L’homme brûle les combustibles fossiles près d’un million de fois plus vite que la Terre ne les reconstitue. Ici, l'exploitation de pétrole dans le Dakota du Nord. (©Hess Corporation)
Définition
Par énergie fossile, on désigne une énergie stockée dans le sous-sol, sous forme d’hydrocarbures. Ceux-ci sont issus de la sédimentation de matière organique et sont enfouis dans le sol depuis 100 à 300 millions d’années en moyenne.
L'utilisation d'énergie fossile a été à la base du développement économique depuis la fin du XIXème siècle en fournissant une source d'énergie abondante et bon marché pour alimenter les industries, les transports et les infrastructures modernes. Cette disponibilité énergétique a permis des gains de productivité, des innovations technologiques et une croissance rapide, transformant les économies agricoles en économies industrielles avancées.
L'énergie fossile pollue principalement en libérant de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO₂) et d'autres gaz à effet de serre lors de la combustion, contribuant au réchauffement climatique. De plus, l'extraction, le transport et l'utilisation des combustibles fossiles entraînent des émissions de polluants atmosphériques, comme les oxydes de soufre et d'azote, et la libération de particules fines, qui nuisent à la qualité de l'air et à la santé publique.
Types
On distingue trois grandes sources d’énergie fossile :
- le pétrole : issu de la sédimentation en milieu marin de matière organique comme les algues et le plancton. Cette matière se transforme en kérogène au début de son enfouissement, sous l’effet de bactéries anaérobies (en milieu privé d’oxygène). Le kérogène se transforme ensuite partiellement en pétrole dès 50°C à 60°C (soit à une profondeur de 1 500 à 2 000 mètres). C’est la pyrolyse ;
- le gaz naturel : principalement généré, comme le pétrole, par la sédimentation de matières organiques en milieu marin et la transformation en kérogène, mais à des températures et des pressions plus élevées. Du gaz naturel, dit « biogénique » peut aussi se créer à faible profondeur à partir de la fermentation de bactéries présentes dans les sédiments organiques ;
- le charbon : issu d’un kérogène formé à partir de biomasse uniquement végétale (arbres, fougères, etc.), plus fréquent dans les couches sédimentaires terrestres. La pyrolyse de ce kérogène produit du charbon, essentiellement constitué de carbone et pauvre en hydrogène.
Tous ces combustibles sont composés d’atomes de carbone et d’hydrogène que l’on récupère sous forme gazeuse (méthane dans le gaz naturel), liquide (pétrole) ou solide (charbon). Ils sont à ce titre qualifiés d’hydrocarbures fossiles, ce terme étant moins employé dans le cas du charbon.
Les ressources fossiles ne sont pas renouvelables à l’échelle humaine de temps.
Production d'électricité d'origine fossile
En 2023, les énergies fossiles ont compté pour près de 81% de la consommation d'énergie primaire et environ 60% de la production d'électricité dans le monde.
Le charbon était en particulier encore de très loin la principale source d'électricité dans le monde, comptant pour 35,8% du mix mondial (devant le gaz naturel, 22%), soit un niveau quasi inchangé par rapport au 1er semestre 2022.
Pic de la production d'électricité d'origine fossile : déjà une réalité pour 107 pays
« La moitié des économies mondiales ont déjà dépassé depuis au moins 5 ans leur pic de production d’électricité à partir de combustibles fossiles », selon un rapport d'Ember(1) publié en 2023.
107 des 215 économies étudiées par le think tank (le terme « économies » désigne des pays, y compris certains non reconnus par l'ONU comme Taïwan ou le Kosovo) ont déjà passé leur pic de production électrique d'origine fossile depuis au moins 5 ans. Ces 107 pays comptent pour 38% de la demande mondiale d'électricité.
Au sein de l'Union européenne, seule la Lettonie ne fait pas partie de ces 107 pays. Et la France a atteint son pic de production électrique d'origine fossile il y a seulement 5 ans (contre 21 ans pour le Canada, 19 ans pour le Danemark ou encore 15 ans pour les États-Unis).
Le Royaume-Uni a quant à lui atteint son pic de production d'électricité à partir des énergies fossiles en 2008 alors que ces dernières constituaient près des trois quarts du mix électrique national (contre près de 40% à l'heure actuelle).
Début octobre 2023, DNV estimait - de façon bien moins optimiste qu'Ember - que la transition énergétique mondiale « n'avait toujours pas vraiment commencé » dès lors que le pic de l'ensemble des émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie pourrait n'être atteint qu'en 2024.
Chute de la production des centrales fossiles dans l'UE
Au 1er semestre 2023, les énergies fossiles ont produit 410 TWh dans l'UE(2), permettant de couvrir près de 33% de la demande européenne d'électricité, selon Ember. La production des centrales à charbon a en particulier chuté de 23% au cours des 6 premiers mois de l'année par rapport au 1er semestre 2022 et celle des centrales à gaz de 13%.
