C'est le physicien français Francis Perrin qui a mis en évidence les réactions nucléaires naturelles ayant eu lieu au Gabon dans le passé. (©CEA)
Dans un lointain passé, des réactions nucléaires en chaîne autoentretenues se sont produites dans la nature au Gabon durant 150 000 à 800 000 ans. Démontré il y a près de 40 ans, ce phénomène naturel n’a pu, à l’heure actuelle, être attesté que sur les sites uranifères d’Oklo et de Bangombé.
Un taux d’uranium 235 anormal
La mise en évidence d’une réaction nucléaire en chaîne naturelle dans le passé est partie d’une « anomalie » détectée dans l’uranium naturel livré sur le site d’enrichissement de Pierrelatte en juin 1972 : un échantillon d’hexafluorure d’uranium (UF6) ne contient que 0,7171% d’uranium 235. Or, l’uranium naturel contient généralement 0,7202% d’isotope 235. Cette différence est suffisamment étonnante pour que le CEA, exploitant du site, débute alors une enquête minutieuse.
Rapidement, le CEA constate que plusieurs échantillons présentent la même anomalie. Tous ces échantillons ont été fournis par la société COMUF qui exploite les mines de Moukana et d’Oklo, dans le sud-est du Gabon. Les lots « incriminés » proviennent principalement du gisement d’Oklo, certains de ces lots présentant une teneur en uranium 235 inférieure à 0,5%. Seulement deux mois après les observations à Pierrelatte, le CEA envisage l’hypothèse de réactions de fission en chaîne autoentretenues dans le passé sur le site d’Oklo.
2 milliards d’années plus tôt…
La découverte de lointains descendants de produits de fission de l’uranium 235 atteste que le gisement d’Oklo a jadis fonctionné comme un réacteur nucléaire « naturel ». Cette situation s’est produite il y a près de 2 milliards d’années lorsque le taux d’isotope 235 dans l’uranium naturel avoisinait 3,5% (un taux semblable à celui de l’uranium enrichi utilisé dans les centrales nucléaires actuelles). Ce taux d’uranium 235 décroît inexorablement dans le temps dès lors que sa période radioactive (705 millions d’années) est inférieure à celle de l’uranium 238 (4,51 milliards d’années), dont le taux dans l’uranium naturel augmente mécaniquement jusqu’à près de 99,27% aujourd’hui.
Si le taux d’isotope 235 de l’uranium naturel du gisement d’Oklo est plus faible qu’ailleurs, c’est parce qu’une partie de cet uranium 235 a fissionné durant 150 000 à 800 000 ans. Cette réaction est rendue possible grâce à des conditions de pression et de température particulières : 350 à 450°C sous 15 à 20 MPa de pression (conditions proches de celles d’un réacteur à eau pressurisée) à certains endroits du gisement, 250°C sou 5 MPa de pression (conditions proches de celles d’un réacteur à eau bouillante) à d’autres endroits d’Oklo. Les nappes d’eau en profondeur permettent de ralentir les neutrons(1) fissionnant les atomes d’uranium 235.
Au total, 16 réacteurs nucléaires « naturels » ont pu être identifiés dans la région d’Oklo et un autre à Bangombé (au sud-est). Aucun autre phénomène similaire n’a depuis été démontré ailleurs qu’au Gabon. Les manifestations de la réaction de fission en chaîne, maîtrisée par l’homme dans les années 1940, sont ainsi extrêmement anciennes. La puissance volumique des réacteurs naturels était toutefois à l’époque près d’un million de fois plus faible que celle des réacteurs construits par l’homme près de 2 milliards d’années plus tard.