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La Corée du Sud projette des investissements massifs dans l'éolien pour sortir de sa dépendance envers le charbon. Mais son virage vers les renouvelables se heurte à l'opposition farouche des pêcheurs, convaincus que les parcs offshore plomberont leur activité.
Le président sud-coréen Moon Jae-in a supervisé lui-même en février la signature d'un énorme contrat de 48 000 milliards de won (36 milliards d'euros) pour la construction au large de Sinan (sud-ouest) de ce qui a été présenté comme le plus grand parc éolien offshore au monde, avec une capacité maximale de 8,2 gigawatts.
En plus de l'objectif de neutralité carbone, le président de centre-gauche compte sortir progressivement du nucléaire et ce projet doit aider à propulser son pays dans le Top 5 mondial des producteurs d'énergie éolienne. Problème : cette ambition s'est heurtée dès 2017 à l'hostilité des pêcheurs locaux.
"Tous ceux qui vivent de la mer s'y opposent", explique Jang Geun-bae, un des chefs de file de la contestation contre les éoliennes. "Elles auront pour conséquence de réduire considérablement la zone où on peut pêcher". Au terme de trois années de négociations, les deux parties ne se sont toujours pas mises d'accord sur le montant des compensations. "Mais c'est un projet du gouvernement, donc nous avons dû accepter contre notre volonté", dit M. Jang.
Au total, la Corée du Sud espère atteindre d'ici la fin de la décennie un parc éolien offshore de 12 gigawatts.
Géographie avantageuse
Mais presque partout, cet effort se heurte à une opposition locale. Les chantiers de plus d'une trentaine de projets pourtant validés par le gouvernement n'ont toujours pas débuté à cause de ces résistances, selon le ministère de l'Énergie.
En 2019, un rapport d'experts et responsables britanniques avait cité la question de "l'acceptation locale" comme une "barrière clé" susceptible d'empêcher le Sud d'atteindre ses objectifs. Cette étude consultée par l'AFP citait "les objections des habitants et, peut-être davantage encore, celles des pêcheurs qui constituent un puissant lobby en Corée du Sud".
Douzième économie du globe, la Corée du Sud est très pauvre en ressources énergétiques et son électricité dépend à 40% du charbon importé. En 2020, seul 6% provenait des renouvelables, selon l'Agence internationale de l'énergie. Ce qui rend l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 du président Moon particulièrement ambitieux. Il l'est d'autant plus que le dirigeant de centre-gauche veut en même temps sortir du nucléaire.
La Corée du Sud est arrivée très tard sur le terrain des énergies renouvelables et accuse un grand retard vis-à-vis des leaders que sont la Grande-Bretagne, la Chine ou l'Allemagne. Sa géographie péninsulaire et la longueur de son littoral sont pourtant des avantages, et de nombreuses entreprises sud-coréennes ont une expertise certaine dans les domaines de la construction offshore et de l'éolien.
Viser le Top 5 mondial est certes "ambitieux, mais pas irréaliste", selon Norm Waite, de l'Institut pour l'Economie de l'énergie et l'analyse financière. Sa capacité éolienne actuelle n'est que de 100 mégawatts, observe-t-il, mais le pays a "les fondamentaux pour devenir un acteur majeur de l'éolien offshore".
« Nouveau récif »
À l'heure actuelle, son plus grand parc éolien offshore est un champ de 60 mégawatts à Gochang, au nord de Sinan (sud-ouest). Érigées à 10 km de la côte, les 20 turbines culminent à 200 mètres au-dessus de l'eau, leurs pales tournant silencieusement dans la brise. L'ensemble produit suffisamment d'électricité pour 50 000 foyers, selon leur opérateur Korea Offshore Wind Power.
"Le vent peut générer énormément d'énergie dans un espace limité, ce qui est un avantage sur le solaire et d'autres sources d'énergies renouvelables", observe Yang In-sun, un responsable du groupe.
Le complexe de Gochang était une priorité du gouvernement, mais il aura fallu attendre près d'une décennie pour qu'il commence à produire de l'énergie en 2020, le chantier ayant été retardé de quatre ans du fait de l'opposition locale.
"Qui peut accepter que l'on installe des turbines dans une mer où on pêche des centaines de poissons chaque jour ?", demande Lee Sung-tae, un des leaders de la contestation. Le complexe n'occupe que huit kilomètres carrés mais M. Lee affirme qu'il diminue les stocks de poissons et contraint les pêcheurs à des détours compliqués.
Les chercheurs soutiennent cependant que les bruits et les boues charriées lors des chantiers sont temporaires et qu'une fois en activité, les éoliennes n'ont aucun impact sur les populations de poissons. "Aucune preuve scientifique" n'appuie l'idée que le bruit des turbines aurait un impact sur la vie marine, affirme Kim Bum-suk, professeur à l'Université nationale de Jeju. "A moyen et long termes, les éoliennes constituent au contraire un nouveau récif artificiel qui peut attirer nombre de créatures".