La chute de la part des énergies fossiles dans le mix électrique de l'UE intervient dans un contexte de forte baisse de la demande : celle-ci s'est limitée à 1 260,8 TWh dans l'UE au 1er semestre 2023, soit moins qu'au 1er semestre 2020 durant la pandémie de Covid-19 (1 271 TWh).
Face à la chute de production des centrales à combustibles fossiles, les auteurs du rapport d'Ember appellent à augmenter « massivement » le développement des filières renouvelables « pour soutenir une économie résiliente à travers l'Europe ».
Les principaux énergéticiens (l'italien Enel, français Engie, tchèque EPH, espagnol Iberdrola et norvégien Statkraft) ne prévoient toutefois pas d'arrêter progressivement de produire de l'électricité à partir de gaz fossile d'ici à 2035, comme le recommandent pourtant l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec)", détaille la coalition basée à Berlin dans un rapport.
Enel, Engie et EPH notamment restent d'importants développeurs de centrales électriques au gaz fossile et leurs projets basés sur l'utilisation d'hydrogène et de biométhane sont encore immatures.
Emissions de gaz à effet de serre d'origine fossile
Bien plus réchauffant que le CO2 mais à durée de vie plus courte (une dizaine d'années), le méthane est responsable d'environ 30% du réchauffement mondial depuis la révolution industrielle. Eviter d'en émettre a un fort effet à court terme dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Parmi les plus grands pollueurs mondiaux, c'est en Inde que le rebond des émissions fossiles a été le plus fort en 2022, en augmentation de 6% en raison principalement de la consommation de charbon sur fond de forte reprise économique. Les Etats-Unis enregistrent +1,5%. La Chine a finit à -1% avec les confinements liés à la politique zéro-Covid et la crise du bâtiment, même si la vague de chaleur de l'été a ensuite causé une baisse de l'hydroélectricité et une remontée du charbon. L'Union européenne, plongée dans la crise énergétique par l'invasion de l'Ukraine, a connu un effondrement des émissions liées au gaz, compensées par celles liées au charbon.
CO2
Les émissions de CO2 produites par la consommation d'énergies fossiles ont atteint 36,6 milliards de tonnes, soit un peu plus que les niveaux de 2019 avant le Covid-19. Cette hausse est portée principalement par l'utilisation du pétrole (+2,2%), avec la reprise du trafic aérien, et du charbon (+1%).
La concentration en CO2 a augmenté de 51% depuis le début de l'ère industrielle, quand nous avons commencé à brûler en grande quantité les énergies fossiles.
Au rythme actuel de "dépense" de ce budget, il ne reste qu'une chance sur deux de tenir dans neuf ans l'objectif le plus ambitieux, contenir le réchauffement à 1,5°C. Les émissions de gaz à effet de serre devraient en effet baisser de 45% d'ici 2030 pour avoir une chance d'y parvenir. A 30 ans, il y a une chance sur deux de tenir l'objectif moins ambitieux de +2°C, et à 18 ans pour +1,7°C.
Or, avec près de +1,2°C de réchauffement déjà enregistré, les catastrophes climatiques se multiplient déjà à travers le monde, comme l'a illustré l'année en cours, avec son cortège de canicules, sécheresses, inondations ou méga-feux.
Méthane
Les émissions mondiales de méthane de l'industrie fossile, essentiellement dues aux fuites de ce puissant gaz à effet de serre, sont restées à des niveaux record en 2023 : environ 120 millions de tonnes.
Le méthane, deuxième plus important gaz à effet de serre après le CO2, est la molécule du gaz naturel, qui s'échappe des gazoducs, des mines de charbon et de nos gazinières, mais aussi des vaches, des rizières ou des déchets. Environ 580 millions de tonnes de méthane sont émises chaque année, dont 60% attribuables à l'activité humaine (agriculture en tête) et près d'un tiers aux zones humides naturelles.
En 2023, "environ 40% auraient pu être évitées sans coût net, la valeur du méthane capté" et commercialisé étant supérieure aux dépenses pour colmater les fuites, explique l'AIE. Réduire de 75% coûterait "environ 170 milliards de dollars, soit moins de 5% des revenus de l'industrie fossile en 2023", ajoute l'Agence.
Environ les deux tiers du méthane émis par l'industrie fossile "proviennent de seulement dix pays", a souligné Christophe McGlade, expert énergie à l'AIE. La Chine est "de loin" le premier émetteur pour le méthane issu du charbon, les Etats-Unis sont en tête pour celui lié au pétrole et au gaz, "suivis de près par la Russie".
Parmi les "tendances inquiétantes", M. McGlade cite les grandes fuites "détectées par satellite" qui "ont augmenté de plus de 50 % par rapport à 2022", représentant 5 millions de tonnes supplémentaires. L'une d'elle, massive, au Kazakhstan, a duré environ 200 jours.
Malgré tout, l'AIE reste optimiste: "les politiques et réglementations importantes annoncées ces derniers mois, ainsi que les nouveaux engagements pris au sommet climat de la COP28 à Dubaï, peuvent provoquer bientôt leur déclin", écrit l'institution, devenue acteur clé de la transition énergétique.
