Une « injustice extrême », la panne accélère la dollarisation du Venezuela

  • AFP
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Dans la file du pain à Caracas, dollars et bolivars se mêlent. A Maracaïbo, dans l'ouest du pays, la glace se paye uniquement en billets verts. La panne électrique qui a paralysé le Venezuela depuis six jours précipite la dollarisation de son économie.

Les transactions électroniques se sont généralisées, même pour les achats quotidiens: avec l'inflation qui le mine, le pays manque de billets et la plus grosse coupure disponible, 500 bolivars, permet tout juste d'acheter cinq cigarettes.

La lumière revient peu à peu, mais la plupart des terminaux de paiements n'arrivent pas à se connecter aux banques. Surtout, les commerçants préfèrent souvent les espèces, de la main à la main. Y compris dans les quartiers les plus populaires de Caracas, où peu de gens en disposent, comme à Catia dans l'ouest de la capitale.

"D'abord on n'avait pas de courant, et quand il est revenu je n'arrivais pas à me connecter. J'ai vu que les gens avaient des dollars et on a négocié", raconte Martín Xabier, propriétaire d'une boulangerie. "Tout le monde fait ça ici", poursuit-il alors qu'une dizaine de personnes patientent.

Aide extérieure

A l'autre bout de Caracas, dans le quartier résidentiel d'Altamira, une épicerie a gardé son rideau tiré. Mais le commerçant passe une tête pour annoncer à la file d'attente: "Ici on ne prend que les espèces! bolivars et dollars!"

Une femme fond en larmes. "Mais je n'ai personne pour me donner des dollars... comment je fais?" demande-t-elle en expliquant qu'elle venait acheter du lait pour son neveu.

Si les autres autour d'elle en ont, c'est que 3,4 millions de Vénézuéliens ont quitté le pays ces dernières années (dont 2,7 millions depuis 2015), qui soutiennent leurs proches restés au pays en leur envoyant de l'argent.

Au marché de Chacao, toujours à Caracas, le billet vert règne en maître. "Beaucoup de gens payent en dollars ici. Même si tu avais des bolivars, il te faudrait venir avec une charrette", commente María del Carmen Pereira, qui possède une charcuterie aux étals quasiment vides.

Pour les millions de Vénézuéliens sans accès aux devises, cet état de fait constitue une "injustice extrême", observe l'économiste Asdrúbal Oliveros, directeur de l'institut Econoanalítica.

Selon l'institut, fin 2018 un tiers des Vénézuéliens vivaient grâce au soutien de leurs proches à l'étranger, qui atteignait 2,4 milliards de dollars sur l'année.

Parallèlement, au moins la moitié de la population dépend des subventions de l'État, le restant se débrouillant avec les salaires du secteur privé.

"L'inflation est la principale cause de cette dollarisation. Cet épisode traumatisant (la panne, ndlr) l'a sans doute encore accélérée. De plus en plus de gens sont disposés à recevoir des paiements en devises mais déjà, la tendance était irréversible" note Henkel García, directeur du cabinet Econométrica.

Certaines entreprises ont commencé à verser des bonus en dollars pour éviter la fuite des employés qualifiés. Caracas a retrouvé le courant ainsi que la plupart des Etats mercredi, selon le gouvernement, mais certains États de l'ouest comme Mérida, dans les Andes, Táchira, à la frontière colombienne, Trujillo, Zulia ou Apure, dans le centre, comptent toujours de larges pans de leur territoire sans courant.

« Rien pour payer »

A Maracaibo, la capitale pétrolière, théâtre de nombreux pillages mardi, de longues files se sont formées pour acheter des pains de glace de 40 cm de long, vendus exclusivement "cinq dollars" - quasiment le montant du salaire minimum: 18 000 bolivars, 6 dollars environ.

"Ici tout se paye en dollars: le fromage, le pain, les bananes, la glace et même le rechargement des téléphones portables" (sur des bornes connectées à des générateurs), raconte Roxana Peña, 26 ans. "Mais beaucoup de gens n'ont rien pour payer", remarque Márgara Bermúdez, une professeure locale.

En août, le gouvernement de Nicolas Maduro a dévalué le bolivar de 96% et un dollar vaut aujourd'hui autour de 3.000 bolivars, avec une inflation qui devrait atteindre 10 millions % sur l'année, selon le FMI.

Maduro "ne peut garantir ni l'eau, ni la lumière, ni les médicaments, ni même une monnaie respectable" a accusé le chef de l'opposition Juan Guaido, qui s'est proclamé président par intérim en janvier et dénonce la corruption et la négligence du régime comme causes de la panne.

M. Maduro parle de sabotage et accuse les États-Unis d'avoir mené des attaques "cybernétiques". Les commerçants et leurs clients, eux, se débrouillent comme ils peuvent. A condition d'avoir des dollars, et surtout des petites coupures.

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