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Dans la petite ville de Breza, en Bosnie, la vie tourne depuis plus d'un siècle autour de la mine de charbon. Mais aujourd'hui, l'ingénieur Armel Jekalovic craint d'être le dernier d'une longue lignée familiale à gagner son pain dans les galeries.
Aucune des onze mines de charbon bosniennes ne devrait résister encore longtemps alors qu'y travaillaient jadis des dizaines de milliers de gueules noires, considérées dans la Yougoslavie titiste comme les héros de la classe ouvrière.
L'industrie est soumise aux pressions écologistes en faveur de l'énergie propre dans un pays où des grandes villes comme Sarajevo suffoquent tout l'hiver sous une chape de pollution. "Cette situation autour de la transition énergétique nous préoccupe", dit à l'AFP Armel Jekalovic, 36 ans, qui supervise les plans d'exploitation de la mine. "La production baisse constamment, tout comme le nombre d'employés. Les gens ne se sentent pas en sécurité et cherchent une alternative".
La mine de Breza emploie 1 100 personnes, mais elle fait vivre, selon lui plus de 70% des 14 000 habitants de cette localité de Bosnie centrale. Les mineurs sont déjà dans la précarité. S'ils gagnent entre 400 à 800 euros mensuels - contre un salaire moyen de 500 euros en Bosnie - les choses se gâtent à la retraite.
Battre les Soviétiques
La plupart des mines n'ont pas versé de cotisations retraite pendant des années, des impayés qui représentent la moitié des 500 millions d'euros de dettes de l'industrie. Les mineurs observent souvent des grèves de la faim pour exiger du gouvernement, gestionnaire de la plupart des mines, qu'il paye les arriérés afin qu'ils puissent cesser de travailler.
L'ambiance est "pesante", regrette Armel Jekalovic, dont le grand-père et le père étaient mineurs. "Le mineur était jadis respecté, c'était une icône. Il pouvait nourrir normalement sa famille, se construire une maison, aller en vacances". Devant la mine de Breza, une statue d'Alija Sirotanovic, légende du "peuple travailleur", dont le portrait avait été imprimé en 1987 sur les billets de 20 000 dinars yougoslaves, témoigne de ce passé glorieux.
Maintes fois décoré de la médaille de "héros du travail socialiste", il avait battu à la fin des années 1940 des mineurs soviétiques lors d'une compétition pour remonter le plus de charbon à la surface. Selon la légende, le président Tito lui aurait demandé un jour de quoi lui et ses camarades avaient besoin. "De pelles encore plus grandes", aurait-il répondu.
Théoriquement, des réserves exploitables de charbon estimées à 2,6 milliards de tonnes pourraient assurer au pays pauvre des Balkans son indépendance énergétique pendant plus d'un siècle, selon les experts.
Voie européenne
Mais la Bosnie, qui souhaite adhérer à l'Union européenne, s'est engagée à transitionner vers le renouvelable, ce qui signifie fermer ses mines et centrales à charbon d'ici 2050. "Le secteur du charbon sera probablement éteint dans les prochaines dix à vingt années. C'est la réalité. Ca ne dépend pas de la politique, c'est purement économique", dit à l'AFP Denis Zisko, de l'ONG locale Centre pour l'écologie et l'énergie.
Comme d'autres avocats de la transition, il affirme que le système va s'écrouler, que le prix de l'électricité en Bosnie, un des plus bas d'Europe, est "irréel", que les mines sont lourdement subventionnées. Edin Delic, professeur à la faculté des mines et de géologie de Tuzla (nord-est), pense que le pays s'engage de manière "irréfléchie" dans la transition.
La Bosnie ne produit que 13 millions de tonnes de charbon par an, contre 11 millions de tonnes par jour en Chine, mais le secteur est crucial pour l'économie. Plus de 17 000 personnes travaillent dans les mines et les centrales, sans compter les milliers d'emplois induits. "La Bosnie est un petit joueur sur cette scène et peut souffrir de très lourdes conséquences économiques" en abandonnant le charbon, avertit le professeur Delic.
Fin de l'investissement étranger
Pour lui, les émissions polluantes doivent dans un premier temps être réduites par "l'amélioration de l'efficacité énergétique". Les deux tiers de l'électricité produite en Bosnie (au total entre 15 000 et 17 000 GWh par an) le sont dans cinq centrales à charbon en majorité vétustes.
Le pays ambitionnait de doubler ses capacités, en comptant sur des investissements internationaux, mais il doit revoir sa copie alors que des grandes puissances s'engagent à ne plus investir dans les centrales à charbon à l'étranger. Le projet très avancé de nouvelle unité de production dans la centrale de Tuzla est remis en question après le retrait de l'Américain General Electric d'un projet censé être financé par la Chine.
Les mineurs savent que l'avenir n'est pas de leur côté mais veulent une solution. Ils sont "bien conscients" que "la décarbonisation est le choix mondial", souligne Sinan Huskic, président d'un grand syndicat du secteur. "Mais ça ne passera pas sans réaction. Nous sommes prêts à une réponse sérieuse et organisée. On ne permettra pas qu'on nous laisse à la rue", prévient-il.