- AFP
- parue le
Les Vingt-Sept, qui avaient jusqu'à vendredi pour réagir au projet de labellisation d'énergies "vertes" dans l'UE, campent sur leurs divergences : Autriche et Luxembourg prévoient une action en justice contre l'inclusion du nucléaire, décriée aussi par Berlin mais défendue par Paris, quand d'autres dénoncent l'inclusion du gaz.
Le sujet, non prévu au programme officiel, a fait l'objet de passes d'armes lors d'une rencontre des ministres européens de l'Environnement et de l'Énergie à Amiens (nord de la France) entre jeudi et samedi.
Dévoilé fin décembre, le projet de "taxonomie" de la Commission européenne classe comme "durables" les investissements dans les centrales nucléaires et à gaz, afin de faciliter le financement d'activités contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les États membres avaient jusqu'à vendredi minuit pour réclamer des modifications à la Commission, avant qu'elle ne publie le texte définitif. Celui-ci sera considéré adopté après quatre mois, sauf rejet par une majorité simple au Parlement européen ou par une majorité qualifiée de 20 États.
La France a confirmé samedi avoir transmis sa contribution, réaffirmant sa volonté que le "nucléaire soit considéré énergie bas carbone" tout en demandant des aménagements sur des contraintes "techniques" ou de calendrier qui pourraient compliquer le recours à l'atome. "Il y a eu des propositions d'évolution pour que ce soit une réglementation exigeante mais efficace", indique une source gouvernementale.
Autre défenseur de l'inclusion du nucléaire, Varsovie réclame également des "clarifications", regrettant que la proposition n'inclue pas la gestion du cycle du combustible (enrichissement de l'uranium, traitement du combustible usé...), au risque de rendre les contraintes de la taxonomie "inatteignables" en Pologne, qui ne dispose encore d'aucune centrale, et donc d'aucune infrastructure.
« Abus de pouvoir »
Du côté des États, un rejet semble hors de portée : une douzaine de pays soutiennent l'atome, autour de la France, confrontée à un mur d'investissements pour relancer sa filière nucléaire. "Le nucléaire est décarboné. On ne peut pas s'en priver au moment où nous devons baisser très rapidement nos émissions", avait justifié jeudi la ministre française de la Transition écologique Barbara Pompili.
À l'inverse, les opposants à l'atome persistent : "Ce n'est pas une énergie verte ni durable", en raison du coût et des risques d'accidents, tandis que "la question de la gestion des déchets n'est pas résolue", avait tranché jeudi le secrétaire d'État allemand à l'Environnement Stefan Tidow. "Ça serait du greenwashing. Cela enverrait le mauvais signal: ce n'est même pas une énergie de transition" car elle s'inscrit sur le long terme, a déclaré à l'AFP la ministre luxembourgeoise de l'Environnement Carole Dieschbourg.
Le Luxembourg et l'Autriche se disent prêts à engager une action devant la justice européenne en cas de labellisation verte du nucléaire. Outre les risques sécuritaires et l'incertain destin des déchets, le Luxembourg avance un argument juridique : la Commission outrepasserait ses droits en traitant une question aussi cruciale dans un simple texte technique, un "acte délégué" supposé porter sur des points "non essentiels". "C'est un abus de pouvoir", dénonce le ministre luxembourgeois de l'Énergie, Claude Turmes.
« Trompeur »
"Cela minerait la crédibilité de la taxonomie : il serait trompeur d'appeler durables des énergies qui ne le sont pas, pas sûres, trop chères et trop lentes contre le changement climatique", renchérit son homologue autrichienne Leonore Gewessler, pour qui l'atome ne répond pas au critère légal de "ne pas causer de dommages importants à l'environnement".
La Commission a néanmoins proposé un critère de transparence: les projets et produits financiers devront préciser la part des activités financées dans l'atome, permettant de choisir des investissements "verts" garantis sans nucléaire. Si Vienne et Luxembourg appellent Berlin à rejoindre l'éventuelle procédure judiciaire, l'Allemagne réserve sa réponse, promettant d'"analyser juridiquement" le texte final. Le gaz, énergie fossile, suscite également les réticences : les Pays-Bas, favorables à l'inclusion du nucléaire, ne voient "aucune raison scientifique d'intégrer le gaz".
A contrario, dans une communication samedi, l'Allemagne a jugé que le gaz, certes, "non durable à long terme", peut s'avérer nécessaire pour assurer la transition, en permettant "une sortie rapide du charbon", notamment en Europe centrale, et en accompagnant "la montée en puissance des renouvelables". Ce que confirme Varsovie, contraint de remplacer rapidement ses polluantes centrales au charbon: "Les remplacer par du gaz, cela a du sens climatiquement", estime auprès de l'AFP le secrétaire d'État polonais Adam Guibourgé-Czetwertynski.