Professeur à Paris School of Business
Auteur de « Géopolitique de l’Afrique du Sud » (PUF, 2015)
La puissance économique et industrielle de l’Afrique du Sud classe naturellement ce pays au premier rang des consommateurs d’énergie en Afrique. L’Afrique du Sud consomme 30 % de l’énergie primaire et 37 % de l’électricité produites sur le continent africain(1). Les fréquents dysfonctionnements des infrastructures d’électricité constatés ces dernières années ont placé la question de l’énergie au centre des débats publics. Depuis les premières élections démocratiques (avril 1994), la consommation d’électricité a augmenté de plus d’un tiers à cause du raccordement au réseau électrique de quatre millions de nouveaux logements, de la hausse de la production minière et de la progression de l’urbanisation.
À l’heure actuelle, le charbon fournit 72 % de l’énergie primaire consommée dans le pays et la combustion de ce minerai assure 94 % de la production d’électricité. L’Afrique du Sud détient les 9e réserves mondiales de charbon (et 95 % de celles de l’Afrique). Réduire la dépendance du pays au charbon est l’un des principaux objectifs des pouvoirs publics, car les centrales thermiques à charbon sont polluantes. Plus du tiers des émissions de gaz à effets de serre en Afrique sont imputables à l’Afrique du Sud et elles proviennent pour moitié de la production d’électricité. Le gouvernement de Jacob Zuma envisage la construction de nouvelles installations nucléaires. Les deux réacteurs actuels de la centrale de Koeberg (située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la ville du Cap) construits par Framatome et mis en service en 1984 n’assurent actuellement que de l’ordre de 6 % de la production d’électricité du pays(2). Mais les négociations entreprises entre Eskom et ses fournisseurs potentiels, comme Areva et Rosatom n’ont pas pour le moment abouti.
L’exploitation du gaz de schiste devrait débuter durant le second semestre de cette année 2017.
La mise en valeur des réserves de gaz de schiste du pays, qui sont jugées prometteuses apparait comme une solution pour relever le défi énergétique. Les dernières données de l’Agence américaine pour l’information sur l’énergie (EIA) les estiment autour de 11 000 milliards de m3, le 8e rang mondial (soit 5,5 % des réserves mondiales prouvées)(3). Ce chiffre est néanmoins à prendre avec prudence tant les incertitudes subsistent comme le taux de récupération du gaz en provenance des puits. Cette estimation correspondrait à au moins un siècle de consommation annuelle du pays (3,8 milliards de m3) à son rythme actuel. Dans son rapport(4) publié en 2012 portant sur le développement du pays à l’horizon 2030, le gouvernement souligne la nécessité de rechercher de nouvelles sources d’énergie et il se montre favorable à l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. En septembre 2012, le gouvernement de Jacob Zuma a levé le moratoire décrété un an plus tôt concernant les forages d’exploration de gaz de schiste, et après plusieurs années de tergiversations, l’exploitation du gaz de schiste devrait débuter durant le second semestre de cette année 2017.
L’Afrique du Sud connait aujourd’hui les mêmes débats et polémiques qu’en France ou en Grande-Bretagne, portant sur la mise en valeur de ses importantes réserves de gaz non conventionnel. L’exploitation des gisements de gaz de schiste devrait, comme aux États-Unis, entraîner une baisse des prix de gros de l’électricité et permettre d’améliorer la compétitivité de l’industrie sud-africaine, qui reste médiocre par rapport à celle de ses concurrents, notamment l’Australie. Les principaux gisements de gaz de schiste ont été identifiés dans la région semi-désertique du Karoo, où la densité de population est très faible. Une situation a priori plus encourageante que dans certains pays européens, où les puits potentiels sont situés à proximité de zones urbaines, et davantage comparable à celles des États-Unis (où les hydrocarbures non conventionnels sont notamment extraits du gisement de Bakken dans le Dakota du Nord, un État qui ne compte que moins de quatre habitants au km2). Pourtant, la mise en valeur des gisements de gaz de schiste se heurte à plusieurs obstacles.
