- AFP
- parue le
Face au freinage des ambitions environnementales en France comme ailleurs en Europe, les scientifiques du climat s'interrogent sur la meilleure tactique pour rétablir leur place dans le débat public, quelques années après le pic de l'intérêt politique.
Des mesures qui « privilégient le court terme au long terme »
"On a l'impression de vivre un délitement de tout ce qui était discuté pour arriver à des consensus. On le voit sur l'eau, la protection des sols, la biodiversité, le climat", énumère Christophe Cassou, physicien climatologue et directeur de recherche au CNRS qui se dit "désarçonné, en colère, décontenancé".
"Il manque un sursaut collectif" des scientifiques, affirme Valérie Masson-Delmotte, ancienne coprésidente du groupe de travail du GIEC sur la climatologie, qui dit être "interpellée" par des personnes "d'horizons très différents, de bonne volonté, inquiètes, qui se demandent pourquoi la communauté scientifique ne réagit pas". Et la paléoclimatologue de regretter la "très grande prudence" des institutions scientifiques.
"Toutes les discussions (entre scientifiques, NDLR) se focalisent sur Quelle place ? Quelle action ? Est-ce qu'il faut davantage de désobéissance civile ? Est-ce qu'il faut s'engager frontalement ? On est dans le flou, ce qui révèle une certaine impuissance", explique Christophe Cassou.
En France, l'écologie a été reléguée au second plan dans le gouvernement alors qu'elle figurait parmi les priorités affichées après la réélection d'Emmanuel Macron en 2022, y compris budgétairement. Marqués par la crise agricole de début 2024, les élus cherchent d'abord à apaiser les agriculteurs. Le Sénat a élargi un dispositif visant à dépénaliser certaines atteintes à l'environnement et ouvert la voie à la réintroduction d'un insecticide dangereux pour les abeilles.
Des mesures qui "privilégient le court terme au long terme", déplore Philippe Grandcolas, de l'Institut Écologie et Environnement du CNRS, qui constate "des reculs tant sur la biodiversité que sur le climat".
Effet Trump et attaques contre des agences
Pourtant, ces dernières années, le climat s'était hissé parmi les premières préoccupations des Français. "On avait l'impression, non pas que tout allait être réglé, mais qu'il y avait un dialogue entre les scientifiques et les décideurs, et que les discours scientifiques étaient pris pour ce qu'ils étaient : des faits scientifiques, pas des opinions", regrette Wolfgang Cramer, écologue du CNRS à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie.
Au niveau européen aussi : après l'adoption à marche forcée des mesures du Pacte vert de la Commission européenne, ce dernier subit des attaques frontales des milieux économiques soutenus par plusieurs partis, au nom de la compétitivité face à la Chine et aux États-Unis.
Le retour de Donald Trump s'accompagne d'un retour en arrière "brutal, inédit dans une démocratie" sur le climat, "perçu comme une opportunité de déréglementation dans certains secteurs d'activités", constate Valérie Masson-Delmotte.
À cela s'ajoutent les attaques contre des agences indépendantes de l'État, telles que l'Ademe (environnement), l'Anses (santé) ou l'Office français de la biodiversité, pointées du doigt par le gouvernement, dénoncées par des élus de droite et d'extrême droite, voire directement menacées par certains membres de syndicats agricoles.
"Le narratif qui se met en place, c'est de faire de la protection et du droit de l'environnement, des agences chargées de la protection de l'environnement, voire des institutions scientifiques ou des chercheurs, des boucs émissaires", dénonce Valérie Masson-Delmotte.
Face au « mépris du fait scientifique », des scientifiques en rébellion
L'impuissance des scientifiques réside dans leur incapacité à se faire entendre médiatiquement, selon Valérie Masson-Delmotte : "On a peu de moyens. On n'a pas toutes ces techniques de marketing, de relations publiques pour construire et propager des informations sur les réseaux sociaux".
Car il y a, dans la période actuelle, "un mépris du fait scientifique, de la réalité, qui fait que notre manière de communiquer, basée sur les faits, est désarçonnée", ajoute Christophe Cassou.
Face à cette impuissance, certains, comme les "scientifiques en rébellion", un collectif dont fait partie Wolfgang Cramer, veulent imposer "d'autres formes de communications, sous forme de désobéissance civile non violente, pour alerter le public".
Comme le blocage d'une écluse du port du Havre pour protester contre l'installation d'un terminal méthanier de TotalEnergies; poursuivis en justice, les scientifiques ont été relaxés. "Tant qu'on n'a pas tout essayé, il faut continuer", martèle Wolfgang Cramer.