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A Grenoble, les menaces sur l'emploi chez General Electric (GE) Hydro inquiètent d'autant plus les acteurs locaux qu'elles touchent à un pilier de l'histoire industrielle de la ville. "Dans la mythologie grenobloise, l'hydroélectricité tient une place centrale, ce n'est pas une industrie comme les autres", explique à l'AFP Anne Dalmasso, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Grenoble-Alpes (UGA).
S'impose immédiatement la figure tutélaire d'Aristide Bergès (1833-1904), papetier installé dans la vallée du Grésivaudan à quelques encablures de la ville. Ingénieur et inventeur, il a diffusé l'expression de la houille blanche pour désigner la puissance hydraulique lors de l'Exposition universelle de Paris en 1889. "Il en a fait le symbole d'un mode de développement, qui apportait le progrès non seulement technique mais aussi social", souligne Mme Dalmasso.
En 1925, la tenue de l'Exposition internationale de la Houille blanche et du Tourisme consacre Grenoble comme "capitale des Alpes et de l'hydroélectricité", dans une volonté forte d'affirmation régionaliste et de modernisme. "L'hydro" sera suivie par la microélectronique, la nanoélectronique et les biotechnologies, "avec une persistance des valeurs véhiculées", insiste l'historienne : "derrière le symbole, il y a un rapport au territoire, des compétences pointues et des choix de développement".
Grenoble, ville gantière qui avait laissé passer le train de la vapeur et du charbon, entre de plain-pied dans l'ère industrielle en domptant les chutes d'eau des montagnes grâce aux conduites forcées. Les industries liées à la force hydraulique se développent d'abord (papeterie, cimenterie dont l'entreprise Vicat), puis celles liées à l'hydroélectricité avec des fleurons encore en activité : Neyrpic (turbines), fondé en 1917, racheté en 1967 par Alstom puis en 2014 par l'américain Général Electric. Ou Merlin-Gérin (matériel électrique) qui continue son aventure débutée en 1920 au sein de Schneider Electric.
Autre particularité locale, "la symbiose entre les milieux universitaire, politique et industriel", ajoute René Favier, professeur émérite de l'UGA, spécialiste du territoire alpin. "L'université grenobloise change quand naît en 1898 l'Institut électrotechnique de Grenoble, chargé de former les ingénieurs et techniciens spécialisés" dont les industriels avaient besoin, raconte M. Favier.
Cet institut voit le jour sur des terrains offert par Casimir Brenier, président de la Chambre de commerce et co-fondateur de la future Neyrpic, et la mairie de Grenoble finance la construction de l'école, qui deviendra l'Institut polytechnique puis l'actuelle Grenoble INP. "Le laboratoire d'essais hydrauliques ouvre en 1906, c'est très tôt dans le XXe siècle !", souligne l'historien. Et si aujourd'hui, "ce n'est plus le noyau dur de la recherche et de l'économie, ça a été fondateur pour le territoire".