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Sania est assise devant sa maison de Suralaya, en Indonésie, à moins d'un kilomètre de la plus grande centrale à charbon d'Asie du Sud-Est dont les cheminées rejettent une fumée gris foncé et suffocante.
Alors que deux nouvelles unités doivent entrer en service, l'Indonésienne de 37 ans se dit "très inquiète". "Je nettoie déjà le sol deux à trois fois par jour. Le bruit me fait mal à la tête et l'odeur est horrible. Si les nouvelles unités commencent à fonctionner, la poussière ici sera bien pire".
A la COP28 qui se tient à Dubaï, l'avenir du charbon et son fort impact sur le réchauffement climatique figurent en bonne place.
Pour certains, l'ère de ce combustible fossile est clairement révolue et l'Indonésie s'est engagée à l'abandonner à terme bien qu'elle en soit le premier exportateur mondial et un des principaux producteurs sur le globe.
Mais malgré les promesses, l'archipel a porté de 8 à 10 le nombre d'unités de sa centrale de Suralaya, à une centaine de km de Jakarta. Et prévoit même de construire de nouvelles centrales au charbon pour alimenter son industrie du nickel, matériau clé pour les véhicules électriques en plein essor.
"Cela fait très peur. Je veux déménager si je peux, parce que notre maison est trop proche de la centrale", ajoute Sania.
Malgré les engagements, de nombreuses failles permettent à l'Indonésie de poursuivre l'expansion des centrales au charbon, dont elle dépend fortement pour sa production d'électricité.
Le pays a signé un Partenariat pour une transition énergétique juste (JETP) en novembre en échange d'un financement de 20 milliards de dollars débloqué par des pays riches et la Banque mondiale.
Ce plan doit lui permettre d'atteindre le niveau zéro émission pour son secteur énergétique d'ici 2050 et d'augmenter la part des énergies renouvelables dans sa production électrique à 44% d'ici 2030.
Or, le chemin sera long car l'énergie solaire et éolienne représentent chacune actuellement moins de 1% de son mix énergétique.
Peu onéreux et fiable
En outre, la promesse de fermer progressivement les centrales à charbon exclut celles dites "captives", qui alimentent directement l'industrie et ne sont pas connectées au réseau public.
Ces centrales produisent plus de 13 gigawatts (GW) et 18 GW supplémentaires sont prévus, selon l'Institut pour la réforme des services essentiels (IESR), basé à Jakarta.
L'Indonésie considère ces centrales comme essentielles pour l'aider à jouer un rôle clé dans le développement des véhicules électriques car elles alimentent les fonderies qui traitent le nickel.
"Il existe un problème majeur autour des centrales électriques captives au charbon en Indonésie, qui risque de faire dérailler ou ralentir le processus du JETP", estime Leo Roberts, du groupe de réflexion sur le climat E3G.
Sollicités par l'AFP, le gouvernement indonésien, le secrétariat du JETP et la compagnie d'électricité publique PLN n'ont souhaité apporter de commentaires.
Pour Hendra Sinadia, directeur de l'association des groupes charbonniers indonésiens, tenter de faire renoncer l'Indonésie aux énergies fossiles serait une erreur.
"Le charbon est la richesse naturelle de l'Indonésie (...) et reste la source d'énergie la plus utilisée pour stimuler le développement des fonderies, ce qui nous permet de devenir l'un des principaux acteurs de l'écosystème des véhicules électriques", estime-t-il.
De plus, choisir de les fermer, outre un manque à gagner important pour des infrastructures encore récentes, "ne serait pas une décision sage car le charbon demeure la source d'énergie la moins onéreuse, la plus fiable et la plus accessible", ajoute Hendra Sinadia.
10 500 décès par an
Pour les défenseurs de l'environnement, cette vision oublie le fort impact du charbon sur le réchauffement planétaire et ses graves conséquences sanitaires.
Selon le Centre de recherche sur l'énergie et la pureté de l'air, les émissions des centrales au charbon ont causé 10.500 décès en Indonésie en 2022.
Les pêcheurs travaillant près de la centrale de Suralaya se lamentent: "Il n'y a plus de prises dans les eaux proches du rivage. Il faut naviguer loin", indique à l'AFP Hawasi, 55 ans.
Selon l'IESR, l'Indonésie devrait réduire de 9 GW d'ici 2030 sa production d'électricité issue de centrales au charbon pour respecter ses engagements du JETP. Mais une étude du ministère de l'Energie suggère de ne la réduire que de 4,5 GW d'ici 2030.
Le directeur général de l'électricien PLN, Darmawan Prasodjo, a récemment annoncé 31,6 GW de capacités supplémentaires d'énergie renouvelable d'ici 2033. Mais elles ne devraient répondre qu'à la hausse de la demande, tandis que les centrales au charbon assureront l'essentiel des besoins, jusqu'à la date de leur fin de vie programmée.