Les fermiers blancs du plateau du Karoo s’inquiètent des conséquences de la fracturation du sous-sol sur les nappes phréatiques, qui risquent d’être souillées par l’utilisation de produits chimiques hautement toxiques. Si la protection de l’environnement n’a jamais constitué une priorité des pouvoirs publics, les dégâts provoqués en Amérique du Nord par l’exploitation du gaz de schiste inquiètent néanmoins les Sud-africains : les derricks implantés sur des milliers de km2, les norias de camions formant d’inextricables embouteillages, l’arrivée de milliers de travailleurs logés dans des conditions précaires. Aujourd’hui près de 40 % de la population sud-africaine vit en zone rurale, et une majorité tire son principal revenu du travail de la terre. La rareté des ressources hydriques compromet surtout l’extraction de ces hydrocarbures non conventionnels. Le Karoo que les premiers autochtones, les San avaient baptisé « le pays de la soif », se caractérise par la présence de nappes phréatiques très réduites et une pluviométrie annuelle moyenne extrêmement basse (100 mm).
L’acheminement du gaz extrait est également un souci, puisque le Karoo n’est traversé par aucun gazoduc, et aucune centrale thermique ne se trouve à proximité. L’hypothèse de construire des petites unités de production d’électricité à proximité des puits n’a pas de sens, puisqu’une fois exploités, ils peuvent perdre plus de la moitié de leur volume, en douze mois. La construction de ces infrastructures (réseau autoroutier, lignes à haute tension, aménagements hydrauliques) nécessiterait de lourds investissements, que les pouvoirs publics ne sont pas en mesure de consentir. Et les investisseurs étrangers restent assez sceptiques, quant à la capacité de l’État à gérer de tels projets (corruption, démarches administratives fastidieuses) et à honorer les remboursements. Les pouvoirs publics écartent ces critiques en affirmant imposer des normes réglementaires strictes, et en insistant sur la perspective de créer plusieurs milliers d’emplois. Le ministre de l’Énergie, Dipuo Peters, décrivait les réserves de gaz de schiste dans la région du Karoo comme un « don de Dieu ».
L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Afrique du Sud pourrait inciter les gouvernements africains à suivre une même voie...
Plusieurs groupes pétroliers ont obtenu des autorisations d’exploration comme Shell, Falcon et Chevron, pour effectuer des relevés cartographiques et des études géologiques approfondies, mais non des forages, même expérimentaux. L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Afrique du Sud pourrait inciter les gouvernements africains à suivre une même voie. Selon les données de la Banque africaine de développement(5), l’Afrique détiendrait 15 % des réserves mondiales de gaz de schiste (principalement situées en Afrique du Sud, en Algérie et en Libye). À une échéance de quinze ans, la production de gaz en Afrique du Sud peut satisfaire la demande intérieure en énergie, et remplacer partiellement la combustion de charbon. Les exportations de ce minerai pourraient augmenter, principalement à destination de la Chine et l’Inde, les deux principaux acheteurs mondiaux, dont la consommation devrait continuer de croître.
Pour autant, l’exploitation de ce gaz non conventionnel suscite de nombreuses interrogations. L’Afrique du Sud ne détient pas les atouts qui ont permis aux États-Unis de développer aussi rapidement leurs réserves de gaz de schiste, un « éco système » où l’innovation technologique est constante, où les groupes pétroliers travaillent en étroite concertation avec leurs fournisseurs de services aux compétences reconnues comme Halliburton, KBR ou Baker-Hughes. Une situation qui devrait inciter à la plus grande prudence.
Sources / Notes
- BP, Statistical review of world energy, 2016.
- Ministère de l’énergie de l’Afrique du Sud.
- Données de l'EIA
- « National development plan 2030, Our future make it work », National planning commission, 2012.
- Kaberuka Donald, 2013, « Le gaz de schiste et ses implications pour l’Afrique », Banque africaine de développement, Abidjan, 2013.