Transition énergétique allemande : à quel prix ?

Cécile Maisonneuve - Conseiller auprès du centre énergie de l'IFR

Conseiller auprès du centre énergie de l'IFRI 

Membre du Comité des Experts de Connaissance des Énergies

L'Allemagne est engagée depuis 2000 dans une transformation profonde de son système énergétique, confirmée et accélérée par Angela Merkel dans la foulée de Fukushima. Fermeture progressive du parc nucléaire jusqu’en 2021, diminution des consommations d’énergie, réduction des émissions de gaz à effet de serre et développement des sources renouvelables : l’Energiewende ce tournant énergétique, est un projet national comparable, dans son ampleur, à la réunification, le grand projet politique allemand de la décennie 1990. Sans conteste succès politique, puisqu’il permet à Angela Merkel de neutraliser le SPD et les Verts sur les questions énergétiques, qu’en est-il cependant au plan économique ? Ce « gigantesque pari »1 peut-il devenir une opportunité économique ? 

C’est bien de gigantisme dont il faut parler : si nul n’est capable à ce jour de chiffrer le coût de ce projet, il oscillerait entre 250 et 440 milliards d’euros d’ici à 2030, voire 1 000 milliards d’euros selon le Ministre allemand de l’environnement en incluant les investissements dans la mobilité et les bâtiments. Outre cette incertitude majeure sur la facture totale, la dynamique des coûts inquiète. La seule taxe sur les énergies renouvelables devrait croître encore de 20% en 2014 à tel point que même les plus ardents défenseurs de cette politique reconnaissent que le niveau des subventions aux renouvelables est insoutenable. Les risques sur la compétitivité des entreprises sont également dénoncés même si la grande industrie exportatrice est proportionnellement épargnée par un régime d’exemptions, d’ailleurs soumis à l’examen de la Commission européenne. Quant aux électriciens allemands, ils sont exsangues. Après la dépréciation massive de leurs actifs du fait de la fermeture anticipée de centrales nucléaires, ils subissent aujourd’hui une chute massive des prix de gros de l’électricité, qui s’étend d’ailleurs au-delà des frontières par le jeu du marché. 

Hausse des coûts de l’énergie pour les ménages et la plupart des entreprises, appauvrissement des électriciens : s’agit-il d’un accident ou d’un résultat durable et voulu lié aux caractéristiques intrinsèques des renouvelables ? Dans le second cas, le tournant énergétique allemand pose deux questions : faut-il adapter le fonctionnement du marché et le business modèle des électriciens ? Quand les consommateurs pourront-ils enfin profiter de prix plus bas ? Pour les partisans de cette politique, la cause est entendue : ces coûts sont des « investissements » qui porteront leurs fruits plus tard — baisse du prix des installations, indépendance énergétique accrue, création de filières industrielles et, in fine, baisse des coûts de production de l’électricité. 

Entre destruction créatrice schumpétérienne et des « lendemains qui chantent » aux accents marxistes, nul ne sait où conduit le tournant énergétique allemand. Pour ses thuriféraires, cette question n’en est pas de toute façon pas une : l’Energiewende est un projet éthique qui doit être défendu en tant que tel. Ne lisait-on pas dans le très officiel rapport du ministère de l’environnement de 2011 que « le calcul économique est vain, les bénéfices des énergies renouvelables ne pouvant être quantifiés : détente internationale par une moindre compétition pour les ressources fossiles, impossibilité de détourner ces énergies à des fins militaires, mise en œuvre décentralisée propice à stimuler la démocratie locale… » ?

1 - Michel Cruciani, Le tournant énergétique allemand : année N + 2, Note de l’Ifri, juillet 2013.

Sources / Notes
1 - Michel Cruciani, Le tournant énergétique allemand : année N + 2, Note de l’Ifri, juillet 2013.

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