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Juste un "premier round" : loin de marquer la fin de leur "combat", l'arrêt définitif de la centrale de Fessenheim n'est qu'une première victoire pour les antinucléaires, bien décidés à poursuivre la lutte jusqu'à ce que "la France sorte du nucléaire".
Dans la nuit de lundi à mardi, EDF va débrancher le deuxième réacteur de la centrale alsacienne, quatre mois après le premier, signant l'arrêt de mort de la doyenne du parc nucléaire français.
Une victoire pour les opposants au nucléaire qui, après avoir ferraillé contre la centrale depuis sa mise en service en 1977, préparent déjà les coups d'après. "Fessenheim a été un premier round, le combat contre le nucléaire en comporte plusieurs", prévient Daniel Reininger, le président d'Alsace Nature. "Clairement, le combat ne s'arrêtera pas là", abonde André Hatz, président de l'association Stop Fessenheim, qui a milité pendant 40 ans pour sa fermeture.
Prochaine bataille dans leur guerre contre l'atome : le démantèlement de la centrale. Un chantier inédit en France qui ne sera achevé, au mieux, qu'en 2040 et dont un point inquiète particulièrement les associations, le stockage des combustibles nucléaires. Hautement radioactifs, ils seront entreposés à Fessenheim dans des piscines de refroidissement, avant d'être évacués à l'été 2023 vers le centre de traitement du combustible nucléaire usé de La Hague (Manche), faisant alors "énormément baisser" la dangerosité du site alsacien, concède M. Reininger.
« Tchernobyl »
Mais d'ici là, ces combustibles "vont séjourner dans des piscines non sécurisées", s'alarme André Hatz, qui pointe l'absence de groupes électrogènes à moteur diesel d'ultime secours (DUS). Ceux-ci prendraient le relais en cas de panne électrique pour garantir l'alimentation des systèmes de refroidissement des piscines en électricité et en eau, puisée et ensuite rejetée dans le Grand Canal d'Alsace. Or, si cette alimentation venait à s'interrompre, par exemple "en cas d'accident ou d'acte malveillant", le combustible pourrait alors s'auto-inflammer et "là, très rapidement, c'est Tchernobyl", s'inquiète-t-il.
EDF, qui exploite la centrale, affirme disposer en dernier ressort de sa Force d'action rapide du nucléaire (FARN), une unité d'intervention d'urgence créée après Fukushima (2011), capable de prendre le contrôle de n'importe quel réacteur.
Mais l'argument peine à convaincre les antinucléaires, qui rappellent que Fessenheim a été construite en zone sismique. Dans l'hypothèse d'un tremblement de terre et d'une rupture de la digue du Grand Canal qui inonderait la centrale, comment garantir que la FARN interviendra rapidement, s'interroge M. Hartz.
Autre question, celle de l'avenir économique du site, qui peine pour l'heure à se dessiner. Parmi les hypothèses évoquées, la perspective d'un site-pilote pour le démantèlement de centrales nucléaires inquiète tout particulièrement les antinucléaires. S'appuyant sur un "technocentre" pour le recyclage des matériaux métalliques faiblement radioactifs, ce projet est soutenu par la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne.
"C'est la pire des choses ! Ce technocentre ne se fera pas", même "s'il faut lever l'Alsace entière !", s'emporte André Hatz. Selon lui, ce projet vise à faire de Fessenheim un site de décontamination des métaux issus de centrales nucléaires européennes en déconstruction, à commencer par ceux provenant du démantèlement de la centrale, et de les réinjecter ensuite dans l'industrie métallurgique classique.
« Décharge nucléaire »
L'acier décontaminé sera évidemment contrôlé mais "il est très difficile de tout vérifier à 100%", affirme M. Hatz, qui s'interroge : "vous imaginez des casseroles, des fourchettes, des voitures" fabriquées avec de l'acier dont on ignore s'il dégage encore, même très faiblement, de la radioactivité ?
"C'est stupide et aberrant", assène Jean-Marie Brom, porte-parole de Stop Transports-Halte au nucléaire. "La loi française interdit actuellement que tout élément issu d'une centrale nucléaire soit réutilisé mais EDF pourrait demander une dérogation", s'inquiète ce spécialiste de la physique des particules, directeur de recherche au CNRS.
Daniel Reininger craint également que l'installation d'un site dédié aux "déchets nucléaires" ne plombe l'attractivité du secteur, car "aucune entreprise sérieuse ne s'installera à côté d'une décharge nucléaire". "Le combat contre le nucléaire dépasse Fessenheim et va continuer", prévient-il.