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Depuis son entrée à Matignon, Michel Barnier a évoqué à plusieurs reprises "dette publique" et "dette écologique". La notion de dette publique d'un Etat répond à une définition et est quantifiable (3 230 milliards d'euros fin juin pour la France), mais qu'en est-il de la dette écologique?
Depuis quand parle-t-on de « dette écologique » ?
Cette expression apparait dans les années 1980. Elle nait de l'idée que les pays du Nord ont une dette envers les pays du Sud en raison de l'exploitation de leurs ressources naturelles, par exemple pendant la colonisation, explique Alexandre Rambaud, enseignant-chercheur et codirecteur de la chaire Comptabilité écologique (Fondation AgroParisTech). Un argument mis en avant pour demander l'effacement d'une partie des dettes financières des pays du Sud - sans grand effet au final.
Dans les années 1990, l'expression prend un autre sens : la dette écologique désigne "un legs négatif laissé aux générations futures, en termes de destruction de la planète, des écosystèmes", poursuit le chercheur. Autrement dit, le contraire du "développement durable", popularisé par l'ONU à partir de la même époque.
Aujourd'hui, la formule recouvre "une dette vis-à-vis de la nature elle-même, et c'est ce sens que l'on retrouve dans les accords internationaux, tels que l'accord de Paris de 2015" sur le climat.
Ces deux derniers sens sont intimement liés. "Si l'on altère la santé de la planète, on altère les conditions de vie des générations futures. Notre inaction environnementale est une forme de dette envers la planète et par conséquent envers" nos descendants, relève Damien Demailly, directeur adjoint de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE).
Peut-on quantifier la dette écologique ?
Il faut en tout cas s'y efforcer, selon Clément Morlat, coordinateur scientifique de la chaire Comptabilité écologique. "On peut mesurer et comptabiliser l'état de santé des écosystèmes. Est-on à l'équilibre ? Si cet équilibre a été dépassé, peut-on retrouver une forme de stabilité pour cet écosystème ?"
Ces mesures permettent d'évaluer "une dette biophysique", ajoute-t-il. Ainsi la directive-cadre européenne sur l'eau définit le bon état écologique des masses d'eau en Europe (lacs, rivières, eaux souterraines) en s'appuyant sur une batterie d'indicateurs, jusqu'à par exemple le nombre de certains poissons.
Pour le sol, on mesure les substances contenues dans la terre ou le tassement par exemple. On voit si la dégradation est telle "qu'on ne peut plus rien faire - on est alors en insolvabilité écologique -, ou si le niveau de dette est gérable", explique Clément Morlat. Dans ce cas, sont mises en place des mesures pour revenir vers l'équilibre (laisser reposer le sol, créer une couverture végétale, etc), ou, en amont, prévenir les dégradations: actions qui ont un coût, traduction monétaire de cette dette biophysique.
"Ce chiffrage en euros (ou autres monnaies) est totalement différent de la volonté de mettre un prix sur la nature, à savoir sur les services ou les produits que la nature procure", précise-t-il (comme par exemple établir le coût de la main d'oeuvre qui devrait remplacer le "travail" des insectes pollinisateurs).
Le Cercle des comptables environnementaux et sociaux (CERCES) développe depuis les années 2010 un programme, appelé CARE, dont le but est la prise en compte de ces coûts dans les budgets des entreprises et des collectivités.
Réduire dette écologique ET dette publique, mission impossible ?
"S'il y a une dette écologique, il faut investir pour transformer un système. Il est donc difficile de réduire en même temps dette écologique et dette publique", relève Lucile Schmid, de La fabrique écologique, qui promeut le développement durable via des propositions concrètes.
Alourdir la dette de l'État pour cette raison est un "endettement légitime", selon M. Pisani-Ferry. "Il y a beaucoup de mauvaises raisons de s'endetter, le climat n'en fait pas partie", ajoutait-il.
Mais comme pour la réduction du déficit public, "l'enjeu de la justice sociale est primordial" dans les efforts de réduction de la dette écologique, via par exemple des mesures ciblées, souligne Lucile Schmid.