A la COP28, 52 compagnies pétrogazières se sont engagées à atteindre "près de zéro méthane" dans leurs opérations d'ici 2030, sous l'oeil d'observateurs sceptiques faute de plans précis. Plus de 150 pays, dont récemment l'Azerbaïdjan, hôte de la COP29, ont aussi rejoint l'initiative "Global Methane Pledge", qui vise à réduire de 30% ces émissions entre 2020 et 2030. "Si toutes ces promesses sont parfaitement remplies et à temps, elles réduiraient les émissions d'environ 50% d'ici 2030", selon Christophe McGlade.
Sauf que ces nouveaux engagements "n'ont pas encore été étayés par des plans détaillés", selon l'analyste.
"2024 pourrait marquer un tournant", résume l'économiste Tim Gould, car "les politiques commencent à être mises en place, une plus grande transparence s'installe, la prise de conscience se généralise et nous avons une meilleure capacité à repérer les fuites importantes" pour les arrêter.
L'AIE, dont les estimations dépassent de 50% celles des Nations unies, se félicite aussi de pouvoir compter sur "un nombre croissant de satellites de pointe surveillant les fuites de méthane, comme le MethaneSAT", lancé avec succès début mars par une fusée SpaceX et contrôlé depuis la Nouvelle-Zélande.
Comment sortir du fossile en Europe d'ici à 2050 ?
L'Union européenne « peut réduire de moitié sa consommation de gaz fossile d'ici 2030 et s'en affranchir complètement d'ici 2050 tout en garantissant la sécurité d'approvisionnement », assure l'institut de recherche allemand Agora Energiewende dans un scénario détaillé de sortie du gaz fossile au sein de l'Union européenne (le EU Gas Exit Pathway)(3).
Dans ce scénario, l'institut considère que l'UE pourrait se passer totalement de gaz russe d'ici à 2027 et réduire à néant sa consommation de gaz fossile à l'horizon 2050. Qui plus est « sans mesures perturbatrices de changement de comportement dans les ménages et sans destruction de la demande à court terme dans l'industrie ».
L'institut allemand prend comme référence de son scénario l'année 2018 durant laquelle les 27 États membres actuels avaient consommé 3 902 TWh de gaz (près de 400 milliards de m3)(2). Cette consommation pourrait, selon le scénario retenu, chuter à 2 091 TWh en 2030 (- 46% par rapport à 2018), puis à 398 TWh en 2040 (- 90% par rapport à 2018) avant d'être réduite à zéro au milieu du XXIe siècle.
3 grands chantiers
Le scénario d'Agora Energiewende passe par 3 grands chantiers prioritaires :
- réduire la consommation de méthane fossile de l'UE « en diminuant structurellement ses besoins d'énergie et de matières premières (entre autres via les rénovations énergétiques de bâtiments) » ;
- remplacer le méthane fossile « par des alternatives plus propres sans méthane (éolien, solaire, chaleur et hydrogène renouvelables, etc.) » ;
- satisfaire « une part croissante de la demande de gaz résiduelle de l'UE avec du biogaz et du biométhane provenant de sources durables » et produits localement.
Durant la décennie à venir, c'est au niveau de la production d'électricité qu'Agora Energiewende voit le plus gros potentiel pour baisser la consommation européenne de gaz fossile. Les centrales à gaz dans l'UE ont consommé près de 910 TWh de gaz fossile en 2018 et le scénario présenté estime que cette consommation pourrait être réduite à hauteur de 262 TWh en 2030. Cette chute serait principalement permise grâce à un développement massif des filières renouvelables (éolien et solaire en tête) qui compteraient pour 70% de la production électrique de l'UE en 2030 et 85% en 2040.
Le scénario EU Gas Exit Pathway « diffère considérablement de la stratégie REPowerEU de l’UE visant à sortir l'Europe de sa dépendance du gaz fossile russe en ce qui concerne le rôle et l'ampleur de la demande d'hydrogène renouvelable à court terme », souligne Agora Energiewende.
Agora Energiewende rappelle que le plan REPowerEU(4) « prévoit une consommation de 666 TWh (20 Mt) d'hydrogène renouvelable et de ses dérivés pour remplacer le gaz fossile russe en Europe d'ici 2030 ». Dans son propre scénario, l'organisme allemand estime qu'une « consommation de 116 TWh (3,5 Mt) d'ici 2030 serait optimale, l'électrification directe étant systématiquement favorisée par rapport à l'électrification indirecte reposant sur l'hydrogène, plus coûteuse ».
Le scénario d'Agora Energiewende prévoit par la suite une demande beaucoup plus forte de « 570 TWh pour l'hydrogène renouvelable et 95 TWh pour ses dérivés en 2040 et respectivement 950 TWh et 900 TWh en 2050 pour subvenir à la demande de l’industrie, du secteur électrique et du transport aérien et maritime à travers les carburants synthétiques » (la production d'hydrogène à partir de gaz fossile étant presque totalement remplacée « par sa version renouvelable d'ici 2035 »).