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Financer le remplacement d'un foyer de cuisson traditionnel par un système moins émetteur de fumée toxique et de CO2 dans les pays en développement peut permettre d'obtenir des crédits carbone, mais les bénéfices environnementaux revendiqués par ces projets sont largement surestimés, révèle une nouvelle étude.
Après avoir accusé l'été dernier les crédits carbone liés à des projets visant à empêcher la déforestation d'exagérer leurs réductions d'émissions de CO2, une équipe de l'Université de Berkeley en Californie publie mardi une étude redoutée par le marché volontaire du carbone, dont la crédibilité s'est effondrée ces deux dernières années.
"Environ 2,4 milliards de personnes cuisinent à l'aide de combustibles solides qui émettent de la fumée ou au fioul, ce qui conduit à la mort prématurée de 2 à 3 millions de personnes par an et à environ 2% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde", expliquent Barbara Haya, Annelise Gill-Wiehl et Daniel M. Kammen dans l'introduction de leur article publié par la revue Nature Sustainability.
Remplacer les systèmes traditionnels - souvent trois pierres autour d'un tas de charbon de bois - est bénéfique pour réduire les émissions de CO2, principal responsable du réchauffement climatique, mais aussi pour la santé en améliorant la qualité de l'air dans les intérieurs et réduire les inégalités de genre, la pauvreté et la déforestation.
Les crédits carbone "ont le potentiel pour assurer un financement considérable" à ces projets, qui représentent moins de 10% du marché du carbone volontaire, reconnaissent les chercheurs.
Un crédit carbone équivaut à une tonne de CO2 stockée ou empêchée de rentrer dans l'atmosphère grâce à un projet. Ces crédits peuvent être achetés par des entreprises, des États ou des individus pour compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre et se dire "neutres en carbone".
- Réponses biaisées -
Le problème réside, selon les conclusions de l'étude, dans les méthodologies qui permettent de déterminer le nombre de crédits émis et surestiment jusqu'à dix fois les émissions de CO2 évitées.
En cause, un "manque de rigueur" et une trop grande "flexibilité" des critères établis par les cinq méthodes les plus utilisées.
Par exemple, dans l'une d'elle, si un foyer affirme avoir utilisé au moins une fois le nouveau système de cuisson au cours de la semaine ou du mois passé, des crédits sont générés pour les deux années sur lesquelles s'étendent le projet, avec un malus seulement si le foyer indique avoir utilisé au moins une fois son ancien système sur la même période.
Il arrive aussi que des participants répondent "ce qu'ils pensent que les personnes menant le questionnaire (engagées par les développeurs du projet) attendent d'eux", en gonflant les chiffres.
Des biais interviennent également dans la mesure de la consommation de combustibles des foyers ou dans les estimations de déforestation évitée grâce à la moindre utilisation de bois pour la cuisson.
En appliquant leur propre méthodologie à 51 projets dans 25 pays (Ouganda, Soudan, Haïti, Mexique, Ghana, Bangladesh, Inde...) qui représentent 40% des crédits carbone liés aux foyers de cuisson dans le monde, la sentence est sans appel: 26,7 millions de crédits carbone ont été ainsi générés... alors que seulement 2,9 millions de tonnes de CO2 ont été évitées, soit presque dix fois moins que ce que les développeurs du projet prétendent.
Pour éviter les surestimations, les chercheurs ont décidé d'utiliser les hypothèses les plus "conservatrices". Barbara Haya élargit cette préconisation à tous les crédits carbone, accusés de largement surestimer leurs bénéfices sociaux et environnementaux après la publication de plusieurs enquêtes et études universitaires.
Alors que circulait une version de l'étude pas encore "revue par les pairs" (peer-reviewed), des acteurs du marché du carbone volontaire, réuni par S&P Global à Paris en novembre, s'inquiétaient des répercussions de cette publication, certains appelant médias et chercheurs à ne pas "exagérer les exagérations".
"Un marché des crédits carbone basé sur l'exagération est voué à l'échec", répond Barbara Haya à l'AFP, affirmant avoir limité au maximum les marges d'erreur.
Mais "si nos recommandations sont adoptées, ce type de projets pourrait être l'un des rares à être crédibles pour les acheteurs de crédits carbone."