de gaz à effet de serre", explique Delphine Guey, directrice de l'engagement sociétal chez Yara France.
Le fabricant d'engrais mise beaucoup sur le procédé d'électrolyse de l'eau via des énergies vertes (hydroélectrique en Norvège, solaire en Australie, éolienne aux Pays-Bas) pour s'approvisionner en hydrogène. "Dans nos sites de production en France, nous allons pouvoir produire des engrais décarbonés", assure Delphine Guey. Et "nous envisageons d'en produire 30% d'ici à 2030."