Les Nigérians épuisés par les pénuries et la hausse du prix de l'essence

  • AFP
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Après une nuit entière dans sa voiture, coincée dans la file d'attente de plusieurs kilomètres jusqu'à la station-service, le chauffeur de taxi nigérian Oluwashina Ilesanmi entreprend de calculer à quel point l'augmentation soudaine du prix de l'essence va réduire ses revenus.

Une inflation supérieure à 30%

Le constat est implacable : l'augmentation d'environ 45% du prix de l'essence réduit pratiquement ses bénéfices à néant.

Déjà durement éprouvés par une inflation supérieure à 30%, une flambée des prix de l'alimentation et une dévaluation du naira, la monnaie nationale, les Nigérians sont encore sonnés par l'annonce mardi de la compagnie pétrolière nationale d'augmenter les prix à la pompe.

Dans la nuit de lundi à mardi, la Nigerian National Petroleum Company (NNPC) a fait passer le litre d'essence d'environ 610 nairas à 855 nairas et les stations privées affichent des prix qui atteignent parfois les 1.200 nairas.

Depuis son arrivée au pouvoir en mai 2023, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a mis fin à la subvention des carburants qui coûtait au gouvernement des milliards de dollars par an pour maintenir les prix de l'essence à un niveau artificiellement bas.

Il a également mis fin à un système de contrôle des devises pour libéraliser le naira.

Mais les promesses d'un "espoir renouvelé" - du nom de son programme de campagne - ne se sont pas concrétisées et le pays le plus peuplé d'Afrique est plongé dans la pire crise économique qu'il ait connue depuis des décennies.

À Lagos, dans la capitale Abuja et dans la ville septentrionale de Kano, certaines stations-service privées étaient fermées mercredi, tandis que d'immenses files de voitures se sont formées toute la nuit devant les stations-service de la NNPC.

Ibrahim Musa, commerçant à Kano, a rejoint une file d'attente mardi à 5 heures du matin. Quelques heures plus tard, la hausse du prix du carburant a été annoncée: il devra payer 75.000 nairas (46 dollars) son plein au lieu des 47.000 précédemment.

"Cette différence de 28.000 nairas est énorme, cette somme peut couvrir une partie des dépenses scolaires", déplore-t-il.

"Pas de choix facile"

Le Nigeria est un important producteur de pétrole, mais le pays dépend des importations d'essence car il dispose de peu de capacités de raffinage et connaît souvent des pénuries sporadiques de carburant.

M. Tinubu est en Chine cette semaine, dans le cadre de ses efforts visant à attirer les investissements étrangers dans le pays.

Un conseiller du président Tinubu, Bayo Onanuga, a défendu sur le réseau social X la décision d'augmenter les prix du carburant pour aider la NNPC, dont la dette atteindrait six milliards de dollars selon les médias locaux.

Il a ajouté que la raffinerie géante du magnat nigérian Aliko Dangote avait commencé à produire de l'essence pour le marché local, ce qui permettrait de soulager l'économie du pays.

"Il n'y a pas de choix facile", a-t-il déclaré.

"Si fatigué"

Les autorités ont à plusieurs reprises exhorté les Nigérians à faire preuve de patience pour que les réformes aient un effet sur l'économie, mais l'inflation a atteint 34% en juin.

En juillet, le gouvernement a plus que doublé le salaire minimum des travailleurs du secteur public, le portant à 70.000 nairas par mois, dans le cadre d'une des mesures introduites pour aider à compenser le coût de la vie.

Mais l'augmentation brutale du prix de l'essence a déjà des effets sur le coût de la vie.

Une commerçante de Lagos a indiqué que les prix des pâtes et du riz avaient déjà augmenté en prévision de la hausse des coûts due à l'augmentation du carburant.

Des passagers de "Danfo", les célèbres minibus jaunes de Lagos, ont confié à l'AFP que le prix de leur trajet avait doublé entre lundi et mardi.

Joe Ajaero, dirigeant du principal syndicat, le National Labour Congress, a qualifié dans un communiqué la hausse du prix du carburant de "trahison" et a demandé son annulation.

Le mois dernier, des manifestations à l'échelle nationale pour mettre fin à la mauvaise gouvernance ont eu lieu, mais elles n'ont pas attiré une participation massive.

Pour Kingsley, employé de banque à Lagos, il n'y a pas d'autre choix que de continuer à attendre. Il a passé 20 heures dans une file d'attente pour le carburant, achetant même une brosse à dents et du dentifrice à un vendeur au bord de la route pendant qu'il attendait...

"Je suis si affaibli, si fatigué... Je suis tellement inquiet, c'est vraiment très dur", se désole-t-il mercredi matin.

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