En Bosnie, des villageois prêts à verser leur « sang » face à des projets de petites centrales hydroélectriques

  • AFP
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En Bosnie, Safet Sarajlic est prêt à verser son "sang" afin de défendre la rivière Neretvica et son écosystème, vital pour les populations comme les espèces endémiques : avec d'autres, il a déclaré la guerre à un projet de petites centrales hydroélectriques.

Dans un pays qui compte 260 cours d'eau, le secteur est en plein essor mais la résistance des habitants aussi. Avec sa source à près de 1 800 mètres d'altitude en Bosnie centrale, la Neretvica traverse sur 27 kilomètres une végétation abondante et une quarantaine de hameaux.

"Pour nous, cette rivière c'est la vie. C'est l'artère de la vallée", dit Safet Sarajlic, 50 ans, l'un des leaders du mouvement "Pusti me da tecem" ("Laisse-moi couler"). Ses eaux limpides sont potables, soulignent fièrement les habitants. On y trouve des écrevisses à pattes blanches, espèce protégée indicatrice de la qualité environnementale de l'eau, et huit types de poissons, dont deux espèces endémiques en danger, selon une étude de 2017 de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd).

Le projet porté par l'entreprise publique de production d'électricité de l'entité croato-bosniaque, l'une des deux composantes du pays, prévoit d'installer 15 petites centrales hydroélectriques (PCH) sur la Naretvica et ses affluents. En juin, les habitants ont réussi en manifestant à empêcher le lancement des travaux des deux premières d'entre elles. "Il y a ici vingt jeunes hommes prêts à donner leur vie pour la Neretvica !", a averti Sead Hakalovic, une figure de proue du mouvement.

Tomates et framboises

La vallée, où vivent environ 2 000 personnes, est connue par la qualité de sa tomate. La rivière est bordée de plantations de framboisiers. "L'agriculture fait vivre la plus grande partie des habitants ici. Si on construit les centrales, ce sera l'exode", avertit Sead Hakalovic.

Depuis une quinzaine d'année, 106 PCH (moins de 10 MW) ont été construites en Bosnie et "au moins 340 autres sont planifiées, en préparation ou en construction", explique à l'AFP Anes Podic, dirigeant de l'ONG "Eko akcija".

Face à la fronde, les autorités régionales ont annoncé un moratoire de trois mois dans la construction de nouvelles centrales et une nouvelle législation pour "protéger les rivières". Mais les militants réclament leur abandon définitif, expliquant que les dégâts sont "énormes" au regard des quantités "infimes" d'électricité produite.

D'après Anes Podic, en 2019, les PCH ont représenté 3% seulement de la production totale d'électricité de la Bosnie, où 60% proviennent du charbon.

En détournant via un tuyau une partie du débit vers une turbine à deux ou trois kilomètres en aval, les PCH contribuent à l'assèchement des rivières, dénoncent les écologistes. Anes Podic affirme que les "minimums biologiques" devant être laissés à la rivière ne sont souvent pas respectés : "Ils redirigent la dernière goutte d'eau pour produire l'électricité".

« Exagérations »

"Ces accusations sont largement exagérées", rétorque Senad Husnic, un participant au projet Neretvica, dont la société Amitea exploite depuis 2016 deux autres centrales dans la même région. Celles-ci sont dans le viseur des ONG qui ont diffusé des photos du lit asséché de la rivière concernée.

"C'est vrai que le lit était à sec quand ils l'ont photographié mais la centrale était alors à l'arrêt car il n'y avait pas d'eau. Ça, ça ne les intéresse pas", peste-t-il, assurant respecter les règles environnementales.

Mais les permis de construire sont souvent délivrés sur la base d'études hydrologiques datant des années 1960 ou 70, souligne Amir Variscic, de l'ONG Zeleni-Neretva. "Le climat a changé. La sécheresse dure désormais plus de la moitié de l'année, les pluies sont rares et diluviennes".

Des ONG dénoncent également une législation "favorable" aux investisseurs. Les conditions en vigueur sont "attrayantes", reconnaît Edhem Bicakcic, patron d'une société leader du secteur. Depuis 2005, il a construit pour divers investisseurs 45 mini-centrales en Bosnie et en Albanie, "sans contestation populaire, conformément aux normes écologiques les plus élevées", assure-t-il.

Mais sur la rive gauche de la Neretvica, Hatidza Salcinovic, 70 ans, ne veut rien savoir. Elle explique à l'AFP avoir refusé de vendre aux constructeurs une bande de terrain, ce qui les obligera à faire passer leur tuyau par l'autre rive. "Je suis prête à me battre pour ce lopin de terre. Si tout le monde fait comme moi, ils ne construiront jamais".

Commentaires

Dominique Guérin
Il y a donc des écologistes qui préfèrent donc le CO2 du charbon à des barrages électro-hydrauliques. Et s'ils avaient raison?
BLAIZOT
Cela dépend un peu de ce qu'on fait du CO2 (capture ?) et des poussières (réutilisation). Le charbon (ou le gaz en attendant l'hydrogène) est le complément indispensable de l'intermittence des EnR . C'est une des raisons avec sa distribution géographique et son association à l'industrie (tous les pays charbonniers sont des grands pays industriels) dont celle de la fabrication des panneaux solaires, pour laquelle l'énergie électrique venue de la production de charbon est celle qui a le plus crû au XXI eme siècle (passée de 95 à 168 Exajoules en 20 ans ! OUAH ! quand les EnR-sauf hydro- sont passées de 3 à 30 Exajoules dans le même temps). Par ailleurs il est impossible de refuser aux bosniaques ce qu'on accepte des allemands avec les ouvertures de méga-centrale de plus de 1 GW (comme la récente Datteln 4) .

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